Nous sommes tous passés par Zaventem ; passés par Zaventem, un jour ou l’autre ; passés par Zaventem, en transit ou en visite à Bruxelles ; passés par Zaventem en rêves ou en réalité.
Nous sommes tous passés par Zaventem, passagers d’un instant ou nomades de toujours ; passés les bras ouverts, le cœur déployé, joyeux d’embrasser d’autres horizons ; passés par Zaventem, le pas pressé ou nonchalant. Départ, arrivée ; arrivée, départ. Rio, Tel-Aviv, Bamako, Bombay, Marrakech, Stockholm, Chicago, Singapour, Sydney, Kingston, Kingston-Jamaica, Bali…: lumières sur les écrans, promesses d’arc-en-ciels lointains, bien loin de nos tristes chagrins et au-revoir, terres bleues, terres vertes, terres oranges, rouges, jaunes, sables blancs, fins, plages, plateaux, forêts, jusqu’au plus haut des cieux, terres connues et inconnues à découvrir. Le plaisir de voler, la volupté de planer, libre essor.
Nous sommes tous passés par Zaventem, passés par Zaventem, les rêves à n’en plus finir bourdonnant dans nos oreilles, et Brel la mélodie délicieuse vantant la beauté du plat pays ; et Marley, les dreadlocks aux quatre vents célébrant la liberté des uns et des autres, la liberté des uns avec les autres ; et Beethoven la symphonie, la joie, l’audace étincelants en boucle ; et Barbara, Barbara magnifiant Paris, Paris et chaque instant une vie ; et Gil, Gilberto Gil Bahia Xangô Salvador axé de tous les saints festivités en couleurs ; et Ellington et Miles le jazz battant la mesure de l’inattendu ; et les râgas du Bengale ou du Cachemire, initiation au questionnement…
Nous sommes tous passés par Zaventem, passés par Zaventem flots et flux incessants, va et vient interminables qu’on voit et qu’on ne voit pas, fluide tournant, tournant les dates et les pages comme pour lâcher prise dans l’écoulement des jours passés, présents et futurs ; tournant, tournant les pages et cent ans de solitude avec Marquez, tous à la recherche du temps perdu tel Proust, tel Baudelaire la tête tentée par les fleurs du mal, jouant à Molloy avec Beckett ; les illusions, tel Balzac, longtemps perdues mais les espérances, les grandes espérances toujours conservées, cher Dickens ; tournant les pages, enfant peul de Bâ infatigable sur les routes du monde, Kerouac en bandoulière, dans l’écume des jours de Vian… Nous sommes tous passés par Zaventem, gens de Dublin, gens de Kinshasa, gens de Buenos Aires, gens de Port au Prince, gens d’ici et d’ailleurs, nous sommes tous passés par Zaventem ; passés par Zaventem tournant, tournant les pages, la pensée et l’imagination au pouvoir ; passés par Zaventem, le doute éveillé sondant les plis de l’âme humaine.
Zaventem ; nous sommes tous passés, passés par Zaventem, passés un jour ou l’autre, les valises pleines à craquer d’histoires, bagages mémoires remplies de fragments d’espoirs, le cœur léger et tendu, boum, boum, boum ; passés, le cœur tendu vers l’amour volupté, ardeurs d’un jour ou d’une nuit ; boum, boum, boum, passés, le cœur tendu vers l’amour beauté céleste impérissable, magie d’une vie ; boum, boum, boum passés, tendue belle jeunesse, tendue vieillesse lumineuse, boum boum boum tendus les cœurs et les corps, la passion éternellement renaissante. Départ, arrivée ; arrivée, départ : l’amour à retrouver un jour au bout du vol.
Zaventem. Passés, tous passés par Zaventem, les flagrances vapeurs profanes apaisant, les flagrances essences flottant au vent fleuris de joie et de liberté parfumant tous les chemins du monde de joie, de peine et d’amour partagés. Passés. Passés passagers venant de Dar, passagers venant de Barcelona, de Mexico, de Tokyo. Passés venant du soleil, le sable bleu encore collé à la peau, passés venant de Dubaï ou de Shanghai, la cravate bien mise, les projets en tête, passés venant de Kayes ou de Kuala Lumpur, loin des caresses et des baisers familiers, en cavale fuyant les jours naufragés. Nous sommes tous passés par Zaventem les langues couleurs du monde : « bonjour » ; « good morning », « buenos dias », « goede morgen », « goddag »,« sawubona », « mwaramutse » : qu’elle soit admirable ta journée, qu’elle soit éclatante et belle pour toi, jouis et réjouis-toi de la beauté de la vie, et « shalom », que la paix soit sur toi et les tiens.
Et puis… puis ce vingt-deuxième jour de mars de l’an 2016, Zaventem frappé. Frappé par la haine hideuse dévidée de toute humanité. L’épouvante. Encore. Encore la passion haineuse. Encore la haine venue pour tuer. La haine organisée, militarisée, venue pour tuer. Tuer sans rémission. Comme hier à Sousse, comme hier à Bassam, comme hier à Paris, comme à Bruxelles, comme à Maelbeek… comme… comme… Encore. Encore la terreur contre la vie. Zaventem frappé. Nous clouer au sol ; et chacun chez soi, et tous interdits de vie, tous interdits de liberté. Interdit de chercher, de se perdre, de créer, d’inventer, de planer, de rêver, de vivre. Interdit ! Puisque tout a déjà été édicté par Allah. Le monde figé. Figer le temps. Aboli l’essor! Abolir l’essor par la terreur. Le salut ? Le salut proposé ? Ramper. Ne plus quitter le sol pour accéder au paradis!
Zaventem. La vie obstinée comme l’aube chaque matin, les ailes toujours déployées, les fleurs parfois à la main, lancés vers l’azur, nous passerons, nous repasserons par Zaventem. Nous repasserons tous par Zaventem, la vie plus forte que la barbarie.
Merci David, ça fait chaud au couer
Philippe
Merci beaucoup cher ami et frère David! En tant que partie de l’Humanité, soyons toujours aux côtés de celles et ceux que visent ceux qui ont choisi de se déshumaniser. L’amour triomphe toujours tout en libérant des griffes de la haine.
Un texte d’une immense poésie, presque une chanson, un véritable hymne d’amour face à ceux qui veulent nous museler.
Je viens de voir la vidéo de personnes fuyant juste après la deuxième bombe.
Je préfère garder cette image-ci de l’aéroport par lequel je passe, en transit, tous les six mois.
Je repasserai par Zaventem. Et oui, la vie est plus forte que la barbarie.
La meilleure réponse qui soit, face à tant de haine !
Célébrons l’humanité comme vous le faites si bien et nous serons plus forts qu’eux !
Merci d’avoir donné à voir et à lire ce qu’était cet aéroport avant que ces bombes ne viennent le dénaturer.
Comme vous le rappelez si justement, les aéroports étaient avant des lieux joie, de travail, d’errance, de transition. De littérature et de musique.
Ils sont aujourd’hui des lieux ultra-sécurisés (et vraisemblablement encore pas assez) où l’on va de plus en plus avec le coeur serré par l’angoisse.