Bruits du fond de la terre, le sol qui se dérobe, se fissure, Port au Prince qui tangue, la terre qui tord les maisons et les palais, qui écrase les hommes, fracas d’apocalypse, le gouffre qui s’ouvre, jour d’épouvante. La terre a grogné. Elle a fait de ce jour une désolation, une dévastation, une désespérance sans nom.

Et voilà Haïti hébétée, l’œil hagard ; Haïti oppressée, les mains remplies de vide, les mains levées vers le ciel ; Haïti à la rue, errante et nue, qui crie de nouveau au secours. Chute éternellement recommencée dans le malheur d’un peuple à l’orgueil organique ? Joug inflexible de la fatalité ? Pourquoi encore Haïti ?

Haïti autrefois peuple meuble, la douleur du fouet de la servitude inscrite dans la chair ; Haïti de l’indépendance à la dépendance, la liberté pionnière décolonisation première, la liberté en effervescence saccagée, confisquée par des tyranneaux déclamant et pérorant que le point du jour est  attenant, proche; Papa Doc, Baby Doc, la police coupeuse de langues, boat people, traversée de la mer pour s’accomplir, fuir la pauvreté généralisée, la misère absolue, les mornes raclées par l’érosion ; Haïti, l’histoire en surplace existentielle, chemin cauchemardesque, eternel retour du tragique malgré le dire séditieux, malgré la vivacité toujours réinventée, malgré les reins-courage triomphant du fatal recommencement, triomphant du gouffre de la solitude, malgré le plaisir à être incassable ;  et, maintenant le courroux de la nature.

Port au Prince sinistrée, renversée. Désolation, ruines, décombres, débris, poussière, cendres. La terre a tremblé. Le chaos. L’apocalypse. Cœur d’Haïti englouti. Et les nouvelles qui tombent : tel est mort, tel est sous les gravats, tel est porté disparu. Pourquoi encore Haïti ? A qui la faute ? A la fortune ? A la providence ? Aux loas ? A Jéhovah ?  Non le malheur n’est  ni un mal nécessaire ni un bien suprême, distingué, profitable. A la condition de l’Homme  alors? La terre a tout simplement grogné. Ordre tectonique des profondeurs contre ordre humain de la surface. Le malheur appartient aux fondements, à la nature. On croit la nature bienveillante, protectrice ; il suffit de ne pas la contrarier. Et la voilà qui se découvre tout à coup colérique et adverse, hostile à l’homme. Et la voilà qui dépose aux pieds de la vie, la mort.

Un bout de vêtement, un pied, une main qui dépasse des éboulis, des décombres. Il faut sortir les survivants de leur sépulcre. Dégager les corps à la pelle, à la pioche, à la main, au courage. Spectre de la faim et de la violence du désespoir déjà à l’horizon. Haïti a besoin de notre humanité. Au forfait de la nature, il s’agit d’opposer  l’éthique de la solidarité humaine ; éthique aux fondements de notre humanité.   « Par le fait qu’il est homme, écrivait Cicéron, un homme ne doit pas être étranger pour un autre homme ».

La situation est apocalyptique ; les besoins en matière de nourriture, de santé, d’installations sanitaires, d’abri, de sécurité énormes. L’ampleur de l’urgence, de la détresse commande une réponse globale, coordonnée, rapide. A la hauteur de la tragédie. Haïti a besoin de tout et tout de suite. Le temps presse. Et demain quand l’engouement général pour son malheur sera passé,  Haïti aura encore besoin d’être soutenue, accompagnée. C’est une évidence : les besoins humanitaires vont perdurer des mois et peut-être des années. L’homme construit et la nature parfois détruit, mais l’homme se remet à la tâche et, l’espoir mêlé à la poussière, il reconstruit.

Port au Prince renaîtra de ses cendres ; Port au Prince se remettra debout.  Les Haïtiens sont connus pour leur grande capacité de ressourcement, de résilience, leur ressort invisible, leur force de vie face à l’adversité, leur vaillance. La seule question qui se pose aujourd’hui est la suivante : au-delà de la compassion et de l’empathie exprimées,  baignées d’émotion, serons-nous, le monde sera-t-il enfin, oui enfin, réellement, efficacement, épaule contre épaule aux côtés d’Haïti ? Aux côtés d’Haïti dans l’urgence et la durée ? Le temps presse.

