Il n’y a qu’une chose qui soit inquiétante, vraiment inquiétante, avec le dernier film de Terrence Mallick ; c’est la critique. Certes, on se demandera si la critique a jamais servi à autre chose qu’à inquiéter, c’est-à-dire à prouver à ceux qui regardaient des œuvres d’art que, finalement, personne n’y comprend jamais rien, et qu’il convient donc qu’ils s’y mettent à leur tour.
Du moins, quand faire de l’art était encore, ainsi qu’on dirait aujourd’hui, une option.
Le film de Terrence Mallick permet au moins d’y voir plus clair sur ce point. Aujourd’hui, faire de l’art n’est pas, n’est plus, il faut bien le dire, une option.
Inquiétude, disions-nous.
Nous sommes allés, avec ces quelques décalés de ma bande qui avons trouvé le temps, quand, selon le calendrier non plus parisien, même plus journalistique, mais, pour parler en français châtié, quelque chose comme buzzique, oui, c’est bien ça, le calendrier buzzique, nous sommes donc allés en retard voir le film de Terrence Mallick, dont nous gardions tous à l’esprit ce très-grand chef-d’œuvre, La ligne rouge. Pieusement, donc, nous nous installâmes. Et nous contemplâmes, donc, cette écriture énigmatique – cette ronde, ou plutôt cette interminable transition que chaque chose joue avec celle qui la précède et qui la suit ; et nous songeâmes que Mallick nous entretenait du temps. Oh, oui, certes, Mallick nous entretenait du temps, mais d’autres choses, aussi : de Dieu, en tout premier lieu ; de sa colère quand il fracasse des météores sur les planètes ; de sa bonté quand il fait sourde des sources et des fleuves, et de son… ambiguïté quand il fait sourdre des fleuves… de lave. Dieu est bon, et un peu méchant, aussi ; mais ce qui est certain, je veux dire, quand nous, notre bande qui avons tous la plus grande considération possible pour le bon Dieu, nous contemplâmes ces énigmes métamorphiques, nous nous dînmes tous que Dieu était grand.
Mais aussi de l’amour, du mal, de la haine ; et encore du social, du trouble érotique, de la société américaine. En fait, Mallick nous montra vite qu’il parlait absolument de tout, dans son film, car ce film était en quelque sorte une apothéose. Oui, le mot nous vint dès la fin du film, car ce film a ceci d’extraordinaire qu’il faut un temps assez bref pour le penser, mais qu’il est rigoureusement impossible de le faire avant qu’il soit fini, pour la simple et bonne raison que ce film n’est qu’une interminable, ondoyante, et, pour être tarte jusqu’au bout, proustienne et unique phrase ; et que, tout de même, il convient d’avoir laissé parler l’orateur pour juger de son propos – décalés, mais bien élevés, tout de même.
La première gifle, donc, ce fut le retour du refoulé, à savoir, puisque nous n’étions décalés qu’à demi, nos souvenirs de la critique, la cannoise, donc, qui se partageait en deux : ceux qui criaient au génie, et ceux qui criaient certes au génie, mais au génie échoué, raté, quelque chose comme Giacometti dans ses géants, et Shakespeare dans son Hamlet – trop de mots, Shakespeare, trop de mots !
– Vous avez raison, Sire, il y en a beaucoup trop !
Et c’est là que nous fûmes, du moins, que deux d’entre nous fûmes renversés, oui, comme par une gifle de vérité : comment font-ils ? Certes, ils arrivent encore à parler du cinéma français, ce qui révèle une bonne dose de paradis artificiels et autres mescalines ; il faut être au moins Michaux pour parler de Mme Bruni-Tedeschi, d’Arnaud Depleschin et de Mlle Hansen-Love ; mais là, nous tremblâmes, car nous sentîmes qu’il y avait, dans cet aveuglement, quelque chose qui les concernait, qui nous concernait en propre ; oui, l’apothéose de Mallick avait quelque chose d’une Révélation.
Car nous, bons samaritains, nous voulions espérer, en voyant le début du film, que Mallick tentait là, quelque 100 ans après le Suprématisme (mais il est aux Etats-Unis, tout de même !), une expérience de cinéma abstrait ; nous tentâmes de le voir chercher à égaler des poètes, que sais-je, Hölderlin, par exemple, quand il parle du Rhin ; et nous voulions oublier que Mallick avait été professeur de Heidegger dans une autre vie et une université fort moyenne ; Heidegger dans le Middle-West, c’est encore plus confondant que Heidegger dans la Forêt Noire ! Pire : nous nous sentîmes enclins à aimer ces exorbitances visuelles, qui ne discouraient qu’à demi.
Mais nous ne pûmes : très vite, la narration américaine reprenant le dessus, il nous fallut voir, telle une maison Nucingen déportée à Waco, la grandeur et la décadence tout à la fois d’une famille de la middle class, mais aussi d’un amour de la middle class ; enfin, d’un vie américaine, dans toute la confondante nullité, dans l’abyssal néant puritain qui fait le secret fondamental de cette société, laquelle est tout de même parvenue à y convertir l’Europe entière !
Le sermon, le long sermon sur Job (car apprenez, bonnes gens, que M. Pitt – fort heureusement, c’est pour de faux ; il a même payé le film ! – va perdre sa maison ; M. Pitt est Job, vous comprenez ?) est l’ossature dogmatique, intellectuelle la plus redoutable de complexité du film. Car les voix off, les énigmes des transitions, savez-vous ce que c’est ? C’est du slalom. C’est une technique remarquable, et il fallait y penser, au cinéma. Le slalom consiste à dévaler une pente sans jamais rien toucher. Voilà une définition parfaite du film de Terrence Mallick.
