Simon Blin – Fernando Arrabal, une Coupe du Monde au Brésil, ça vous inspire quoi ?
F. A. : On rêve d’une équipe de Bakounines du football. De Lautréamonts de l’insoumission. D’un peloton de conquistadors chaussant des bottes de sept lieus. De la bande à Bonnot de la subversion. De Villons à l’assaut du Parnasse. Et des pieds de danseuse.
Le football nous enchante. Presque autant que les échecs.
S. B. : Vous êtes plutôt football samba ou football bossa nova ?
F. A. : Je préfère le football panique. Célébrant la cérémonie de la confusion. Et le sortilège de l’inexactitude. Avec le football le passé revient. Pendant 90 minutes. Avec des vers surréalistes. Et mieux encore : avec la poésie pataphysique. La lévitation est beaucoup moins chère que la télépathie à haute définition.
S. B. : Quelle équipe supportez vous ?
F. A. : Par pur raccroc j’ai prédit dans « So Foot », une semaine avant l’Afrique du Sud, que l’Espagne remporterait la Coupe du Monde. Pourquoi ? Parce que c’était la seule équipe qui bénéficiait d’un « médiateur » sans voix, ni autorité. Quatre ans plus tard l’intermédiaire, l’assis, recevait le titre de « MAR-QUÉS. Et même les joueurs y ont cru.
Le football est un sport… ininterrompu. Sans fractures. On le regarde d’une seule traite. Il n’a rien à voir avec les quatre sports « américains ». Qu’on avale petit à petit. Comme des pilules. Avec des commissionnaires disposés aux quatre crêtes du stade. Qui mesurent tout. Qui chronomètrent les respirations et les soupirs. Le basket est moins ennuyeux avec des ballons de rugby et les raisonnements avec des sophismes.
S. B. : Que pensez-vous de l’usage, de plus en plus fréquent de la bi-nationalité et du recours à la naturalisation par les joueurs de football afin de participer à la Coupe du Monde ?
F. A. : Je suis pour un nationalisme; sans frontières.
Notre archaïsme exhibe son vieux football. Braillard. Avec émotion. Le sport des catacombes. Le sport à propos duquel n’importe qui (même moi) peut dire n’importe quoi. Un jeu de hasard. Comment la belote. Comme le « dourak » (Дурак) le « crétin ». Encore mieux: un jeu de confusion. Digne de Kurt Gödel et de Jarry.
S. B. : Le football a tendance à se rationaliser en faveur de la performance et au détriment de l’inventivité (sur le terrain), qu’en pensez-vous ?
F. A. : C’est évident parce que, « malgré tout », le résultat de la rencontre est toujours inopiné. Le goal c’est l’exception. Un flop désastreux. Ou un prodige de légende. On comprend que les joueurs d’Algérie aient invoqué, en litanie, face contre terre dans le « corner », le formidable hasard. Et que les chrétiens, avec deux doigts désignent le ciel, artisan d’une si incroyable chance. L’univers n’est qu’un accommodement entre particules élémentaires.
S. B. : En 2010, en comparant l’entraîneur de football à un apparatchik, vous prôniez un football anarchiste. Vous disiez que les joueurs joueraient mieux sans entraîneur. Actuellement, les spécialistes sont unanimes pour dire que l’équipe de France a une meilleure qualité de jeu grâce à son sélectionneur Didier Deschamps. Celui-ci peut-il vous réconcilier avec le rôle de l’entraîneur ?
F. A. : Dans le football, le conciliateur, le « mister », le caporal fourrier, l’assis, est la création d’un homme génial: Staline. Un monstre, cela dit. Il voulait des clubs sans propriétaires: capitalistes! Mais comme, pour lui, les joueurs étaient un noyau d’individualistes, il lui fallait un homme de parti. Un apparatchik. Il a créé le régisseur. Un flic.
