Vikash Dhorasoo est un homme à part dans le milieu du football. Formé au Havre, le meneur de jeu de poche tape rapidement dans l’œil des recruteurs puis s’envole vers l’Olympique Lyonnais où il va se faire connaître du grand public. Son jeu de passes et l’intelligence de ses déplacements en font un joueur précieux dans un effectif, en dépit d’un caractère que certains jugent bien trempé. Comme une suite logique à ses bonnes performances, l’Equipe de France va tendre les bras à Vikash Dhorasoo. On connaît la suite. Le Milan A.C., géant du football italien, le recrute en 2004. Dhorasoo cotoie alors le très haut niveau et découvre un autre football. Mais Dhorasoo est bien plus qu’un footballeur. Avec les années, le joueur va progressivement se lasser du milieu du football et de ses excès. Lorsqu’il participe à la Coupe du Monde en 2006 avec l’Equipe de France, il réalise à quel point il est en décalage avec son sport. Dhorasoo en tire un film, Substitute, dans lequel il montre son quotidien de remplaçant. Le football a changé. Il le sait. Alors Vikash Dhorasoo s’interroge. A l’issue de sa carrière, accompagné de quelques amis, il crée le collectif Tatane et milite pour que son sport redevienne avant tout un jeu. Dhorasoo est un joueur rare. Comme Cantona ou Socrates, il est fait figure d’exception. Un véritable intellectuel du football. Entretien.

Laurent-David Samama : Quels sont les éléments qui, à la fin de ta carrière, t’ont poussé à lancer Tatane (un mouvement collectif et populaire pour un football durable et joyeux, ndlr.) ? Et d’ailleurs, lorsque tu étais au Milan A.C. puis au PSG, imaginais-tu de prendre des engagements politiques ou associatifs ?

Vikash Dhorasoo : Avec ce qu’il s’est passé à la Coupe du Monde, en 2006, j’ai compris que je n’avais plus le niveau physique et mental requis. J’avais résisté dans un milieu qui était dur. Un milieu de business, d’argent, de concurrence et de compétition. Je n’avais plus en moi tout ça. Et c’est à ce moment que j’ai compris que c’était la fin. Je voulais retourner à un autre football. Evidement, jouer au foot, ça ne m’intéresse qu’à très haut niveau. C’est-à-dire jusqu’au niveau où moi je pouvais jouer. Avec et contre des grands joueurs. Aujourd’hui, avec Tatane, c’est sympa parce que l’on joue un football différent. A la fin de ma carrière, j’ai beaucoup écrit pour Le Monde, ce qui m’a permis de réfléchir et d’affiner mon point de vue. Un jour Pierre Walfisz (producteur et directeur artistique, ndlr.) avec qui je faisais beaucoup de choses et qui écrivait aussi pour Le Monde, a réfléchi à ce manifeste que l’on a écrit à trois avec Brieux Férot (du magazine So Foot, ndlr.). On l’a lancé, comme ça, sur Internet, sans vraiment savoir ce qui allait se passer et  finalement l’accueil a été très bon.

LDS : Tatane, ta vision du football : tu penses que c’est une vision du sport qui s’est imposée avec le temps, parce que les gens en ont marre de ce qu’ils voient dans le football, du bling-bling et de la façon dont le football s’organise ?

VD : Les gens croient que les dérives du foot sont le foot. Mais ce n’est pas le cas ! Le football c’est formidable, même à très haut niveau, même lorsque c’est organisé par la FIFA, ça reste bien. Les gens sont sans arrêt dans la critique de ce foot corrompu, dopé et  arrogant. Mais en même temps, ils ne sont pas prêts à éteindre leur télé. Ils continuent de le regarder car ils l’aiment aussi… On critique les joueurs de foot parce qu’ils sont égoïstes, prétentieux et qu’ils ont perdu le sourire. Alors que le foot, c’est juste une façon d’être ensemble.