Martelons, un seul mot : chaque transition, chaque mouvement visuel n’est pas porteur de sens – on n’est pas chez les Straub ; chaque transition, chaque mouvement se persuade qu’il a porté du sens. Je connais un monsieur qui fait comme ça dans l’étude talmudique : il avance sa citation, ne la maîtrise pas, mais l’a assénée, et se félicite intimement de sa profondeur alors qu’il n’a, absolument, rien dit.
Rien dit…. N’exagérons pas. M. Mallick nous récite l’Évangile, nous ne le nions pas. Mais tout de même, pour qui a eu la chance d’approcher des séances de catéchisme en province…
Une seule expérience : après le film de Mallick, histoire de rester dans le sublime sacrificiel, regardez un film de Tarkovski ; je ne sais pas, moi ; Stalker ; ou même Le Sacrifice…. Vous aurez honte, je vous le dis, moi.
Mais alors, demandions-nous, comment comprendre, comment admettre que tous ces crétins de critiques n’y aient vu que du feu ? N’aient pas démasqué la merveilleuse supercherie, de ce petit professeur de philosophie qui est au cinéma ce que, pour le fond, Marie Noël est à la poésie, et Bernard Buffet à la peinture, et, pour la forme, est aussi contorsionné, prétentieux et hystériquement narcissique qu’une espèce d’hyperbole, je ne sais pas, moi, de metteur en scène de théâtre public français ?
C’est alors que nous comprîmes : ce film était une apothéose, oui, mais l’apothéose du médiocre. Ce film avait un rôle à jouer, aujourd’hui ; il représentait très exactement la séquence métaphysique que nous traversons : on pourrait la nommer, pour en faire un tour rapide, la métaphysique bobo. Un bobo est un médiocre parfaitement sympa, et qui prend une pose qui évite la plus grande déperdition possible de considération, pour la dépense d’énergie intellectuelle et humaine la plus faible possible. A regarder Mme Mère de Famille, au sage chignon (blond vénitien, tout de même ; même aux Etats-Unis, on a ses lettres et son bon goût), offrir son fils en sacrifice en mêlant sa main à celles d’autres femmes, (apparues après le ballet final sur la plage, comme l’énigme d’une représentation, tout à la fois, de la mort et de la résurrection), on se dit que, désormais, quand ces dames vont faire les soldes chez Zara, elles pourront se regarder comme cosmogoniques. Bobo is cool, bien sûr ; mais grâce à Mallick, à présent, Bobo is sublime. Bobo is perfect.
Bonnes gens, allez voir the Tree of life. Vous comprendrez pourquoi la cinéma, n’est plus jamais sinon jamais plus, un art. Vous comprendrez que ces lieux communs débités en tranche sans la moindre gêne sont là pour vous. C’est pourquoi les critiques, vidés de toute substance, se sont aplatis – eux aussi, tout de même, ont droit à leur part de sublime. Merde, quoi !
Lecteur : Mallick vint, et ce fut ton apothéose. Car à présent, si Mallick est un génie, ce qui est certain – alors tu l’es toi aussi.
Nous sommes tous, sinon des juifs allemands, du moins des génies américains.
Dieu n’est pas un fumeur de havanes.
Dieu est un bobo.
Merci de me permettre d’économiser treize francs suisses que j’allais dépenser ce soir, et même trente-neuf francs suisses puisque j’allais y inviter ma fille puînée et son boyfriend blond comme un Pitt. Je ne sais si j’ai raison de vous faire confiance, mais nous irons voir Ginger et Fred ou Une séparation, dont la critique a dit tant de bien à votre insu……
RB est de mauvaise foi: contrairement a ce qu’il feint de croire (mais on se pose en s’opposant, n’est-ce pas), « les critiques » (pluriel de mauvais augure) n’ont pas aimé « The Three of Life », ou alors (comme au « Figaro ») pour de mauvaises raisons — si tant est qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises raisons d’aimer ou de ne pas aimer une oeuvre d’art. L’absence de référence au reste de l’oeuvre magistrale de Mallick (a part une mention sans consequence de la Ligne Rouge), les pseudo-concepts (« puritanisme » = un cliché de l’anti-américanisme ; « bobo » = une invention de journaliste du « New York Times » qui ne satisfait que les journalistes) et la vulgarité de son écriture (« merde, quoi! ») rendent son article affligeant. En résumé: ne croyez pas les petits marquis de la presse germano-pratine, allez voir les films de Mallick! Ils ne sont pas parfaits, ils tombent parfois dans la grandiloquence (Breton: « Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête ») — mais comme avec Tarkovsky, c’est du vrai grand cinema qui fait révèle flchir a la condition humaine — loin du « realisme citoyen », des exercices de style un peu vains ou des marivaudages bien-pensants d’un certain cinema francais a bout de souffle.
C’est un grand film mais qui échappe à tous les amateurs de clichés…
A relire l’article, je présente mes excuses à son auteur avec lequel, je suis complètement d’accord. Vraiment désolé 😉
Consternant… Mallick fût certes génial avec ‘The thin red line’, mais son dernier opus primé à Cannes est une bouse absolue. Quant à l’auteur de cet ‘article’, une bonne cure de repos lui ferait le plus grand bien (‘Bonnes gens’, ‘Dieu est un bobo’, …) Tu le fais exprès ?
Quoi de plus insignifiant qu’un film mauvais et ampoulé? Une critique de ce film, si possible plus ampoulée encore que le dit film.