L’un d’eux, hollandais, s’est mis à la tête de l’équipe de Corée du Sud. Il voyait ses joueurs une fois par trimestre. Il n’a jamais parlé un traître mot de coréen. Conséquence: l’équipe sud-coréenne a joué un championnat sensationnel. Dans les profondeurs le scaphandrier myope est visionnaire.
S. B. : D’après vous, pourquoi le football n’a-t-il quasiment aucune légitimité culturelle (chez les lettrés et détenteurs du capital culturel) ?
F. A. : Avec Houellebecq, Warhol, Beckett, Kundera, Boris Vian, Marcel Duchamp etc, etc, nous avons beaucoup parlé du jeu d’échecs, mais aussi de…
Au Japon Houellebecq et moi étions fascinés par l’extrême nervosité de l’intermédiaire espagnol. Un autre. Toujours avec une chemise impeccable mais suant des aisselles à vitesse V. Il n’arrêtait pas de donner des ordres stupéfiants et très embrouillés: « que la défense joue derrière le gardien de but », « que le milieu de terrain ne s’éloigne pas du drapeau de « corner » etc.
S. B. : Le football est souvent accusé d’être un tiroir des maux de notre époque (racisme, homophobie, ultralibéralisme exacerbé), pensez-vous que c’est un reflet de notre société ?
F. A. : Certainement les maux existent sans besoin de réverbérations. En réalité nous aimerions tous réunir les spécialistes (spécialistes de quoi ?) devant un écran. Ils regarderaient un match (inconnu d’eux) intégralement. On ne supprimerait que les 47 secondes des goals. On demanderait à ce jury compétent de juger sans connaître le résultat final. Les opinions seraient burlesques. Grâce au ralenti de la télévision les experts atteints d’Alzheimer apprendraient enfin qui a marqué le but.
S. B. : La Coupe du Monde de football est souvent présentée de façon manichéenne : soit c’est un spectacle orchestré par la FIFA au nom de l’empire du divertissement (certains parlent de « disneylandisation » de l’évènement), soit c’est une grande fête des nations. Quel regard portez-vous sur cette vision dichotomique ?
F. A. : Les commissionnaires, les membres de la Fédération et autres intermédiaires qui contrôlent le spectacle devraient communiquer sous une burqa. Footballeurs et spectateurs seraient infiniment mieux sans ces parasites. Sous la Révolution Philidor, le champion d’échecs, disait: « le pion est l’âme des échecs ». Et du football.
S. B. : Les brésiliens des grandes villes réclament des infrastructures de bien commun et des améliorations en matière de santé publique, ils auront des stades à la place, cela vous inspire quoi ?
F. A. : Un exemple entre mille : le Bayern de Munich, un jour a terminé un match avec huit joueurs. Dominé par son rival pendant 83% du temps. Mais le Bayern a gagné 6-1. Les joueurs seuls grâce au dieu Pan. Il y a une norme: « quand l’équipe change d’intermédiaire, il gagne dans la semaine ». Obviously. Le nouveau, à peine arrivé, sans même connaître les vestiaires, sans se laver les dents… J’aime beaucoup Antoine Griezmann. Mais quels péchés plus graves que les siens avait commis Samir Nasri pour être éliminé ?
S. B. : Albert Camus disait avoir appris le peu de moral qu’il savait sur les terrains de football et les scènes de théâtre. Est-ce que vous pourriez en dire de même ?
F. A. : C’est pour cela qu’il a remporté, a juste titre, le Nobel; mais il n’a pas pu être Transcendant Satrape.
S. B. : Si le Mouvement Panique participait au Mondial, à quoi son équipe ressemblerait-elle ?
F. A. : A un phalanstère d’insurgés. A São Paulo la « Democracia Corinthiana » de Zé Maria y Sócrates s’y est essayée.
Les équipes doivent appartenir aux joueurs. Être leur propriété exclusive.
