La lecture est souvent affaire de timing. On lit généralement trop tôt les grands classiques et trop tard certains monuments de la littérature étrangère. Si bien que l’on passe parfois à côté du choc et des bouleversements intimes qu’ils doivent, chacun leur tour, susciter. Il s’agit d’un véritable drame ! Un drame feutré, certes. Mais un drame tout de même… A contrario, certains autres livres s’ouvrent toujours au bon moment. J’en veux pour preuve celui de la philosophe Marie Robert, Descartes pour les jours de doute, publié aux éditions Flammarion. Il se joue là, dans ces deux cent trois pages inspirantes, un dialogue livrant l’intime à la philosophie, la vie quotidienne aux théories des penseurs, le train-train normal à la sagesse des siècles passés. Le voyage vaut le détour. Mieux, il remet les idées en place ! Marie Robert n’en est pas à son coup d’essai. En 2018, elle publiait Kant tu ne sais plus quoi faire il reste la philo, déjà chroniqué dans La Règle du jeu. Voilà le couvert remis. De Ricoeur à Valéry, de Voltaire à Baudrillard, c’est un nouveau manuel de survie à l’époque moderne que propose Marie Robert. L’optique est toujours concrète et didactique (on reconnaît bien là l’enseignante en français et en philosophie, cofondatrice de deux écoles Montessori). Les références, elles, sont solides autant qu’inattendues. Foucault nous sert ainsi à résister à un patron trop intrusif, Rousseau à supporter une journée à Disneyland avec sa marmaille surexcitée, Camus nous guide sur le chemin de la reconnexion avec la nature tandis que Montaigne nous dicte l’urgence de freiner, de ralentir… Le résultat – et c’est assez rare en philosophie pour être signalé – parlera à tout lecteur. C’est en cela qu’il nous interpelle. Comment fait donc Marie Robert pour arriver à un tel résultat ? Par quel miracle réussit-elle à nous amener en dehors de notre enveloppe pour une véritable introspection par ses leçons sur la modernité, le mariage, la timidité, l’éducation, la maladie ? La réponse réside en une savante combinaison de chaleur et d’écoute, de modernité et de bienveillance. En cela, il se pourrait d’ailleurs que la fonction de philosophe soit en train de muter. Qu’elle se transforme, sous nos yeux et par l’ouïe, au gré de la mode des podcasts ultra narratifs, du développement personnel et des mantras diffusés sur Instagram, en coach du quotidien.

Voilà donc que la parole du philosophe ne se cantonne au public expert des universités mais également au quidam en quête de sagesse. Voilà donc que nos jeunes philosophes interviennent. Ils s’appuient sur la pop culture, interviennent dans Konbini et Brut mais également dans La Règle du jeu. Cela ressemble justement à la personnalité de l’auteure. Un pied dedans, un pied dehors. L’esprit dans les livres et le regard porté sur le monde. La recette fonctionne au-delà des espérances. On voit Robert et sa bienveillance conquérante à la télé, à la radio, dans la presse et surtout en librairie. Kant tu ne sais plus quoi faire il reste la philo, le précédent livre de la philosophe, a d’ailleurs fait l’objet de multiples traductions à travers le monde, une quinzaine nous souffle-t-on. «Mon ambition, explique la principale intéressée, est précisément d’offrir un autre regard sur les crises dont l’actualité nous assaille, et celles que nous traversons tous au cours de nos vies. Plus qu’une réponse, un guide pratique ou une solution clé en main, les philosophes nous aident à prendre du recul, à suivre une hypothèse différente, à considérer la situation sous un nouveau jour. Au bout du compte, ce mouvement de réflexion nous apaise et évite l’hystérie, la surenchère d’émotions et de commentaires ! Boire un café avec Spinoza, penser avec Descartes, c’est prendre ce temps pour penser au lieu de réagir».


Descartes pour les jours de doute, de Marie Robert. Flammarion/Versilio, 203 pages. 16,90€.