Dans la soirée du vendredi 8 avril 2022, à quelques heures du 1er tour de l’élection présidentielle, quelques milliers de personnes reçoivent sur leur téléphone portable privé un SMS sidérant. En prenant connaissance de ce SMS, elles voient apparaître alors la photographie d’un candidat, en l’occurrence Éric Zemmour. Sa photographie est accompagnée d’un titre curieux : « Message d’Éric Zemmour aux français de confession juive ».

Le SMS pointe vers le site EZ2022.fr de l’association des amis d’Éric Zemmour, ayant pris le titre de Reconquête !, au mois de décembre 2021. Suivent quelques brèves lignes : « Bonjour, j’ai écrit un texte pour vous. Pourrions-nous vivre en paix encore longtemps en France ? Lisez-le sur EZ2022.fr. Vos enfants comptent sur vous ! Éric Zemmour ».

En cliquant sur le lien référencé, les personnes qui ont reçu ce SMS découvrent un texte bref, mais particulièrement agressif et violent. Il est écrit: « Je crois profondément que la première façon de lutter contre l’antisémitisme est de lutter contre l’expansion de l’Islam ». On peut lire également « Nous ne pouvons pas renoncer à la France, nous ne pouvons pas nous soumettre… Il est temps d’avoir un Président qui sache protéger son peuple et mettre fin à la soumission ». Il est question également de « violence quotidienne de la racaille », etc.

Au cours de la campagne électorale, les équipes d’Éric Zemmour ont déjà utilisé des techniques de démarchage direct, en faisant, par exemple, parvenir des messages vocaux sur les répondeurs d’électeurs, sans prendre les précautions qui sont préconisées par la CNIL. Les équipes de Zemmour ont été interrogées par plusieurs journalistes (de BFMTV[1], puis du Monde[2], Libération[3]…) Elles prétextent que le démarchage politique a été mis en place à l’aide d’un broker, un courtier en données personnelles, qui achète des bases de données pour les vendre ou les louer. Et, pour cibler la communauté juive, elles indiquent que l’équipe de Zemmour a demandé au broker dont nous ne connaissons pas le nom de cibler des personnes ayant montré un intérêt pour le sujet de l’antisémitisme. Problème ? Les historiens, journalistes, politistes et sociologues qui étudient ce sujet, n’ont pas reçu ce SMS. Autre problème : l’intitulé du SMS est particulièrement explicite. Je le rappelle une fois encore : « Message d’Éric Zemmour aux français de confession juive ». Sur France Inter (12 avril 2022), Maître Stéphane Lilti, explique : « On ne voit pas comment un courtier en données personnelles, dont c’est le métier, aurait pu assurer à Éric Zemmour qu’il pouvait sans problème utiliser une liste de Juifs. Nous n’y croyons pas personnellement, mais nous verrons ce que diront les enquêteurs. Pour connaître une partie des personnes qui ont été destinataires, on ne les voit pas du tout s’associer à un message d’Éric Zemmour où il dénonce le ‘danger mortel de l’Islam’. C’est impossible et il ne parviendra pas à rapporter massivement la preuve de l’accord de 10.000 personnes à cette communication électorale. » De son côté, Maître Sacha Ghozlan rappelle que « c’est la première fois qu’on voit un tel fichage dans le cadre d’une campagne présidentielle. C’est inédit, de par son ampleur et par sa gravité ». Pour toutes ces raisons, plusieurs associations antiracistes ont déposé plainte (J’Accuse, et l’UEJF d’abord, puis Sos Racisme, la LICRA et le MRAP).

Résumons

Des français de confession juive ont reçu un SMS intrusif et particulièrement ciblé puisqu’ils s’adressent aux seuls français de confession juive. Ce SMS, ils ne l’ont pas sollicité. Le texte pointe vers une propagande électorale particulièrement agressive. Elle s’en prend à l’Islam et aux musulmans, sous prétexte de vouloir combattre l’antisémitisme.

