Les livres d’Elie Wiesel appartiennent à l’Histoire, ceux-ci doivent être lus comme autant de témoignages précieux. Humanité et humanisme, universalité et judaïsme, destruction(s) certes mais omniprésence des leçons – impressionnantes – d’adaptation et de survie : tout chez Wiesel respire l’Histoire, à commencer par son apparence troublée, tourmentée, vision qui à elle seule impose le respect et force la considération.

Pour cela, pour l’ensemble de ses écrits, son prix Nobel de la Paix, son parcours et la leçon de survivance qu’il donne au monde, chacune des prises de position de Wiesel doit être écoutée, scrupuleusement méditée. Justement, l’auteur de «La Nuit» fait paraître ces jours-ci «Cœur Ouvert», court récit d’à peine cent pages, aux éditions Flammarion. Neuf chapitres durant, Elie Wiesel, égocentré, raconte ses soucis de santé. L’on pourrait croire à un livre de vieillard plaintif, penser que lire Wiesel en 2011 ne revêt qu’un infime intérêt… Ce serait se tromper ! Car la plume de Wiesel reste et demeure celle d’un conteur du Yiddishland. Certaines phrases, certaines situations wieseliennes font penser à Isaac Bashevis Singer, un Isaac Bashevis Singer certes très sérieux, aux accents infiniment plus politiques que son original mais avec comme trait commun entre les deux plumes cette magie de la réflexion en yiddish, langue disparue dont Wiesel, malgré la Shoah, ne se sépare pas…

Et puis il faut bien l’avouer, les tracasseries personnelles de l’écrivain ne sont qu’un malin prétexte à d’autres développements cette fois infiniment plus profonds. A 83 ans, Elie Wiesel ressent le besoin de faire le bilan de sa vie. Il tisse des liens entre ses livres, explique le cheminement complexe de son intellect. De l’école juive aux camps, de New-York à l’étude des textes, Wiesel boucle la boucle et l’on a cette saisissante et vertigineuse impression qu’à la fois tout est écrit et rien n’est écrit.

Reste une certitude : Elie Wiesel a la mémoire inquiète et s’est fixé ce défi de témoigner de l’indicible, d’écrire, inlassablement, sur l’indescriptible. Cœur Ouvert fait alors office de résumé de l’œuvre complète de l’auteur, un presque guide de lecture ou la plume expliquerait au lecteur le sens et la signification de son engagement littéraire.

Wiesel et les mots. Une histoire qui (évidemment !) fonctionne. Pourtant le Prix Nobel de la Paix continue à se poser de terribles questions : et si son message n’était pas passé ? Et si ce long combat contre le mal n’avait servi à rien ?

Elie Wiesel, mille vies en une et une opération du cœur qui aurait soudain pu tout arrêter, du jour au lendemain. «J’ai beaucoup écrit» dit-il «et pourtant, oui, à ce moment de mon existence, au seuil même du grand portail, j’ai l’impression de ne même pas avoir commencé». Voilà ce qui est émouvant chez Wiesel : là où l’humanité pleine de faiblesses aurait renoncé, freiné, lui continue, inlassablement, plus fort que les autres, triomphant de ceux qui voulaient sa destruction. Les nazis ont péri. Elie Wiesel demeure.

Il sera, dimanche 27 novembre, à 11h, l’invité très spécial des Séminaires de la Règle du Jeu. Ce sont mille questions qu’Alexis Lacroix et moi-même avons envie de lui poser.

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