En Iran aussi, la télévision aime diffuser les « confessions » de ses pauvres âmes en péril.
Face à la mobilisation internationale visant à sauver Sakineh Ashtiani Mohammadi de lapidation pour adultère, les autorités iraniennes ont décidé de mettre tout le monde d’accord en diffusant hier sur la télévision d’Etat une interview de l’Iranienne confessant qu’elle a été complice du meurtre de son mari et qu’elle entretenait bien une relation adultère avec le cousin de celui-ci.
Enveloppée dans un tchador noir flouté ne laissant apparaître que son nez et un oeil, et s’exprimant en azéri (turc) tout en lisant une feuille, la veuve de 43 ans a reconnu qu’un homme avec lequel elle cultivait une relation lui avait proposé de tuer son mari et qu’elle avait laissé cet homme commettre le meurtre lors duquel elle était présente.
Voici la traduction de ses propos:
« Tout s’est produit en deux mois. Il m’a encouragé à tuer mon mari. C’est uniquement avec ses paroles que cet homme me trompait. Il me promettait de s’occuper de moi. Il me répétait: « Mais ce n’est pas un mari que tu as…il n’a rien fait pour toi! » Cet homme était le cousin de mon mari. Il m’avouait que mon mari avait fait ceci… Quand j’ai été envoyée en prison, j’ai compris que cet homme avait déjà des précédents. C’était déjà sa troisième fois. Il me disait: « allons tuer ton mari ». Moi, je ne croyais même pas que mon mari allait mourir. Je pensais qu’il plaisantait. Je pensais que cet homme était devenu fou. Et ce n’est que par la suite que j’ai compris que c’était un meurtrier. Ce jour-là, la mère de mon mari était chez nous et quand je suis arrivée pour lui donner ses médicaments, j’ai vu que cet homme avait amené avec lui un tas d’armes. Des électrodes, des fils de fer et des gants. Et il a tué mon mari en l’électrocutant. Il m’avait demandé auparavant d’envoyer mes enfants chez leur grand-mère ».
Puis c’est le responsable de la justice de la province d’Azerbaidjan oriental, où l’affaire s’est déroulée en 2006, qui prend la parole:
« Voici comment elle a tué son mari: elle a piqué son mari avec une seringue d’anesthésiant, et il s’est endormi. Puis le véritable assassin est arrivé sur les lieux et a collé deux électrodes à son cou, avant de l’exécuter. Ils avaient déjà prémédité la scène du crime, car elle et cet individu avaient envoyé les enfants dehors, avaient vidé la maison, et avaient préparé celle-ci afin de commettre ce crime ».
La parole est donnée à un témoin azéri de la ville de Tabriz :
« Moi je suis arrivé, je me suis rendu dans la salle de bain et j’ai aperçu son corps dans la baignoire. Il y avait du sang, des fils de fer, ils l’avaient électrocuté dans le dos. Le pauvre, ils l’ont tué trois fois! ».
Et c’est à Sakineh de conclure, en s’adressant aux médias occidentaux:
« Pourquoi avez-vous télévisé mon affaire? Pourquoi m’avez-vous fait perdre mon honneur et ma dignité? Mon entourage et ma famillle ne savaient pas tous que j’étais en prison. Pourquoi avez-vous fait ça à moi? Moi je dis à M. Mostafaei (son avocat) qu’il a commis une grave erreur en jouant avec mon honneur. Je vais porter plainte contre lui ».
Problème, son (nouvel) avocat, Houtan Kian, a révélé hier au quotidien britannique Guardian que sa cliente avait été torturée pendant deux jours avant que l’interview ne soit enregistrée dans la prison de Tabriz (nord-ouest), où elle est détenue depuis quatre ans.
« Elle a été sévèrement battue et torturée jusqu’à ce qu’elle accepte d’apparaître en face de la caméra », a révélé au Guardian Houtan Kian.
« Son fils de 22 ans, Sajad, et sa fille de 17 ans, Saeedeh, ont été complètement traumatisés après avoir aperçu ce programme ».