Le texte d’Éric Zemmour n’a pas vocation à analyser la grande complexité de l’antisémitisme, tel qu’il s’est développé depuis l’année 2000, en France. Il n’a pas pour vocation de discuter de ce sujet, avec intelligence, raison et méthode et en tenant compte des nombreuses études scientifiques et des analyses sérieuses qui ont été publiées par des journalistes, des historiens, des sociologues ou des politistes. En vérité, ce texte agressif reprend pour la énième fois la logorrhée du candidat Zemmour. Il développe là ses obsessions et ses fantasmes sur l’Islam et les musulmans, sur fond de pseudo théorie galvanisante du « grand remplacement » et du déclinisme de la France. Le candidat Zemmour, ce faiseur d’apocalypse[4], sait utiliser jusqu’à plus soif, les thèmes les plus anxiogènes. Comme si, sur fond de « La France aux Français » – ce vieux slogan des ligues antisémites de la fin du XIXème siècle – il suffirait pour que la France aille forcément mieux, que l’on boute l’étranger ou le Français de confession (hier) juive et (aujourd’hui) de confession musulmane.

Nous insistons sur ce point. S’il convient de parler de l’antisémitisme qui est certes répandu chez les européens de confession musulmane[5], il faut parler sérieusement de ce sujet, sans l’instrumentaliser à des fins électorales, sans allumer des feux poussifs et violents, sans manier qui plus est l’épouvantail du seul musulman. Comme s’il fallait comprendre par ailleurs que tous les musulmans qui vivent dans notre pays, seraient forcément antisémites. Ces excès de langage sont inqualifiables. Cette manière de faire est non seulement contre-productive, elle est agressive et ne relève pas de la dénonciation que l’on doit faire présentement de l’antisémitisme. Ajoutons cette autre évidence, il est quand même édifiant d’entendre Éric Zemmour dire vouloir défendre les Juifs de France et les protéger de l’antisémitisme, quand lui-même a distillé son venin et a tenu des propos inqualifiables sur l’innocence d’Alfred Dreyfus[6], sur Pétain qui aurait prétendument sauvé les Juifs français[7], sur les enfants qui ont été assassinés à l’école Ozar Hatorah de Toulouse par un terroriste islamiste[8]… Et, je vous le dis, Éric Zemmour serait bien inspiré de balayer devant sa porte.


Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet. Il est également président de l’association J’Accuse.


[1] https://www.bfmtv.com/tech/presidentielle-la-cnil-ouvre-une-instruction-apres-des-sms-de-la-campagne-zemmour-destines-aux-francais-de-confession-juive_AN-202204100235.html

[2] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/11/election-presidentielle-2022-des-sms-au-nom-d-eric-zemmour-envoyes-a-des-membres-de-la-communaute-juive_6121667_4408996.html

[3] https://www.liberation.fr/societe/police-justice/la-justice-ouvre-une-enquete-apres-lenvoi-cible-de-sms-par-eric-zemmour-a-des-francais-juifs-20220412_SX6AROL3ERAILKMELGZMKM3RYE/

[4] https://laregledujeu.org/2021/10/16/37783/eric-zemmour-ou-la-revanche-de-charles-maurras/

[5] En France, en s’appuyant sur plusieurs études, Gunther Jikeli, dans une tribune au Monde publiée le 24 avril 2018 , rappelle que depuis le début du XXIe siècle, les actes antisémites les plus violents, à savoir les meurtres de juifs, ont tous été commis par des musulmans. Jikeli ajoute aussitôt que « ces assassins ne sont certainement pas représentatifs de la majorité des musulmans. Ce sont des individus marginalisés qui finiront enfermés dans une prison ou internés dans un asile. Mais ils ne sont pas non plus tout à fait isolés et font clairement référence à l’islam ou, plutôt, à leur interprétation de l’islam ». En 2015, l’enquête pilotée par Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper et conduite par Ipsos pour le compte de la Fondation du judaïsme français démontre quant à elle que 42% des participants juifs disent avoir personnellement « rencontré des problèmes (comportements agressifs, insultes, agression, etc.) » avec des personnes de confession musulmane. L’étude de Dominique Schnapper, Iannis Roder, Mehdi Ghouirgate, étude publiée conjointement par l’American Jewish Committee et Fondapol, révèle une expression de l’antisémitisme, au sein de la population française de culture musulmane, où la proportion de personnes partageant des préjugés hostiles aux Juifs était deux à trois fois plus élevée que la moyenne nationale, tandis que la disponibilité à partager de tels préjugés apparaissait d’autant plus grande que la personne interrogée déclarait un engagement plus grand dans la religion.