LDS : En te voyant jouer à Lyon, au Milan, à Paris, j’ai toujours eu l’impression que tu étais un joueur conscient. Conscient du milieu dans lequel il évoluait, conscient de ce qu’il se passait autour de toi…

VD : J’en étais conscient, c’est vrai, mais j’ai tout de même évolué dans ce milieu comme eux le font. Sauf que j’y étais en essayant de rester connecté à la réalité, ce qui était difficile parce que l’on vit dans un monde qui n’existe pas. Une sorte de bulle.

LDS : Justement, n’était-ce pas plus pénible d’être conscient, d’avoir du recul dans un monde qui en est dépourvu ?

VD : J’aimais beaucoup le foot. C’était mon métier et j’étais « construit » pour ça. Mais effectivement, j’ai essayé de ne pas me déconnecter du monde réel. J’aime beaucoup la politique aussi et ça a changé mon rapport à mon métier. Ce qui est triste pour ces gamins, parce que ce sont des gamins, c’est le fait qu’ils ont complètement été déconnectés pour servir le libéralisme. On a formé les footballeurs pour qu’ils puissent partir, être transférés et faire fonctionner le système. Car le business du foot fonctionne sur les transferts. Ce sont les transferts qui font qu’il y a de l’argent qui circule. On vend des joueurs, on les transfert…

LDS : Au bout de ton engagement, il y a aujourd’hui Tatane, le livre. Comment en es-tu arrivé là? Comment as-tu réuni Bouzar, Berberian et Pénélope Bagieu qui illustrent les règles alternatives du football édictées par Tatane ?

VD : Tatane, c’est avant tout un travail collectif. On est neuf et on fait nos règles. On a fait des tournois de football avec des gamins dans les quartiers. D’ailleurs, on a signé un partenariat avec la Mairie du 18ème arrondissement de Paris à ce sujet. Maintenant, j’aimerais aller organiser ces matchs dans une prison. La prison a un rapport étroit avec la loi et le football a un rapport à la règle. C’est la prochaine étape.
Je reprends. Nous avons écrit dix règles et puis un jour on s’est dit qu’on allait en faire cinquante, puis cent… Il y a des règles que j’ai utilisées à l’entraînement et il y a des règles qu’on a surtout utilisées en bas de l’immeuble. Un jour, j’ai invité Pénélope Bagieu (dessinatrice de bande-dessinée, ndlr.) à venir à une Tatane party. Elle revenait d’Inde et elle est directement venue depuis la descente de son avion. Je lui ai présenté ce qu’on faisait avec nos règles. Je lui ai demandé si elle voulait les illustrer. Puis on a décidé de proposer l’illustration à plusieurs autres dessinateurs. On a fait une proposition à Gallimard, qui était tout de suite partant. J’ai aussi appelé Charles Berberian (dessinateur de bande-dessinée, ndlr.) que je connais bien. Yassine Bouzar qui bosse pour So Foot également. Ca a été assez simple car tout le monde était enthousiaste. Gallimard a travaillé avec eux autour d’une règle qu’on a choisie ensemble. Un travail collectif. On a tout retravaillé, réécrit et au final les dessinateurs on collé un dessin qui va avec chaque règle. Ca donne un livre super !
On est content d’aller en parler maintenant. Personne ne nous a dit que c’était nul. On nous répète souvent qu’on est utopiste chez Tatane mais au final on a eu raison et on a réussit. Bon, je ne suis pas allé chez Pascal Praud (journaliste sportif, ndlr.) même si je pense que François Pinet (journaliste itélé pour l’émission 20h Foot, ndlr.) aurait rigolé grâce à notre livre… Mais ce n’est pas grave, on est sûr de nous et de ce que l’on a fait.
C’est une belle aventure, on est content. J’espère que les gens s’en amusent et qu’ils utilisent Tatane pour prendre du plaisir. Par exemple, tu prends la règle « Juan Sebastián Verón ». Cette règle complique le jeu car avec elle tu n’as plus le droit de courir, tu marches sur le terrain. Du coup tout le monde peut y jouer et s’amuser.

LDS : Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est qu’il y a deux ou trois règles inspirées de la politique…

VD : Oui c’est vrai, il y a la « Chirac », la « Jospin »… et puis la « Besson » mais qui finalement s’appelle la « Judas »…

LDS : Est-ce qu’il y a des équipes dans cette Coupe du Monde qui pourraient incarner plus ou moins Tatane et au contraire d’autres équipes qui seraient « anti Tatane » ?

