Je suis encore en Ukraine.

Je suis, depuis le dernier bloc-notes, allé des alentours de Bakhmout dévastée à Odessa bombardée et à la frontière nord, où l’on attend les commandos Wagner.

Et, partout, comme dans chacun de mes voyages depuis quinze mois, j’ai rencontré des femmes et des hommes exemplaires.

Ce jeune soldat Hassid, grièvement blessé à la tête, semblable à un Apollinaire maigre aux bandages couronnés d’une kippa, qui venait, à la synagogue de Dniepro, faire un dernier shabbat avant de remonter au front.

Ce chapelain qui disait la messe, dans sa tranchée, un aide-mémoire froissé entre les doigts, pour une unité de la 115e brigade partant en reconnaissance vers les premières lignes biélorusses.

Le courageux « medic » qui aura été le dernier à évacuer le « point de stabilisation » où l’on traitait, dans les faubourgs calcinés de Tchassiv Yar, les blessés les plus lourds et que les Russes ont bombardé quelques heures après notre passage.

Les musiciens des « Cultural Forces » dont nous avons filmé un concert, en première ligne encore, pour une unité d’élite qui venait de perdre, là, à Kostiantynivka, deux de ses braves.

Ou encore Julia Paevska, alias Taira, cette autre « medic », héroïne de Marioupol, kidnappée par les Russes alors qu’elle tentait, sous les bombes, de sauver des combattants des deux bords, cette jeune femme au corps d’athlète, entraînée pour les Invictus Games, que des sauvages ont battue, torturée, interrogée à l’électricité, mais qui a tenu bon, a défié ses bourreaux et n’a, depuis l’échange de prisonniers qui lui a rendu la liberté, d’autre désir que de guérir des séquelles de ces sévices et de se réengager pour, telles les Rochambelles de la division Leclerc, recommencer de sauver les survivants et réparer leurs corps brisés.

Je ne peux pas tous les citer.

D’autant que je compte leur rendre hommage ailleurs, autrement, bientôt.

Mais c’est la troisième leçon de cette histoire.

J’ai souvent écrit que la guerre avilit les hommes plus qu’elle ne les grandit.

Pourtant, il y a des exceptions à la règle et cette guerre contre l’Ukraine est une de ces exceptions.

Grandeur d’un peuple nié dans son existence même, promis à l’anéantissement par un voisin génocidaire, au bord d’un néant dont il ne connaît que trop, depuis l’Holodomor, le terrible parfum, et qui s’est cabré, dressé comme un seul homme, battu…

Honneur d’un pays qui passait pour l’un des plus corrompus au monde, gagné par le matérialisme le plus vain et qui, du jour au lendemain, d’un bord à l’autre du spectre des couleurs idéologiques, s’est mis, comme aux riches heures de la Grèce antique, de la Rome républicaine et de la France révolutionnaire, à produire des héros à volonté…

Cet esprit de résistance dont le jeune président Zelensky a donné l’exemple le jour où, au tout début, en réponse à la proposition d’exfiltration américaine, il a improvisé son désormais légendaire « je ne vous ai pas demandé un taxi, président, mais des fusils » qui a fait aussitôt école, s’est répandu dans tout le pays et emplit aujourd’hui, comme il est dit dans les Écritures, le ciel et la terre ukrainiens.

L’internationalisme. Tout le monde parle toujours du nationalisme ukrainien. Mais quel est ce nationalisme qui accueille dans ses bataillons, ici, des volontaires français ? là, des Moldaves et des Polonais ? là, des Géorgiens que, par un miracle d’ascendant, commande depuis la geôle où il agonise l’ancien président Saakachvili ? là encore, des Américains, des Colombiens ou de jeunes vétérans israéliens venus mettre à l’épreuve la doctrine de la pureté des armes propre à Tsahal ? Je songe à ce modèle des Brigades internationales dont nous sommes nombreux, dans ma génération, à avoir nourri la nostalgie… Je revis mes sempiternelles conversations, depuis nos années rue d’Ulm et en mémoire de nos pères glorieux, avec mon « petit camarade », Alexandre Adler, dont j’apprends ici la disparition et qui vivait dans le regret, lui aussi, d’une Internationale qui serait vraiment le genre humain… Je ne l’ai jamais vu, ce kantisme armé, si puissamment incarné que dans les régiments d’Ukraine !

Je passe sur le panache du soldat à la cigarette dont j’ai retrouvé partout le portrait.

Je passe sur les principes de chevalerie qui sont l’un des héritages de l’Europe mais que l’Europe a oubliés et qui revivent dans les récits des gueules cassées et autres amputés magnifiques que j’ai vus se presser au Superhumans Center de Lviv où on les appareille du bras, de la jambe, parfois du bras et de la jambe, parfois des deux jambes ou des deux bras, qui leur permettront de repartir au combat.

