Les intellectuels en général, je ne sais pas.

Mais pour ce qui me concerne, les choses sont assez claires.

J’ai salué, dès le premier jour, le vent de liberté qui a commencé par souffler en Tunisie, puis s’est déplacé vers Égypte et qui est en train de s’étendre au reste de la région.

Et je l’ai fait avec d’autant plus d’enthousiasme que l’événement sonne le glas d’un certain nombre d’idées reçues que je combats depuis vingt ans – à commencer par celle, raciste, d’une « exception arabe » rendant cette partie du monde rétive, par essence, à l’idée même de démocratie.
La preuve est faite que non.

La preuve est faite que les différentialistes, culturalistes et autres défaitistes qui arguaient d’on ne sait quelle fatalité pour fermer à ces peuples les chemins de l’émancipation n’avaient, une fois de plus, rien compris.

Et il est, comme d’habitude, vérifié que la démocratie est un bien commun et que, partout, je dis bien partout, où il y a de l’oppression, de la servitude, des violations massives des droits, il se trouve des hommes et des femmes, en plus ou moins grand nombre, pour s’aviser de ce bien commun et en réclamer leur part.

Alors, après, l’enthousiasme n’exclut pas la lucidité.

Et la lucidité comme, d’ailleurs, la probité appellent, en la circonstance, plusieurs remarques.

1. Révolté ne veut pas nécessairement dire démocrate. Et le fait est qu’il y avait, place Tahrir, au Caire, parmi les centaines de milliers de citadins qui ont campé, pendant des jours, dans l’espoir de faire chuter le régime, des démocrates et d’autres – les Frères musulmans – qui ne l’étaient absolument pas.
2. J’ai souvent dit que le seul choc des civilisations qui compte est, au sein même de l’islam, le choc entre islam des Lumières et islam fondamentaliste, rigoriste, éventuellement terroriste. Eh bien voilà. Nous en sommes là. C’est exactement la situation qui prévaut dans Égypte d’aujourd’hui. Mais dire que l’islam des Lumières s’affirme, progresse, sort de l’ombre, ne veut pas dire, malheureusement, que l’autre soit vaincu ni qu’il faille désarmer face à lui. Les démocrates ont à se battre, en d’autres termes, non pas sur un, mais sur deux fronts. Non pas contre un ennemi, mais contre deux. Et je ne vois pas au nom de quoi il faudrait s’interdire de penser qu’ils ont à défaire Moubarak, d’un côté ; mais qu’ils ont à empêcher, de l’autre, les héritiers de Hassan el-Banna de profiter de la situation pour remplacer la tyrannie par leur propre ordre de fer.

3. D’autant que, dans ce jeu à trois termes, d’étranges alliances peuvent se nouer dont une, en particulier, suffirait à éteindre la flamme qui s’est allumée place Tahrir. Cette alliance, c’est celle de Moubarak et des Frères. C’est celle qui pourrait naître du dialogue engagé par le vice-président Souleiman, et béni par les Etats-Unis, avec tous les représentants de l’opposition – au premier rang desquels, inévitablement, les Frères. Et je ne vois pas en quoi ce serait être exagérément Cassandre que de redouter que la confrérie ne prenne l’avantage sur, par exemple, les mouvements dits du 6 avril ou Kefaya et que, se liguant avec le raïs et, surtout, avec son armée, elle n’éteigne en douceur l’espoir démocratique égyptien.

Alors, que peuvent faire les chancelleries qui observent, tétanisées, cette lueur qui se lève au sud ?

Elles doivent se convaincre, d’abord, qu’elles ont intérêt à la démocratie : prenez un traité de paix comme celui avec Israël ; signé avec un dictateur, il dure ce que dure sa dictature et, quand celle-ci chute, risque de tomber à l’eau avec elle ; ratifié par un Parlement légitimement élu, il survit aux changements de majorité, s’inscrit dans la durée, gagne en solidité.

Elles doivent résister, ensuite, au lâche soulagement que pourrait leur inspirer un accord entre les Frères et le régime : ce serait le replâtrage de la dictature ; ce serait la mise en selle d’une force dont seuls les irresponsables nous garantissent qu’elle a « mûri » et renoncé à la charia ; et ce serait la répétition, donc, de l’erreur commise, il y a trente ans, en Afghanistan, avec les talibans ; est-ce cela que nous voulons ?
Et rien n’interdit, enfin, de s’adresser aux différents acteurs qui – y compris, hélas, les Frères – émergent du mouvement et d’indexer notre soutien sur le respect, par eux, d’un certain nombre de conditions : l’engagement, justement, à ne pas remettre en question le traité avec Israël (que vaudrait une démocratie qui commencerait par rompre avec la seule démocratie de la région ?) ; la proclamation du principe de liberté de conscience et de culte (le sort fait aux coptes et, plus généralement, aux chrétiens n’est-il pas, dans cette partie de la planète, un bon marqueur de l’idée que l’on se fait de la tolérance ?) ; l’affirmation, enfin, de l’égalité des droits pour les femmes (elles sont, en Égypte comme ailleurs dans le monde arabo-musulman, le fer de lance des contestations – que vaudrait une avancée démocratique qui les verrait, à l’arrivée, plus maltraitées que sous la dictature ?).

La révolution égyptienne est en marche.

L’aider à s’imposer est de la responsabilité de chacun.

6 Commentaires

  1. Israël n’est pas une démocratie, du moins pour les Arabes. Ou, du moins, Israël est aussi démocratique que l’était l’Afrique du Sud pré-Mandela.
    D’ailleurs, alors que souffle le vent nouveau d’une aube démocratique chez ses voisins arabes, l’Etat juif ne s’est-il pas à maintes reprises prononcé en faveur du maintien des dictatures en place?

    In fine, pour Israël, la démocratie, c’est un concept vendeur et exclusif sur la scène internationale, à usage médiatique.
    Mais qui, en aucun cas, ne vaut pour les Arabes.

  2. L’article de Fatma Bouvet de la Maisonneuve dans Le Monde me semble assez partial ou, en tous cas, inexact. Fruit d’une certaine mauvaise foi ? C’est tout de même à considérer, car ce n’est pas le premier article de la RdJ en faveur de l’éventuelle perspective démocratique que laissent entrevoir les événements de Tunisie et surtout, d’Egypte… Pour l’heure, cela ne doit pas empêcher pas la réflexion sur les éventuels et tangibles égarements si peu démocrates auxquels aspire l’intégrisme, seule force d’opposition véritablement constituée. En l’occurrence, le raccourci d’un enthousiasme frappé de cécité serait catastrophique et la reconnaissance hâtive du fait accompli, bien hasardeuse. Ces bémols ne dénaturent pas du tout le soutien à l’essor maghrébin vers une société plus juste et ne barrent certainement pas la route menant à une véritable démocratie, bien au contraire !

