Première popstar du football, génie précoce d’un sport encore largement romantique, George Best dépassait largement le cadre de son sport : il incarnait son époque ! Les cheveux dans le vent, le maillot sorti du short, Best virevoltait balle au pied. Ses dribbles bien particuliers, des coups de rein fabuleusement suggestifs, faisaient frissonner les supporters. Devant leurs postes de télé, les jeunes femmes se pâmaient. Le geste best-ial d’esquive devenait soudain l’égal du mouvement de bassin d’Elvis, il évoquait la libération sexuelle, l’entrée de plein pied dans une époque ou l’on autorisait tout au nom de l’Amour. Best transpirait le sexe, il n’y a qu’à écouter les foules haletantes, gémissantes et jouissantes lorsqu’il s’emparait du ballon pour s’en persuader… Le cuir justement, il ne le lâchait vraiment que la mort dans l’âme, lorsqu’il était acculé par ses adversaires, lorsque ses propres coéquipiers l’invectivaient, lorsqu’il n’avait finalement plus d’autre choix. Ainsi jouait Georgie, s’amusant avec ses adversaires, évitant les tacles assassins de défenseurs dépassés par sa maestria, exaspérant souvent ses entraîneurs. Best avait un don. Il usait et abusait de ses talents d’attaquant, travaillait fort à l’entraînement mais voilà, Best ne s’entraînait pas souvent… A ses cotés, dans le même vestiaire, Bobby Charlton, crâne dégarni, flegme tout ce qu’il y a de plus britannique et superbe vision du jeu. Charlton fut plus tard anobli par la Reine Elisabeth. Avec Denis Law, nos trois compères formaient une ligne d’attaque demeurée dans la légende. Le meilleur du football britannique. Sauf que Best et Charlton se détestaient au point de rechigner à se passer la balle. Jamais les deux joueurs ne se sont compris puisque le natif de Belfast tentait inexorablement l’impossible tandis que le rescapé du crash de Munich cherchait toujours l’efficacité immédiate, la passe juste, au bon moment. Deux styles diamétralement opposés, deux façons de jouer au football. Voilà pour l’explication sportive. Mais le facteur humain entrait également en jeu. Charlton, personnifiait l’Angleterre éternelle, sérieuse et appliquée. Best, incarnait quant à lui l’outsider venu du Nord, l’enfant génial mais capricieux et rétif à l’autorité. Une génération séparait les deux emblèmes du club de Manchester United. Tandis que Bobby Charlton ne reconnaissait même pas John Lennon et Paul McCartney venus un jour le saluer, Best était surnommé le Cinquième Beatles, fréquentait les stars du rock et collectionnait les voitures de sport. C’est tout cela et plus encore que raconte Vincent Duluc, journaliste à l’Equipe, dans une excellente biographie parue récemment chez Stock. La vie du joueur nord-irlandais couchée sur papier dans un style d’une finesse absolue. Dans le Cinquième Beatles, Best est décrit sans être trahi, dans toute sa complexité. Telle une figure des sixties, entre frasques et coups de génie. Son alcoolisme notoire, son amour de la flambe, son personnage de Don Juan, tout est là. On dirait un film.

Au fil des pages, on comprend. Au-delà de ses performances sportives, si Best est devenu mythique, c’est aussi parce qu’il incarnait un autre possible en dehors des terrains. « En 1969, disait-il, j’ai arrêté les femmes et l’alcool, ça a été les 20 minutes les plus dures de ma vie. ». Insatiable séducteur, le joueur collectionnait les femmes comme il collectionnait les Jaguars Type E, les Lotus Europa et les Rolls Royce, avec un net penchant pour les grandes blondes. On vit ainsi Georgie aux bras de James Bond girls, d’actrices, de chanteuses, d’hôtesses de l’air, de femmes de bourgeois ou de secrétaires. Le plus souvent il ne s’agit pas de femmes, non, mais bien de créatures hallucinantes tout droit sorties du papier glacé des magazines. Sur les photos, Best et ses conquêtes semblent irréels. Ils incarnent la fureur de vivre, le souvenir d’une époque grandiose où la musique, le sport, la littérature, la mode, la philosophie et la politique s’influençaient mutuellement. Pourquoi les fans de football adoraient-ils George Best ? Car il vivait, en vrai, tous les rêves que l’on pensait inexauçables. A la fin de sa vie, les souvenirs s’amoncelaient. Imbibé d’alcool, le corps bouffi par le laisser-aller mais l’œil demeuré malicieux, l’ancien joueur sillonnait l’Angleterre pour raconter les anecdotes de sa vie dorée. Les Miss constituaient par exemple son péché mignon. Une passion qui donna à la postérité une citation qui résume, à elle seule, tout ce qu’il faut comprendre de Best : « Je n’ai pas couché avec sept miss monde ; seulement quatre. Pour les trois trois autres, je ne suis jamais allé au rendez-vous ! » .