5 Commentaires

  1. merci pour vos mots qui mesurent bien la douleur, le courage et la resilience d’un petit peuple pauvre et affame dont la determination et la foi est un exemple pour tous les hommes de cette petite planete….c’est avec des yeux qui pleurent pour tous ces enfants qui n’ont plus de parents, de freres et de soeurs pour les accompagnes que je prie aux hommes de ne pas oublier leur malheur !

  2. merci pour vos mots qui mesurent bien la douleur, le courage et la resilience d’un petit peuple pauvre et affame dont la determination et la foi est un exemple pour tous les hommes de cette petite planete….c’est avec des yeux qui pleurent pour tous ces enfants qui n’ont plus de parents, de freres et de soeurs pour les accompagnes que je prie aux hommes de ne pas oublier leur malheur !

  3. merci pour vos mots qui mesurent bien la douleur, le courage et la resilience d’un petit peuple pauvre et affame dont la determination et la foi est un exemple pour tous les hommes de cette petite planete….c’est avec des yeux qui pleurent pour tous ces enfants qui n’ont plus de parents, de freres et de soeurs pour les accompagnes que je prie aux hommes de ne pas oublier leur malheur !

  4. En lisant cet article sur le tremblement de terre de Haïti, je me suis rappelé d’un poème que j’avais écrit en décembre 2003 à la mémoire des victimes de tremblement de terre de Bam (Iran).
    Je le republie ici avec une pensé pour les morts et les rescapés de cette grande tragédie humaine.

    M.Sahar

    Ô TERRE, NE TREMBLE PAS
    en souvenir de ceux qui sont partis
    et pour les rescapés du tremblement de terre de Bam

    ……………………………………………………………………..

    Ton air m’a élevé ; ô terre, ne tremble pas

    Depuis longtemps je suis ton intime ; ô terre, ne tremble pas
    Ma maison s’effondre dans ta secousse
    je suis ruiné par tes secousses ; ô terre, ne tremble pas

    N’emporte pas avec toi vers la gueule de la mort ni l’enfant ni la mère ni l’ancêtre ni le père
    tu m’en obligeras ; ô terre, ne tremble pas.

    Si c’est la main facétieuse de dieu qui tient ton levier
    je désespère de ton dieu ; ô terre, ne tremble pas

    Même sans tes secousses l’univers est déjà un champ d’injustices
    Pour autant que je suis à l’abri de ton injustice ; ô terre, ne tremble pas

    Ô toi, sphère de terre, d’existences, de cris, d’amour, de douleur
    Depuis toujours je te porte en moi ; ô terre, ne tremble pas

    Dans ton giron, ô toi, mon berceau, ô toi ma mère, ô toi ma patrie
    ma voix est éteinte et je suis ta voix ; ô terre, ne tremble pas

    Eh ! Oh ! Terre, ne tremble pas car mon être tremble
    C’est comme si j’étais à ta place ; ô terre, ne tremble pas

    C’est mon âme que tu emportes vers la ruine
    Bam est mon foyer et ma demeure, ô terre, ne tremble pas

    ……………………………………………………………………………………………….

    Mohammad Djalali (M. Sahar)
    traduit du persan par l’auteur , Éric Meyleuc et Pedro Vianna

  5. Par malheur le mal « naturel » a été agravé par la corruption et l’incurie de ceux qui, par avidité, s’obstinent à construire sans tenir compte des normes antis sismiques. Beaucoup auront sans doute perdu la vie ou subi des mutilations pour cette raison.
    Le mal est à l’intérieur et récurant, on a encore vu déambuler en groupe organisés les menaçants porteurs de machettes, ex tonton macoutes mais toujours assassins, prets à tuer, la haine dans les yeux. Ces monstres attendent de pouvoir arracher des mains des faibles et des petits l’aumône dérisoire qu’ils reçoivent.
    Il faudrait autre chose qu’une aide financière, qui va aller dans la poche précisément de ces criminels, il faudrait une police digne de ce nom, qui ne serait pas corrompue et qui partagerait équitablement l’aide extérieure. Mais en Haïti on se demande qui en dehors se plait à la garder dans cet état de misère permanente.