  3. Je suis parfaitement en accord avec cet éclairage bienvenu. Bonne continuation.

  4. Le Caire brisé…

    C’est méchant pour tous les amants… cette victoire de la mort et sans laquelle l’amour ne serait pas entré dans l’histoire.
    Nous étions sur la grande place à manifester avec les manifestants, à crier avec les mécontents, à dire non au silence, à l’indifférence, à l’oppression…
    La plupart d’entre nous étaient à peine des hommes qui ont décidé du jour au lendemain de se donner la peine de rompre toutes les chaînes… d’un pouvoir aux abois, parce qu’il ne tient plus personne en laisse… à part… les CHIENS. Contre les cyniques il n’y a qu’une solution chimique à base d’acide sulfurique… que nous jetions dans les yeux de l’opinion publique… pour réclamer de tous, le droit à un minimum de dignité… à un maximum de liberté…
    L’homme de ma vie, c’est moi qui l’appelle ainsi, me portait sur ses épaules pour que sa petite louve crie encore plus fort que tous les loups… je hurlais « liberté pourquoi m’as-tu abandonnée ? »
    C’est à ce moment là que ça s’est passé… ou cassé ?
    Des agents troubles déguisés en faux frères ont foncé sur nous à cheval ou à dos de chameau pour nous ôter l’envie de refaire l’histoire. Ils voulaient dissuader le vent de souffler, ce que même Dieu n’a pas fait.
    Quand soudain, je vis le fils de mon père et ma mère, bondir sur moi avec une barre de fer…
    Il assena un coup mortel à celui qui me portait à bout de bras…
    Et lui défonça le crâne que je tenais contre mon ventre… et entre mes mains.
    Non… je ne vais pas pleurer… je ne vais pas pleurer…
    Et je ne pleurerai plus jamais… je suis restée debout… sans bouger… avec du sang couleur pourpre du Caire… mais pas une larme… vous m’entendez ? Pas une seule larme… je venais de mettre au monde : le plus bel enfant : la révolution égyptienne.
    Non je ne pleure pas… j’ai juste envie de lui dire : mon enfant, mon amant, c’est fou ce que je t’aime.

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/le-caire-brise/

  5. Un gage et dégage !

    Il n’est ni musulman… ni persan…
    Il ne connaît pas l’Iran…
    N’a jamais mis un pied en Afghanistan…
    Il ne reconnait pas les Talibans…
    Pour lui la religion n’est pas la bonne ligne de démarcation…
    Je veux parler du héros de mon roman…
    Je n’ai pas fini de le réécrire
    Parce que j’hésite encore sur le statut du narrateur
    Un homme ou une femme ?
    Doit-il se raconter à la première ou à la troisième personne ?
    Je suis… comme ci… ou…il est… comme ça ?
    Et tout compte fait, je vais opter pour personne…
    Pour un journal avec plus de voyelles que de consonnes…
    Des onomatopées qui impressionnent et des pointillés pour laisser au temps, le temps de nous faire basculer…
    De l’autre côté de la Méditerranée… ça vous étonne ?
    Oui je vois ce qui vous désarçonne…
    C’est cette voyelle, en tête du cortège et qui transforme mon récit en leçon de solfège… Ah ! … puis AAAAh !… puis A ? Puis AAAh… puis A !
    Interrogation, exclamation ! Qui sait ?
    Oui, on peut dire ça, mais mon héros ne cherche pas à être drôle, c’est lui qui distribue les rôles…
    C’est lui qui contrôle… en tant qu’auteur et acteur de son propre jeu de rôles.
    Vous êtes séduit par la forme mais c’est le fond qui vous met mal à l’aise ? Subversive et corrosive ? Quoi ? Vous voulez que je renonce à ma thèse ? Y a pas de malaise.
    Je m’en vais publier ailleurs cette foutaise.
    Qu’est-ce que vous voulez que je justifie ?
    Le bien-fondé de mon récit ?
    Vous voulez vraiment que je mette les points sur les i, allons-y !
    Je dis ce que personne ne dit…
    Que les arabes sont de retour… A … rabes
    Ni chiites, ni Sunnites, ni islamistes, ni muslimistes.
    Mais une race à part, qui va au fur et à mesure voler de conquête en conquête… conquérir nos villes et nos campagnes, nos bons vieux idéaux et toutes les tables de nos nouvelles valeurs
    Ce sont des gens fiers et téméraires… qui se sont assoupis quelques siècles et qui vont reprendre le pouvoir à tous ceux qui l’ont usurpé ou souillé.
    Je reprends mon manuscrit… en vous disant :
    Je déserte, si vous voyez ce que je veux dire.
    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/01/arabesque/

  6. Je suis complètment d’ accord avec votre interessant article d’opinion. Salutations