Ce n’est un secret pour personne, le fonctionnement de l’Union Européenne à 27 est parfois obscur. Avec le temps, l’Europe du Traité de Rome s’est muée en une lourde machine où les problèmes organisationnels et décisionnels sont légion. Ponctuellement, des ténors de la politique y vont de leur critique (constructive ou non) sur le fonctionnement de l’U.E et tous reviennent sur ce qu’il aurait fallu accomplir, ce qui devrait être fait ou ce qu’il faut entreprendre vite, très vite, avant qu’il ne soit trop tard. Edouard Balladur est le dernier à s’être exprimé. Europhile convaincu, il n’épargne pourtant pas l’U.E à 27 Etats – aventure qu’il juge « vouée à la confusion et à l’échec ». Invoquant tour à tour une structure datant des années 1950 et des inégalités de fait entre les Etats membres, l’ancien Premier Ministre pointe du doigt le dernier élargissement (Roumanie-Bulgarie) « décidé trop hâtivement ».
L’information a été reprise dans les médias ; les journalistes font bien leur travail. De Libération au Figaro, De France 2 à Canal +, tous essaient de trouver un moyen d’intéresser l’opinion aux questions européennes. Vain effort ! Les français persistent dans leur euroscepticisme mou. L’idée d’Europe est à ma connaissance un des rares cas d’utopie dépassionnée. Elle a pourtant eu ses apôtres, Hugo, Briand, Coudenhove-Kalergi puis Jean Monet et Robert Schuman. Des apôtres sans croyants ou si peu. Car si l’Europe a rapproché les peuples, nous assure la paix, a permis à notre continent de se relever après le désastre de deux guerres dévastatrices, jamais vous n’entendrez deux badauds s’écharper sur le thème de la gouvernance économique ou de la dépendance énergétique communautaire. Les masses ne sont pas reconnaissantes : l’idée d’Europe ne mobilise pas, – elle démobilise ! – et l’abstention lors des élections européennes bat de tristes et potentiellement dangereux records.
On a depuis longtemps abandonné le projet de faire rêver avec l’idée d’Europe et c’est bien dommage. L’objectif du moment est simplement didactique: expliquer l’U.E à ses « utilisateurs », montrer ce qu’elle apporte aux citoyens des pays membres. Dans son livre « Les Etats-Unis d’Europe », Guy Verofstadt, ancien Premier Ministre belge, tente d’analyser les raisons de l’échec européen. La complexité du fonctionnement des institutions, le rejet de l’esprit technocratique bruxellois et le déficit d’image positive de la communauté sont autant de points à nécessairement améliorer si l’on veut séduire avec l’idée d’Europe. Depuis, L’UE a entrepris un vaste effort de communication mais les résultats ne sont toujours pas là. Croyant les européens assez mûrs, on leur avait d’abord proposé de se prononcer sur un projet de Constitution pour l’Europe, un texte sur lequel il eut fallu s’informer et débattre. Chacun a pu lire le texte en question mais personne ne le fit effectivement. C’était en 2005. Échaudés, les gouvernants européens (Nicolas Sarkozy en tête) se sont évertués à relancer le projet en le simplifiant. On a ainsi vidé le texte des points qui ne faisaient pas l’unanimité, effaçant par la même occasion toute mention d’une quelconque appartenance religieuse et extranationale. Out ! les racines chrétiennes de l’Europe, le drapeau bleu aux douze étoiles et l’Hymne à la joie, l’essentiel était de rebâtir sur des bases communes, indiscutablement communes, mais vidées de tout contenu. Débarrassés de toute difficulté apparente, on croyait reprendre l’effort de construction là où on l’avait laissé. Et pourtant, nouvelle déception, le non l’emporta encore ! A vous décourager de la vulgarisation…
Mais l’Europe n’a pas dit son dernier mot. Elle cherche même de nouvelles voies. Besoin de simplification et quête du ludique sont peut-être les raisons qui ont récemment poussé Olli Rehn, le commissaire européen chargé des Affaires économiques à inclure une bonne dose de surréalisme dans la très sérieuse géopolitique communautaire. Présentant à Bruxelles le nouveau plan de l’exécutif européen pour durcir la discipline budgétaire dans l’UE et en particulier dans la zone euro, le commissaire finlandais s’est empressé d’illustrer son aride démonstration par un exemple parlant. Et de faire entrer, aux yeux et à la barbe de tous les observateurs, deux nouveaux Etats dans l’U.E : La Syldavie et la Bordurie : « Si un Etat membre, soit la Syldavie, soit la Bordurie, ne respecte pas les recommandations de la Commission européenne (sur les déficits excessifs), nous aurions la possibilité de décider de sanctions » explique tout à fait sérieusement le commissaire européen.
Faire appel au surréalisme pour désamorcer la complexité bruxelloise, voilà la technique d’Olli Rehn. La Bordurie et la Syldavie? Deux petites républiques d’Europe Centrale tirées de l’imagination (fertile) d’Hergé. La première est une dictature sinistre (d’abord fasciste, ensuite communiste) commandée par le « moustachiste » maréchal Plekszy-Gladz (sosie de Staline), l’autre un petit royaume d’opérette. Les deux pays se vouent une haine mutuelle très appréciée des tintinophiles. Des tintinophiles et de notre commissaire finlandais. Le temps d’une conférence de presse empreinte de surréalisme, l’Union Européenne ne comptait plus vingt-sept membres mais vingt-neuf. Et si derrière le bon mot d’Olli Rehn se trouvait un vrai message politique. Plus d’Europe, et si c’était cela la solution ?