VD : Paradoxalement, l’équipe du Brésil est peut-être la moins Tatane du lot. Alors que la sélection allemande, malgré les apparences est sûrement le plus Tatane, avec la Belgique peut-être. C’est marrant comme ça s’est inversé. Tu regardes ces deux équipes, ce sont des beaux mélanges, assez hétérogènes, avec une belle profondeur de banc. Il y a vraiment des bons joueurs dans ces deux équipes. Alors qu’avec le Brésil, on a l’impression que ce ne sont que des joueurs durs qui défendent. C’est peut-être l’effet Luiz Felipe Scolari. Scolari est sûrement le moins Tatane des entraîneurs. Ses équipes ne jouent pas au foot et puis à part Neymar qui est spectaculaire, tous les autres joueurs sont assez durs.

LDS : Selon toi, les amateurs de football, très exigeants, ne condamnent-ils pas la Seleçao brésilienne à n’être qu’un mythe ? Une sélection qui déçoit forcément si lorsqu’elle ne survole pas les compétitions ?

VD : Oui, nous sommes tous encore dans ce souvenir, cette nostalgie du Brésil 1970 et 1982. C’est vrai que l’équipe de Telê Santana était juste incroyable, c’est sûrement la plus belle équipe de tous les temps. A ce propos, j’ai lu le livre de Vincent Duluc sur Georges Best qui est très bien. Il disait de cette équipe « qu’elle est magique mais malheureusement pas invincible… », et c’est justement la défaite qui fait aussi la beauté de ces équipes.

LSD : On touche ici aux légendaires « looseurs magnifiques », toutes ces fameuses équipes qui ne remportent aucun trophée mais marquent tout de même l’imaginaire. So Foot en avait fait un numéro spécial.

VD : Oui voilà, c’est par exemple l’équipe de France 1982 et sa défaite contre la RFA. Tigana, Giresse, Platini, Rocheteau. Cette équipe était fascinante…

LSD : Je voulais aussi que l’on évoque ton parcours chez les jeunes au HAC (Le Havre) ainsi que le rôle de tes parents. Quel souvenir gardes-tu de l’époque de ta formation ?

VD : Alors j’ai vite été un espoir. Je suis allé au HAC, le principal club de la ville du Havre. Et évidemment pour faire une carrière, il faut que ta famille suive. Il faut avoir ses parents avec soi, sinon c’est compliqué. Les miens ne me poussaient pas, ils étaient simplement derrière moi, ils me soutenaient. Mais j’étais un cas tout à fait normal au sein d’une époque qui était différente de maintenant. Un exemple : je rentrais chez moi tous les soirs, j’allais à l’école puis au lycée et à la fac. J’ai simplement passé mon Bac par correspondance parce que le club, à ce moment-là, m’a mis la pression car j’étais payé alors que je ne m’entraînais pas avec le centre de formation. Mais autrement, je faisais des rencontres et je croisais des filles, ce qui est super important. Là, on touche à la différence avec la formation actuelle. Moi, tous les soirs, je rentrais chez mes parents. J’avais en quelque sorte une vie normale. Alors qu’au centre de formation, les gars sont tout le temps entre eux, ils ne voient personne. Quand tu ne vois pas de fille, tu deviens fou. C’est un environnement très viril, très cloisonné. Et puis, il y a ce rapport de séduction, de jeu, de prise de risques et d’échec… On leur fait cultiver ce truc hormonal, ce sentiment de puissance. Je ne voudrais pas être ces enfants-là. Ca doit être malheureux et triste car ils n’ont pas développé cette curiosité durant leur jeunesse alors que c’est indispensable. Ils ne savent pas vraiment ce qu’est le monde.

LDS : Connaître le monde… Cela ne vient-il pas, plus tard, avec l’expérience des terrains ?

