Avec quelques années de retard sur les Etats-Unis, la France est en train de vivre une petite révolution dans les mentalités. Sa majorité a peur. Elle sent qu’elle n’est plus toute-puissante, craint de devenir minoritaire. Déjà, outre-Atlantique, les Wasps partisans de Trump sont en passe de perdre ce qu’ils conçoivent stupidement comme une « guerre démographique ». Afro-américains et Latinos changent définitivement le visage de l’Amérique. Est-ce si grave que cela ? Sûrement pas puisque avant d’être un territoire, l’Amérique est une idée. Une idée puissante comme l’idée de France. Et pourtant leurs réactionnaires et les nôtres font feu de tout bois. Voyez plutôt : appel au droit du sang, opposition féroce au Mariage pour tous, nationalisme exacerbé, diatribes anti-musulmans et anti-migrants administrées matin-midi et soir… La parole se libère, elle radote et donne malheureusement le ton de la campagne présidentielle. Exit la situation économique du pays. Ce week-end, en une du Figaro Magazine, Philippe de Villiers posait Coran à la main. Le fou du Puy devait être fier de son petit effet, ses dizaines de milliers de lecteurs aussi. En une de Causeur, Eric Zemmour prenait quant à lui un malin plaisir à s’afficher sous ce titre impayable : « Zemmour le Gaulois ». Toujours plus loin dans l’instrumentalisation de notre Histoire, l’éditorialiste persévère. Il sombre. D’intellectuel prometteur au Quotidien de Paris, il est devenu l’idole de Valeurs Actuelles, cet hebdo aux méthodes douteuses qui réunissait récemment droite républicaine et Front National à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Et quel spectacle lamentable… Marine Le Pen, Jean-François Copé, Patrick Buisson, Hervé Mariton, Marion Maréchal, Claude Guéant et Nicolas Dupont-Aignan, ensemble, coupes de champagne à la main, sur la même photo de famille. Des salonards pyromanes. L’image bien parlante de notre défaite idéologique…

Que dire et comment lutter contre cet air du temps qui ne dit rien de bon ? Puisque les réactionnaires / racistes / prédicateurs du pire parlent haut, prétendant dire « sans détour » ce que la France pense, il est urgent de leur opposer un récit citoyen à la mesure de ce challenge. Urgent de leur opposer une contre-contre-révolution des idées, une parole non plus seulement de gauche mais surtout progressiste ! Eux parlent d’un passé qu’ils enjolivent ? Eh bien parlons d’un avenir qui donne envie ! Certains intellectuels ont d’ailleurs commencé ce travail. Raphaël Glucksmann, auteur du vivifiant Notre France, une histoire oubliée de la France humaniste et cosmopolite, est l’un d’entre eux. Il est de cette nouvelle génération qui n’entend pas se faire dépasser par l’endormissement généralisé. Il agit, à l’image du journaliste et producteur Alexandre Amiel, instigateur de trois films intitulés « Pourquoi nous détestent-ils ? », portant sur le racisme qui touche les noirs, les juifs et les arabes. Dans son troisième documentaire courageux, diffusé lundi 10 octobre à 20H50 sur Planète+, ce dernier s’attaque à la résurgence d’un antisémitisme largement chroniqué par ailleurs.
Intelligemment, il change la focale, donne à voir une œuvre qui tranche radicalement avec toute la filmographie déjà existante sur le sujet. Amiel raconte ainsi la diffusion d’un antijudaïsme au sein de la frange radicale de la communauté musulmane de même que la crainte d’une extrême-droite en progression depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front National. Il écoute ces français juifs qui n’entendent pas quitter leur patrie, va a la rencontre de ces séfarades et ashkénazes qui réfléchissent plus que jamais à reprendre le chemin de l’exil, gonflant par la même occasion les rangs de l’Alyah. Le tout dans un style à la fois juste et tout à fait personnel. Sans prendre de gant ni utiliser de faux-semblants. En montrant simplement la réalité crue puisque l’heure des grands discours est certainement révolue, puisque l’urgence tient en une proposition effrayante mais tristement concrète : impossible d’être un juif visible, d’acheter casher ou simplement de mettre ses enfants à l’école juive sauf à être constamment maintenu sous étroite protection policière… « Pourquoi nous détestent-ils, nous les juifs ? ».

Bernard-Henri Lévy répondait à cette question profonde dans son Esprit du Judaïsme. Voilà la question à nouveau posée par le fils d’Alexandre Amiel, peu après les attentats de janviers 2015. L’interrogation continue à faire froid dans le dos. Pour y répondre, Alexandre Amiel a pris sa caméra, il est parti non plus des textes et des idées mais de son cas particulier. Il nous raconte tout : ce qu’il était hier et comment le monde fraternel de son adolescence a implosé. De Shmuel Trigano à Kader Aoun en passant par les quenelliers dieudonistes plus actifs que jamais, le journaliste et producteur nous livre un documentaire terriblement actuel et diablement efficace. Pour s’en assurer, il suffit de voir son entretien à peine croyable avec Jérôme Bourbon, directeur de Rivarol.


Pourquoi nous détestent-ils, nous les juifs ? par Alexandre Amiel et Sarah Carpentier, diffusion le lundi 10 Octobre, à 20H55, sur Planète+.

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