[6] https://www.revuedesdeuxmondes.fr/lorsqueric-zemmour-jette-le-soupcon-sur-linnocence-dalfred-dreyfus/

[7] Voir à ce sujet, Laurent Joly, La falsification de l’histoire, Grasset, 2022, 133 Pages.

[8] https://laregledujeu.org/2021/09/14/37614/le-polemiste-eric-zemmour-et-les-morts-de-lattentat-contre-lecole-ozar-hatorah-de-toulouse-en-2012/

Un commentaire

  1. Les Juifs ont versé le sang pour la préservation d’un État de droit naissant, lequel État-nation fut d’autant plus menacé de désintégration qu’il avait démontré, dès le principe, un potentiel de résurrection hors concours. Attaquée de toutes parts, la patrie des droits de l’homme ne serait jamais celle de la reghettoïsation des racines juives de la France (éternel)le. La République des Juifs ne dévie pas d’un millimètre de la République des Nations, laquelle, au nanomètre près, recoupe la République de l’Être. On devrait pouvoir être absolument juif tout en étant résolument français, sans que cela implique la judéisation ou judaïsation de la France à proportion du quotient d’assimilation qu’une individualité d’origine ou de confession juive consentirait à échanger avec sa communauté nationale. Ce qui vaut pour les Juifs, cela va sans dire, vaut pour toute autre composante ethnoculturelle de telle ou telle nation.
    Nous nous demandâmes un temps si Éric Z. ne suivait pas la trajectoire d’un Torquemada ou, plus précisément, celle d’un Shaoul de Tarse d’autant plus remonté contre sa communauté d’origine qu’il avait à se faire pardonner des années de zèle répressif à l’encontre de la même mouvance insurrectionnelle qu’il avait fini par rallier sur le tard. Nous ne sommes pas loin de croire que ce Zelig otage de son environnement hostile, a rejoint par le pôle opposé la dérive littéraliste des Juifs de Khamenei, prêts à aider l’Ennemi, non pas à s’amender in extremis en vue d’un salut universel et, partant, universaliste mais, à l’inverse de la mission prophétique de Iona destinée au salut de Ninevé, à collaborer avec le PIR de la civilisation pour qu’une fois jetés à la mer, le retour des Benéi Israël à Ieroushalaîm soit de nouveau réalisable en tant qu’il serait conforme à la prophétie voulant que ces derniers y soient conduits par le Mashia’h, suite à sa victoire absolue contre la guerre totale du mal, que la Tora situe non pas en 1948 de l’ère chrétienne, mais à la fin des temps.
    Nous sommes condamnés à vivre en bon voisinage les uns avec les autres, habitants d’un même palier, d’un même quartier, d’une même ville, d’une même région, d’un même pays, d’un même continent, d’un même astre, d’une même galaxie, d’un même univers, ou d’un d’un même polyvers. À la frontière russo-ukrainienne ou israélo-palestinienne. Dans les frontières russes ou ukrainiennes, israéliennes ou palestiniennes. Zelig le sait mieux que quiconque, — quoique. S’il est inconcevable que le repli communautariste assure durablement à notre monde un statut de planète habitable, on a peine à imaginer qu’un pays ayant jadis collaboré avec l’Allemagne nazie, puisse réserver une place dans son exécutif à un antisémite récidiviste qui restera dans l’histoire de France comme le candidat à l’élection présidentielle de la Cinquième République ayant assassiné une seconde fois six millions de ses congénères juifs que l’on avait méthodiquement exterminés comme acte fondateur d’une révolution anthropologique et civilisationnelle inédite dans l’histoire de l’inhumanité. Il est encore moins envisageable que Jean-Marie Le Pen s’incruste dans l’exécutif d’un pilier économique, politique et militaire de l’hyperpuissance européenne, avec la complicité des Juifs de France.