VD : Non clairement, c’est déjà trop tard. Tu développes ça quand tu es petit. Par exemple, je propose plein de choses à mes enfants. Elles ont le droit de ne rien faire aussi. Mais elles touchent à différentes choses. Elles ont le droit de tenter, de changer et de faire d’autres choses. Alors que les footballeurs, évidemment, on ne peut pas les emmener au théâtre ou dans les musées car si on commence à leur proposer plein de distractions, ils ne seront plus de bons footballeurs. Aujourd’hui, pour être un bon footballeur, il faut être une machine. Un peu comme quand tu veux faire l’ENA, il faut être une machine. Quand tu veux faire partie de l’élite de quelque chose, forcément ça abîme, ça fracasse… Ces gens-là (les footballeurs) ne savent pas ce que c’est le monde. Quand on entend ce que dit Platini, c’est très représentatif. Même lui est capable de ne plus être connecté – ou alors il dit les choses consciemment et c’est encore pire…

LDS : Avec Tatane, là où le jeu est remis au centre, il y a aussi une volonté de rendre le football un peu plus intello, de lui rendre ses lettres de noblesse qu’il n’avait plus en France ?

VD : En tout cas, j’aimerais dire aux gens qui regardent le football de ne pas avoir de mépris pour les footballeurs. Il faut avoir beaucoup d’indulgence. Ce ne sont pas des gens bêtes, ils méritent un autre traitement que celui du populisme ambiant et du lynchage médiatique qu’on leur inflige dès qu’ils perdent. C’est tout simplement un rapport à la victoire et la défaite. En ce moment, il paraît que l’équipe de France est joyeuse et que tout se passe bien en son sein, mais s’ils perdent et qu’ils sont éliminés, subitement, ce seront des sales types… Si on pouvait connecter ces joueurs de foot à la société, on verrait qu’ils s’intéressent à des choses. Ils ont leur propre culture, elle est peut-être différente, mais ils en ont une. Le seul problème est qu’ils ne s’ouvrent pas beaucoup.

LDS : La pression des médias et celle des agents ne brideraient-elles pas les joueurs ?

VD : Oui, bien sûr. Regarde le monde dans lequel on vit aujourd’hui. Je parle de la société des réseaux sociaux, de Twitter et de Facebook. Les footballeurs vivent là-dedans eux aussi. De fait, ils n’ont plus aucune liberté car on peut les piéger à tout moment. Alors ils se retrouvent dans le contrôle en permanence… Ils doivent contrôler leurs paroles sans arrêt. Les joueurs ne s’ouvrent pas du tout car ils se sentent en danger partout. S’exprimer est devenu quelque chose de dangereux pour eux donc ils ont peur, constamment. A l’époque, quand je jouais, lorsque je disais une bêtise au micro de France Bleu, cette bêtise restait à France Bleu. Alors que maintenant si tu dis un mot de travers, t’es foutu.

LDS : Un livre compilant les pires déclarations de Franck Ribéry est récemment sorti. Derrière la blague, quelque chose d’assez dérangeant : on sent là un vrai mépris des auteurs pour les footballeurs…

VD : Je n’ai pas lu ce livre. Mais si c’est pour rire de Ribéry par rapport à son instruction, son éducation et si ça consiste à se moquer méchamment de lui, ce n’est pas bien.

LDS : N’est-ce pas aussi la légitimité de la richesse du joueur star que l’on attaque par ce procédé ?

VD : Oui… Dans l’esprit des gens, les footballeurs ne sont pas légitimes. On gagne de l’argent qu’on ne mérite pas. On vient des quartiers populaires, on est noirs et arabes, on n’est pas instruits, alors on ne mérite pas l’argent que l’on gagne. Mais il y a tellement de gens qui gagnent beaucoup d’argent… A quel moment gagne-t-on beaucoup d’argent ? J’aimerais bien connaître le salaire d’Antoine de Caunes, de Claire Chazal ou de Catherine Deneuve…

LDS : De ton coté, tu prends un chemin de plus en plus artistique. As-tu la volonté de construire une carrière, de nouvelles envies de cinéma et d’écriture ou bien est-ce simplement du coup par coup ?