Autre bizarrerie, ces déclarations contredisent celles que Sakineh Mohamadi Ashtiani a donné il y a cinq jours au au Guardian, où elle accuse les autorités iraniennes de mentir sur les charges d’adultère mais aussi de meurtre pensant sur elle.
« Ils mentent. L’attention internationale que suscite mon cas les embarrasse et ils tentent désespérément de détourner l’attention des médias pour pouvoir me tuer en secret ».(…) « J’ai été rendue coupable d’adultère et ai été acquittée du meurtre, mais l’homme qui a tué mon mari a été identifié et emprisonné. Or il n’a pas été condamné à mort ». (…) « C’est parce que je suis une femme, c’est parce qu’ils croient qu’ils peuvent tout se permettre vis à vis des femmes dans ce pays. C’est parce que pour eux, l’adultère est pire que le meurtre – mais pas toutes les sortes d’adultère: un homme adultère peut même éviter la prison alors qu’une femme adultère est, pour eux, la fin du monde. C’est parce que je vis dans un pays où les femmes n’ont pas le droit de divorcer de leurs maris et sont privées de leurs droits basiques ».
Signe du professionnalisme des médias iraniens, il est intéressant de noter que Sakineh Mohammadi Ashtiani, qui risque désormais après la diffusion de cette émission de se faire exécuter à tout moment, a fustigé la « propagande des médias occidentaux », et leur a demandé de ne pas « s’immiscer dans sa vie personnelle ». Des déclarations qui ressemblent à s’y méprendre à celles prononcées tout le long de l’année par les autorités de Téhéran.
Les confessions spectacles en direct de la télévision d’Etat sont devenues en à peine un an une véritable spécialité locale pour mieux discréditer devant l’opinion publique tant les membres de l’opposition à la réélection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, les etudiants et journalistes occidentaux, que les plus illustres défenseurs des Droits de l’Homme. En juin dernier, le prix Nobel de la paix 2003, l’avocate des droits de l’homme Shirin Ebadi désormais exileé à l’étranger, avait déjà dû en faire les frais en apercevant à la télévision son mari forcé d’annoncer qu’elle était une mauvaise femme.
« L’interview vérité » de Sakineh a été diffusée hier soir dans une émission intitulée 20h30, seulement un jour après que la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton ait pressé les autorités iraniennes d’honorer leurs obligations quant aux traités internationaux dont elles sont signataires, en respectant les droits de ses citoyens et en mettant un terme aux exécutions.
Mais la diffusion de cette confession forcée, hormis un cahier des charges journalistiques pour le moins léger, fait également froid dans le dos, en laissant désormais place à une exécution imminente pour faire taire les protestations occidentales.
D’ailleurs, pour Mina Ahadi du Comité iranien contre la Lapidation(ICAS), interrogée par le Guardian:
« Ce ne serait pas la première fois que l’Iran fait passer une victime innocente dans une émission télévisée et l’exécute en se basant sur de fausses confessions. Cela est arrivé à de multiples reprises durant la première décennie de la Révolution islamique ».
Le triste sort auquel est confrontée Sakineh Mohammadi Ashtiani, veuve de 43 ans condamnée à 99 coups de fouets mais surtout à la mort par lapidation pour avoir entretenu une « relation illégale » a été révélée par ses deux enfants ainsi que son avocat, Mohammad Mostafaei. Grâce à leurs nombreuses interviews accordées à la presse du monde entier malgré les risques, ils ont permis le lancement d’une campagne de soutien internationale, relayée notamment par
le quotidien britannique Times et signée par plus de 80 personnalités, forçant les autorités iraniennes à suspendre la peine de l’Iranienne.
Or selon les dernières déclarations en provenance de Téhéran, rien n’indique que Sakineh Mohammadi Ashtiani ne sera tout de même pas pendue. Surtout que son désormais ancien avocat, Mohammad Mostafaei, en charge gratuitement de son dossier depuis le début, a été contraint il y a trois semaines de fuir l’Iran pour éviter la prison, ceci alors que sa femme est toujours retenue en otage et sans charge dans la prison politique d’Evin depuis maintenant deux semaines, laissant seule leur petite fille de sept ans.
Pour signer la pétition de soutien à Sakineh Mohammadi Ashtiani: