Une revue littéraire qui parle de football ? Quelle curiosité ! C’était bien avant le foisonnement d’images et les clichés en pagaille sur le Brésil. Avant les vues paradisiaques du Corcovado veillant sur la baie de Rio, les images du Maracanã modernisé et tous ces zooms sur les fesses gonflées des brésiliennes à la plage. Avant le football aussi. La profusion de buts, la ferveur que ce sport entraîne. Les défaites et les victoires. Autrement dit, avant tout ce qui fait une Coupe du Monde. Bien avant tout cela donc, l’idée fut lancée de parler de football dans les colonnes de La Règle du Jeu. Ce qui n’était encore qu’un projet germait alors à l’air libre, dans le vent glacial de l’hiver parisien. Réfléchissons. Et si nous proposions, à La Règle du Jeu, une large couverture de la Coupe du Monde au Brésil ? Et si, une fois n’est pas coutume, une revue littéraire, germanopratine de surcroit, s’emparait du matériel footballistique pour en tirer toute la beauté, la part de drame, le potentiel artistique ? L’idée fit rapidement son chemin. Elle prendrait la forme d’un dossier ambitieux où l’on retrouverait le récit des grands matchs mais aussi des interviews, des portraits et des critiques littéraires. Quelques mois plus tard, à l’issue de la Coupe du Monde, après les éliminations prématurées de l’Italie, de l’Espagne et de l’Angleterre, après l’envie retrouvée de l’Equipe de France, le manque d’idées des Brésiliens et le triomphe allemand, cela donne vingt-deux textes exprimant toute la diversité d’un monde qui joue, grâce à la FIFA et malgré elle…
D’abord par les livres. Par le bel éloge de l’esquive, du dribble et du football joué par les Noirs au Brésil, signé Olivier Guez, paru chez Grasset. Dans ce petit essai mêlant Histoire, littérature et sociologie, l’auteur raconte ce Brésil enfermé dans le souvenir romantique des années Pelé et Garrincha. Une Seleção également entravée par le puissant héritage Socrates. Depuis 1994, les auriverde gagnent mais voilà, ils ne brillent plus… Ils ne sont plus des malandros, c’est-à-dire des filous, des enfants de la balle dribblant les difficultés sociales, les inégalités et les déterminismes en se moquant du monde. En parlant de filou, l’est aussi le génial et fantasque Fernando Arrabal. Un auteur mêlant football et pataphysique, c’est rare ! Aussi rare que le témoignage de l’ancien international tricolore Vikash Dhorasoo (qui confesse d’ailleurs être totalement fan d’Arrabal !). A la fin de sa brillante carrière, Dhorasoo sent que quelque chose ne tourne plus rond dans le football tel qu’il se pratique, tel qu’il s’est professionnalisé à l’extrême. Alors il crée un collectif, Tatane, prônant un football redevenu jeu, faisant passer le plaisir avant tout. L’entretien est dense. Dhorasoo est un agitateur. Il était intéressant de lui donner la parole.
Citons également ce beau texte d’Alexandra Profizi sur l’Iran, les femmes et le football, ce récit à la fois triste et malicieux de l’élimination brésilienne par Nunzio d’Annibale ou encore ce portrait de George Best, icône des sixties et seventies. De Séville à Auxerre en passant par la Bosnie, les Etats-Unis et les Malouines, cette Coupe du Monde racontée par La Règle du Jeu fut l’occasion d’un joli tour du globe. Autant de réflexions et de ponts construits entre Football et Culture à retrouver ici.
Quels enseignements à tirer de ce Mondial ? Comme prévu ce Mondial fut riche en buts et en émotions. Les leçons à en tirer sont nombreuses. La première d’entre elles : organiser une Coupe du Monde dans un véritable pays de football fait toute la différence. En dépit des nombreuses critiques adressées au pays hôte en raison des coûts astronomiques engendrés par la construction de nouveaux stades et par le financement d’infrastructures, le Brésil a prouvé qu’il avait l’habitude d’organiser de grandes compétitions. Tout le monde retiendra la ferveur dans les rues de São Paulo, Porto Alegre et Belo Horizonte mais aussi le plaisir qu’avaient les joueurs à fouler les pelouses d’enceintes aussi mythiques que le Maracanã. Malgré la chaleur parfois étouffante, de l’engouement est né un spectacle de qualité, des matchs dont on se rappellera longtemps : Angleterre–Italie, Espagne–Pays-Bas, ou encore Colombie–Uruguay. Au final, cette édition égale au nombre de buts marqués le record détenu par le Mondial français de 1998 : 171 buts au total dont quelques bijoux, la volée de l’australien Cahill, la tête plongeante du hollandais volant Robin van Persie ou le somptueux enchaînement contrôle-frappe enchaînée du colombien James Rodriguez. Autre enseignement : les belles performances du football sud-américain dans son ensemble. Infiniment plus que le Brésil, c’est le jeu bien léché et porté sur l’attaque des colombiens et des chiliens que l’on conservera en mémoire. L’Argentine, finaliste du Mondial se chargea quant à elle de déjouer les pronostics : on attendait évidemment le Brésil en finale, ce fut finalement l’ennemi ciel et blanc qui fut au rendez-vous de l’ultime joute, solide et efficace, mais surtout bien aidé par un Lionel Messi décisif. Voilà bien une autre tendance à dégager de ce Mondial : l’opposition collectif versus individualités. Deux écoles. D’un coté, des sélections persuadées que le salut viendra d’un bloc-équipe soudé. Ce sont la Grèce, le Costa Rica, le Nigéria mais aussi la France et l’Allemagne. De l’autre, des nations qui se reposent sur un génie qu’elles chargent de changer le cours du jeu, produire l’étincelle, marquer. Une tactique risquée. Voyez le Brésil : tant que Neymar, son petit prodige, était en état de jouer, la Seleção se tirait toujours d’affaire. Mais sitôt qu’une blessure le priva de terrain, le Brésil défaillît. Une défaite 7-1 face à l’Allemagne qui restera dans les annales. Puis une nouvelle déconvenue quelques jours plus tard face aux Pays-Bas scella définitivement le sort des auriverde. Triste fin de Mondial à domicile… Et limogeage d’un Luis Felipe Scolari que l’on imaginait ici même condamné à la peine capitale pour trahison aux principes du Joga Bonito ! Heureusement pour le sectionneur brésilien, la réalité n’est pas si cruelle… Et malgré tout l’Allemagne, efficace, joueuse et bien organisée constitue un beau vainqueur. Un beau mois de football loin des tensions géopolitiques et de la morosité ambiante. L’idée d’un monde qui se retrouve et vibre à l’unisson. Malgré ses imperfections, c’est surtout cela le football !