S. B. : Existe-t-il un football pataphysicien ?
F. A. : Comme tout, le football est évidemment pataphysique. Il pose, même scientifiquement, la question de la valeur des choses. Par exemple: comment définir le rapport entre ce que l’on voit dans un stade et le résultat du match?
Quand on parle de football, on manie des « énoncés ».
Un « énoncé » est une cascade de symboles. Chaque phrase a un sens précis. Par exemple « les gardiens de but ne sont pas boiteux ».
Un « énoncé » peut être vrai ou faux. « Les gardiens de but » sont boiteux » est évidemment un « énoncé » faux.
Lorsque l’on considère un « énoncé », de prime abord, on ne sait pas s’il est vrai ou faux.
Pour le savoir on a recours à la « démonstration ».
Peut-on être sûr que ce qui est vrai est « démontrable » ?
Existerait-il des « énoncés » véritablement « indémontrables » ?
Au début du football professionnel les logiciens ont affirmé que si un « énoncé » était vrai, il existait, nécessairement, une « démonstration ».
L’intérêt panique pour « la rigueur mathématique de la confusion » nous a fait douter de cette affirmation. De cette croyance.
Nous pensons que dans le football il pourrait exister et il existe des « énoncés » vrais mas « indémontrables ».
Pour tenter de « démontrer » les « énoncés » nous nous autorisons, à la base, certaines affirmations. Ce sont nos « axiomes » footballistiques.
La logique actuelle ne nous dira pas « j’ai démontré ceci » mais « je l’ai démontré selon les axiomes footballistiques ».
La notion de « démonstrabilité » est liée aux systèmes des « axiomes ».
Bien évidemment on ne peut pas « démontrer l’indémontrable ».
Pendant la Coupe du Monde on a forgé certains « axiomes ».
« Italia umiliata ». Pour affirmer cela on a combiné des « axiomes » selon les règles de la logique.
On obtient ainsi de nouvelles affirmations.
En fait chaque affirmation déduite des « axiomes » est considérée comme « démontrée ».
Elles atteignent quasiment une valeur de « théorème ».
« España es gilipollas » (Crónica, Panamá). Cet « axiome » pourrait être vrai, mais il est « indémontrable ».
Il faut tenir compte du paradoxe du Crétois que assurait: « Tous les Crétois sont des menteurs ».
« Portugal em estado de choque ». On observe qu’il s’agit d’un « axiome » incomplet.
L’inconsistance d’un « axiome » tient au fait que sa consistance demeure à l’intérieur de ce qu’il dit.
« L’équipe d’Uruguay: le naufrage ». Pour démontrer la difficulté à comprendre cet « axiome » il faudrait analyser ce que nous entendons par « vrai ».
Le « vrai » n’est ni universel, ni intrinsèque.
« L’Angleterre, the end ». Nous pourrions intrinsèquement l’affirmer si nous trouvions un modèle pour établir la notion du « vrai ».
Le modèle classique est celui d’Euclide. « Une seule parallèle passe par un point donné… »
Mais si l’on adopte le modèle de Riemann (qui semble plus cohérent) il faudrait modifier « l’énoncé ».
« La mayoría de jugadores rusos estaban cansados ». C’est un contre-exemple qui semble parfait. En réalité, il n’est que « récurrent ».
Fernando Arrabal
26, Gidouille, 141 de l’E.’P. Se Goulache, odalisque.
(BIS: Le football n’a besoin ni de sponsors ni de parrains. « Barcelona » n’a cessé de gagner avec des intermédiaires souffrants ou « bizuts ». Incapables de donner un ordre. Quelle merveille! Et quelle aubaine! Les négociateurs bling-bling auraient été encore meilleurs s’ils avaient démissionné, en masse, pour tous les siècles des siècles. Comme leurs jumeaux de la guignolade financière de Paris, Madrid ou Chelsea. Prenez un singe, équipez-le-d’un portable…)