Arrivé à 22 ans au sommet de son art, puis portant à bout de bras un club de Manchester United affaibli par la tragédie de Munich, Best fit rêver l’Angleterre durant onze années. Et puisque Best ne faisait rien comme tout le monde, à 27 ans, il prenait déjà sa retraite. Il avait perdu l’envie de jouer… Deux années durant, entre 1974 et 1976, il jouit sans entrave, enchaînant les fêtes et les conquêtes, apparaissant et disparaissant à sa guise, une fois à Chelsea, l’autre à Manhattan, parfois en Afrique du Sud, souvent en Espagne. Puis la passion pour son sport le rattrapa. Il partit donc à la conquête de l’Ouest, vers l’Amérique où le soccer naissait à peine, pour un retour à la compétition à Los Angeles, puis à Fort Lauderdale et San José. Toujours au soleil. Aux Etats-Unis, où le niveau était alors plusieurs crans en dessous du championnat anglais, Best avait retrouvé un poids décent. Il arborait désormais une grosse barbe à la Jim Morrison, vivait en bermuda. Le néo-californien semblait revivre : il avait racheté un restaurant, côtoyait les stars hollywoodiennes et marquait des buts sensationnels une fois le week-end venu. Surtout, il pouvait se promener sans qu’une meute de paparazzis ne le pourchasse, découvrait enfin le luxe de l’anonymat retrouvé. De l’autre coté de l’Océan, en Angleterre, on se moquait de Best. Les observateurs disaient qu’il était fini mais bizarrement on espérait tout de même son retour. Les supporters réclamaient ses coups de génie, les tabloïds avaient besoin de dérapages, les groupies convoitaient son corps. Tout le monde demandait Best à corps et à cris ! Alors Georgie revint jouer à Fulham, puis aux Hibs, en Ecosse. Mais sa gloire était passée, son corps trop usé. Sur le terrain, le talent de Best ne s’exprimait plus que par bribes fugaces. Il ne débordait plus avec la même intensité, n’inquiétait plus les défenseurs avec son genou fatigué. Pire, il renouait avec les excès. Pendant ce temps, dans un curieux parallélisme familial, la mère de Georgie, demeurée à Belfast et lassée de voir son fils s’empêtrer dans un style de vie destructeur, commençait à boire…

Finalement, le drame de Best fut certainement son époque. Et puis son nom. Quand on s’appelle Best, on est condamné à mener une vie différente de l’existence sinon médiocre en tout cas moyenne du commun des mortels. Et pour se distinguer, croyez-le bien, Best fut le meilleur ! Ses exploits sportifs puis ses frasques faisaient la une des journaux, Best était abonné aux pages people des magazines, des dizaines de biographies lui furent consacrées, on lui dédiait des émissions spéciales en prime time sur la BBC et des documentaires. Même dans les années 90, alors qu’il ne jouait plus au football depuis longtemps, Best continuait à être traqué. On lui demandait son avis sur tout, on le prenait en photo, on chroniquait chacune des stations de son chemin de croix. Déchiquetant ce qu’il avait adoré, le public britannique se délectait de sa lente descente aux enfers… Accro à la médiatisation comme à l’alcool, l’idole déchue en redemandait ! Le spectacle devint sordide et confinait au voyeurisme… Racontée avec pudeur et intelligence dans le livre de Duluc, la fin de la vie du footballeur-popstar est d’une tristesse à mourir. Greffe du foie, mariages bousillés, conduite en état d’ivresse, infection pulmonaire. Best a brulé sa chandelle, il s’est finalement éteint en 2005 sous les yeux d’un fils pour lequel il n’a jamais été un modèle et d’un père qu’il avait fini par abandonner. Subsiste malgré tout le mythe. A l’occasion de ses obsèques, 300 000 personnes se massèrent à Belfast pour lui rendre un dernier hommage. On joua la chanson « The Long and Winding Road » de ses amis les Beatles. Longue et sinueuse… Telle fut la vie de ce diable de George Best, emblème d’une époque qui vivait fort et prisonnier d’un passé glorieux qu’il faisait tout pour retenir…

Un commentaire

  1. « l’entrée de plein pied dans une époque… » L’expression correcte n’est-elle pas « entrer de plain-pied » ? (avec peut-être un sens légèrement différent de celui que l’auteur lui a prêté…) À part ça, l’article est bien écrit et le sujet est intéressant.