VD : Au départ, c’est au coup par coup. Je ne pense pas au cinéma. Par contre, j’aime écrire donc je vais continuer à écrire. J’aimerais bien écrire ce qu’il m’est arrivé dans ma vie de footballeur. Surtout pour montrer aux gens que devenir footballeur c’est très dur, comme pour beaucoup d’autres métiers d’ailleurs. Et même si à l’arrivée, on gagne beaucoup d’argent, ça reste très dur. Il y  a beaucoup de candidats et peu d’élus, beaucoup de jeunes restent sur le carreau et même pour ceux qui passent la sélection, c’est une vie de souffrances, avec des plaisirs certes, mais aussi beaucoup de moments difficiles et de blessures.

LDS : Est-ce que, justement, tu as le sentiment que ton corps est meurtri et que tu paies toutes ces années au plus haut niveau ?

VD : Non pas forcément. J’ai plutôt l’impression de m’en sortir pas trop mal. Peut-être qu’en vieillissant ça ira moins bien. J’ai tout de même joué toute ma carrière avec une cheville complètement bousillée et je n’ai jamais pris de plaisir à aller m’entraîner. C’était une inquiétude. J’ai eu des blessures toute ma jeunesse. J’ai été opéré deux fois pour des choses que personne ne peut avoir. Quelqu’un de normal n’a pas ce que j’ai, même si je vais bien. J’ai une amie qui a fait du piano à très haut niveau et elle me disait qu’elle avait les doigts totalement abîmés. C’est un peu pareil. Alors voilà, tout cela, ce sont des choses que j’aimerais bien écrire, en racontant aussi les moments joyeux et amusants. Peut-être aurais-je envie de la faire sous forme de BD. Ca pourrait me plaire plus que de l’écrire ordinairement. J’ai beaucoup aimé la biographie d’André Agassi par exemple.

LDS : Il raconte sa haine du tennis et y explique son style qui en réalité masquait un véritable rejet du tennis…

VD : Oui voilà. J’ai ce projet-là. Et puis surtout, j’aimerais redevenir une personne normale.

LDS : Est-ce vraiment possible lorsque le regard des gens te rappelle constamment ta célébrité ?

VD : Non, pas pour l’instant… Mais peut-être plus tard. Bon, en plus, moi j’ai une tête qui est facilement reconnaissable ! En tout cas, je ne veux pas servir ce business qui me dégoûte et qui est d’un cynisme incroyable. Je trouve que les médias et, en particulier la télévision, n’ont pas de mémoire. On propose des choses inintéressantes aux gens et tout le monde les regarde. Alors le foot à la télé, je ne t’en parle même pas… Ne serait-ce que la diffusion du foot et le commentaire du match, c’est nul !

LDS : Selon toi, la télévision s’appauvrit. Il y a dix ou quinze ans, on voyait des personnalités avec un peu plus de choses à proposer, on voyait des gens qui avaient un vrai style, une vraie voix.

VD : Oui, ça c’est sûr. Quand on compare l’émission Nulle part ailleurs et le Grand Journal de Canal+ aujourd’hui, on voit l’évolution…

LDS : Et en même temps, n’as-tu pas l’impression que les jeunes commencent doucement à réinvestir le champ culturel ? Il y a par exemple l’excellente revue DESPORTS, très bien écrite… Il y a aussi la vague du « Football vrai », qui se rapproche un peu de ce que tu fais avec Tatane. Et puis il y a ce rejet de plus en plus fort envers la FIFA, le foot business…

VD : Oui c’est vrai, on est finalement beaucoup à avoir cet état d’esprit. Au départ avec Tatane, on pensait être un peu les premiers, on a cru débarquer et être géniaux, alors que pas du tout ! Il y avait plein de gens qui faisaient beaucoup d’autres choses un peu alternatives et très intéressantes. Désormais, à chaque fois que l’on fait un événement avec Tatane, on se connecte à toutes ces personnes. Le cercle grossit.

LDS : Tatane, c’est surtout une réflexion autour du jeu. Penses-tu qu’il est aujourd’hui possible de révolutionner le football et la manière dont on le joue en étant entraîneur ?

VD : (Prenant le temps de la réflexion) Les dernières grandes révolutions dans le football professionnel datent…

LDS : Le jeu du FC Barcelone, même s’il masque un véritable business, représente-t-il un idéal pour toi ?