Et je n’évoque que pour mémoire ces valeurs de liberté, de démocratie, de droit, auxquelles nous vouons une fidélité lassée et qui prennent un sens nouveau quand c’est un paysan en armes de Zaporijia qui s’en réclame face aux barbares.

Presque également respectables me semblent, en ce monde, les artistes, les grands penseurs, les saints et les héros.

Eh bien voici un autre fait.

Les héros de l’Europe, aujourd’hui, sont en Ukraine.

Ses grandes âmes, ses magnanimes, c’est cette guerre qui les révèle.

Et c’est pourquoi, sachant qu’un haut fait ne brille de son plein éclat que lorsqu’il se trouve des yeux pour le voir et en témoigner, j’ai voulu, et veux plus que jamais, être l’un de ces témoins.

4 Commentaires

  1. Mettons Vladimir Poutine président de
    l’union européenne comme ça on montrera
    qu’il n’y a plus de problèmes!..

  2. Quand je suis exaspéré je deviens parfois
    un peu vulgaire, je reformule :

    Zelenski dit à Poutine : « Tu veux le Donbass?
    eh bien prends le mais arrêtons cette guerre
    stupide ! »

    Que la Russie et l’Ukraine adhèrent en même
    temps à une union européenne
    fraternelle avec l’espéranto pour langue
    commune.

    Vive la Russie, vive l’Ukraine et vive l’union
    européenne !

  3. Les États-Unis du Monde ont déserté l’Afrique. Duraille pour vous, la Mère des mondes. Si c’est vache, c’est pour vous, tu veux dire. Je veux, mon neveu, comme dirait l’hôte. Je veux, mon oncle, tendent à croire les filleuls endeuillés de Don « Geronimo » Vito.
    L’empire yankee est un trompe-l’œil napolitain : la perception collisionniste qu’allaient se faire les veaux déclinologues d’un cow-boy trompe-la-mort surgissant tel Poséidon sur la côte de Big Mom. Oyez, oyez, mes bien chers frères. Lui, mon frère ? Il a fumé ou quoi ? Oh yeah ! Oh yeah !
    Nos reufrés syncrétistes n’en ont pas contre notre argent roi. Il faut réécouter Poutine avec plus d’attention, quitte à s’en faire saigner les oreilles. Comment, chez lui et ses vassaux décoloniaux, la promesse de libération vise d’abord la préservation des valeurs traditionnelles. Ce n’est pas tant l’impérialisme économique d’Oncle Sam que les cancres de la globalisation des marchés redoutent par-dessus tout, qu’un impérialisme culturel qui, depuis des Lumières qui débordent leur siècle, exerce sur la statuaire barbare une menace de déboulonnement planétaire.
    L’Euromaïdan avait échoué, tout comme les manifestations cairotes de janvier 2011, à polliniser le dèmos des Nations avec la douce psalmodie humaniste de feu le poète président de Tchécoslovaquie. L’immalléabilité du comique cinglant Volodymyr Zelensky, politicien improvisé potentiellement incontrôlable, réveillerait la Bête.
    Je ne vous le fais pas dire, il est plus qu’improbable que la milice Wagner réussisse là où le droit international peine lamentablement à déclencher un processus de résorption de l’essaimage islamiste à visée totalitaire, inflexiblement planétaire. En même temps, autocrates et fous de Dieu n’ont-ils pas en partage une assuétude pour le moins virulente au jeu de la courte échelle ?
    L’Internationale traditionaliste ambitionne aujourd’hui de préempter le droit international dans l’obscure perspective d’en réorienter les principes de fond en comble. Au Sud global, on ouvrira les bras aux entreprises occidentales barbaro-compatibles, au savoir-faire et aux savoirs tout court des faces de craie, à condition qu’elles cessent de transférer aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie humaniste les pouvoirs du Bwana démantelé. Laissez venir à moi les petits billets verts, mais permettez que je pourfende les droits de l’homme à loisir, ad vitam, tout en me tortillant d’extase sous les hourras de ma population.

  4. J’ai le même âge que Zelenski (1977).
    À sa place (je me répète) je dirais à
    Poutine : « Tu veux le Donbass ? eh bien
    prends-le et nous casse plus les couilles ! »

    À un moment donné il faut arrêter les
    conneries : l’Ukraine et la Russie font la
    même erreur que la France et l’Allemagne
    en 1914-1918 pour un bout d’Alsace et de
    Moselle : des millions de morts. Est-ce que
    cela en vaut la chandelle ?