Certains hommes subissent leur image publique comme on traîne un boulet. D’autres s’en accommodent et réussissent même à transformer  leurs prétendues imperfections en véritables marques de fabrique. Guy Roux est à classer dans cette deuxième catégorie. Né à Colmar en 1938, l’entraîneur mythique de l’AJ Auxerre, assureur de métier et héros provincial, incarne à lui seul une certaine image de la France dans ce qu’elle a d’immuable. Mais il fut aussi, tout un long de sa carrière, un homme résolument tourné vers l’avenir, capable d’abandonner le conservatisme des valeurs pour le progressisme de l’Histoire en marche. Militant de la Décolonisation alors que le sort de l’Algérie divisait les Français, partisan d’une France métissée avant 98, lorsque la France n’était pas encore black-blanc-beur, Roux est sûrement plus complexe qu’on ne le croit. Autre qualité, et pas des moindres, sa passion pour la jeunesse. Si l’on ne devait retenir qu’un rôle pour ce personnage que l’on croit tout droit sorti du cinéma populaire de Gérard Oury, ce serait celui d’éducateur hors-pair. L’entraîneur de l’AJ Auxerre est avant tout un personnage mu par le souci de la transmission de son savoir (une qualité plutôt rare dans l’hexagone).
Longtemps, le bourguignon a capitalisé sur son fameux « bon sens paysan » souvent moqué par les médias et sur lequel il a bâti sa réputation. Les Guignols de l’Info l’ont dit pingre. Canal + l’a dépeint en Harpagon à la fois près de ses sous et tyrannique avec ses joueurs. Mais l’entraîneur à succès ne semble pas devoir se résumer à son image publique. Au delà de l’homme de football, il y a le citoyen doté d’une vision du monde, admirateur du général De Gaulle mais néanmoins confident de Mitterrand, ami de Depardieu, proche de l’homme d’affaires Gérard Bourguoin. Self-made man franchouillard, parfois ferme mais souvent bonhomme, Roux a côtoyé sans complexe les grands de ce monde et parfois même les dictateurs passionnés de football. De savoureux épisodes émaillent ainsi les mémoires de Guy Roux. Celui, surprenant, voyant François Mitterrand offrir une tournée générale à l’équipe auxerroise à l’occasion de la naissance de Mazarine ! A cette époque, il s’agissait bien évidemment d’un secret d’Etat. Pourtant, Guy Roux était sur la voie. Il raconte :
« Un soir de décembre 1974, le patron du Vieux Morvan annonça sur un ton mystérieux que le président du conseil général, c’est-à-dire François Mitterrand, offrait une tournée générale à tous ceux qui se trouvaient dans l’établissement. Il fallait que chacun se tienne prêt. A ma grande surprise, personne ne prit la parole pour le discours que tout le monde attendait. Mais pourquoi un tel silence ? On buvait sans raison apparente ? J’avais cherché la cause qui justifiait ces réjouissances, sans que l’explication ne me soit explicitement communiquée. La direction me souffla simplement, d’un air entendu : « Le président est papa ». Je n’appris que très longtemps après quel enfant nous avions eu l’honneur de fêter. La petite Mazarine, dont le visage et le prénom s’étalèrent plus tard sur les couvertures de journaux. »
Autre épisode, quelques années plus tard. Au cours de vacances à Cuba, Guy Roux rencontre Fidel Castro. On raconte que le lider maximo avait officiellement sollicité l’entraîneur bourguignon pour qu’il enseigne le football au peuple cubain. L’idée était alors on ne peut plus politique : le dictateur se désolait de voir sa jeunesse se passionner pour un sport yankee, le baseball… Il voulait faire de Cuba une place forte du football. Et Castro était prêt à payer le prix qu’il fallait : il alla jusqu’à offrir une île à l’entraîneur français en échange de ses bons et loyaux services… Guy Roux déclina la proposition cubaine. Ce qu’il voulait était simple : montrer à la France du football qu’une gestion raisonnée d’un effectif pouvait donner de formidables résultats. Durant des décennies, les joueurs qui sortirent du centre de formation de l’AJA firent les beaux jours du club bourguignon. Boli, Cantona, Charbonnier, Cissé ou Mexes : menèrent Auxerre vers les sommets puis partirent, contre de belles sommes, vers des horizons certainement plus glorieux. Champion de France en 1994 et quadruple vainqueur de la Coupe de France, Roux aurait pu… Son nom, plusieurs fois cité dans la presse spécialisée, n’obtint pourtant jamais les suffrages des instances dirigeantes du football français. Dommage. Les Nasri, Ben Arfa, Menez, ces joueurs au talent fou mais à l’égo surdimensionné, Guy Roux, qui avait su polir le diamant brut Cantona, aurait peut-être pu les canaliser et leur faire aimer l’Equipe de France.
Vieillissant, l’entraîneur-manager fit le choix de se retirer des terrains en 2007, après une ultime expérience (malheureuse) au RC Lens. Depuis lors, on l’entend régulièrement commenter les matchs à la télévision et à la radio. Des années après la fin de sa carrière, Guy Roux demeure le plus populaire des entraîneurs français.