VD : A vrai dire, je m’ennuie beaucoup à regarder le foot. J’ai regardé dernièrement la finale de la Ligue des Champions qui opposait le Real Madrid à l’Atletico de Madrid. C’était un super match mais bon, il ne se passe pas grand chose. Je m’ennuie autant à regarder le Barça que le Chelsea de José Mourinho. Il n’y a plus d’espaces…

LDS : Et ce début de Coupe du Monde, comment le juges-tu ?

VD : Les premiers matchs de la Coupe du Monde sont vraiment pas mal ! C’est un très joli Mondial. Par exemple, le Allemagne-Portugal était très bon. C’est parti parce qu’il y a eu un but très rapidement. Pour revenir sur le Brésil-Croatie, le Brésil a eu beaucoup de mal parce que la Croatie a quand même refusé de rejouer et que tous ses contres étaient dangereux.

LDS : D’après toi, c’est en étant le Président d’un club ou son l’entraîneur que l’on peut faire évoluer les choses ?

VD : Oui bien sûr l’entraîneur peut décider de faire bouger certaines choses. Par exemple dans le profil des joueurs que le club achète. C’est déterminant.

LDS : Tu y as cru à cet engagement-là? Je fais référence à ton projet (de devenir président du club du Havre, ndlr.) qui a été refusé. A priori c’était plutôt bien ficelé; Pourquoi n’en ont-ils pas voulu ?

VD : Là, c’est simple. C’est un club qui appartient à deux cents actionnaires et les mafias locales sont très puissantes, alors ils nous ont renvoyés très sèchement. On s’est retrouvé confronté à des locaux très réac et conservateurs et puis ils nous on vu arriver avec Laurent Ruquier, des gens de toutes origines et ça ne pouvait pas se faire… Mais bon, ça a été une bonne leçon et c’est fini. On a cru pouvoir changer un peu le football de l’intérieur alors qu’en fait c’est impossible, sauf si tu as beaucoup d’argent.

LDS : Du coup, la révolution ne viendra-t-elle pas de gens qui innovent, comme à Tatane ou So Foot ?

VD : Oui bien sûr et on va continuer à les pousser à coups de tatane ! Le problème, en France, est que l’on préfère s’entourer de gens médiocres plutôt que de ceux qui ont des idées novatrices… Du coup, ces jeunes à qui l’on refuse tout se doivent de créer eux-mêmes leur propre avenir.

LDS : Chez Tatane, vous défendez un football de gauche ?

VD : Non, non. Tatane est apolitique. Seulement chez Tatane, on veut que tous les gens qui aiment le jeu, qui aiment boire des coups et faire de pique-nique se rassemblent, or le capitalisme n’aime pas ça. Chez Tatane, l’un des principes est de dire « On a perdu, on a gagné, on s’est bien amusé ».

LDS : Un discours que l’on n’entend plus beaucoup…

VD : Quand je jouais au Milan AC, on a joué une finale de Coupe des champions, on menait 3-0, on s’est fait remonter à 3-3 et puis finalement on a perdu aux tirs-aux-buts alors qu’on avait une équipe incroyable, avec beaucoup de champions. Quand je suis rentré dans le vestiaire à la fin du match, les joueurs pleuraient. A ce moment-là, Adriano Galliani est entré dans le vestiaire et a dit  « Le Milan est un grand club et demain matin, le Milan sera toujours un grand club ». Là j’étais fier, c’était une vraie leçon de football. Cela veut dire que les champions se construisent toujours dans la défaite, jamais dans la victoire. Que l’on gagne ou que l’on perde, ça restait toujours la même chose au Milan AC. Quand je vois à l’inverse avec Lyon, qui a été champion sept fois de suite et que la huitième année, les joueurs se font insulter par les supporters parce que leur club n’est pas champion, je trouve ça terrible. Jean-Michel Aulas (le Président du club, ndlr.) venait de remporter sept titres d’affilée et il est allé lui-même calmer les supporters qui insultaient le club et les joueurs. Les supporteurs n’ont pas mémoire sur cet aspect et c’est quelque chose d’assez navrant…

Propos recueillis par Laurent-David Samama