Cela fait soixante ans que les hommes politiques passent à la télévision française. Soixante années de relations parfois complices, souvent distantes, de débats sous tension et de langue de bois lassante. Observateur du grand spectacle cathodique, le spectateur n’est pas idiot : il sait que le discours politique a changé du fait de la télé (il est d’ailleurs souvent le promoteur de ce changement en même temps que sa principale victime). De l’ORTF hier aux ordres du Ministre de l’Information à la « BFMisation » récente du débat politique – c’est-à-dire à son hystérisation – la façon dont les politiciens envisagent la télé a fortement évolué. Voyez plutôt.

En 1958, Charles de Gaulle, 67 ans, entreprend d’investir ce nouvel outil qu’est la petite lucarne. L’homme, bien conscient d’avoir marqué l’histoire de la radio, décide donc de reprendre ses vieilles recettes à l’efficacité certaine. Le 13 juin 1958, lors d’une allocution télévisée, il lit un texte remarquablement tourné. Sa voix de stentor captive celui qui l’écoute. Pourtant, il passe à coté de sa prestation… Pour quelle raison ?  Le nez dans ses notes, le général n’a pas regardé une seconde la caméra. Il l’a ignorée… Autour de lui, figure du libérateur oblige, personne n’ose vraiment lui conseiller de changer ses habitudes. Personne sauf un conseiller qui décide de critiquer la performance présidentielle : Marcel Bleustein-Blanchet. Guidé par le patron de Publicis, le général va prendre l’habitude de s’adresser aux français droit dans les yeux, il abandonnera également ses grosses lunettes et livrera ses allocutions non plus en lisant mais en déclamant un texte appris à l’avance. Petit à petit, De Gaulle va prendre goût à ces allocutions jusqu’à instituer le rituel de la conférence de presse, sous l’œil des caméras, à l’Elysée. Pour l’époque, la pratique est révolutionnaire… Mais la censure veille. Les questions sont écrites à l’avance et le général, jamais pris à revers, dispose d’une réponse prête pour chaque journaliste.

Son successeur, Georges Pompidou suivra le même chemin, celui d’une télévision aux ordres du pouvoir de laquelle sont bannis les imprudents et les contradicteurs. Il faudra attendre l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing pour que tout change réellement. Plus jeune et plus dynamique que ses prédécesseurs, VGE va s’inspirer des méthodes de campagne de John Fitzgerald Kennedy pour gravir les marches le menant à l’Elysée. Les journalistes suivent le mouvement et la télé montre un spectacle parfois cocasse, en tout cas inédit : celui d’un candidat disputant des parties de football, prenant des bains de mer et dinant chez les français. Une révolution sur la forme mais aussi, il faut bien le reconnaître, sur le fond. Giscard utilise certes les médias mais ne les contrôle plus vraiment. Il évite le recours à la censure. C’est une rupture.

On connaît la suite. Mitterrand et ses grands-messes télévisées orchestrées par Serge Moati. Chirac ami du peuple mais méfiant envers des journalistes qui lui préféraient Edouard Balladur. Puis Sarkozy, enfant de la télé, déjà sur les plateaux télé à 20 ans à peine. Des livres entiers ont tenté de sonder la relation sarkozyste aux medias. Reste que c’est bien la télé et l’explosion des chaines infos en continu qui ont permis l’arrivée au pouvoir de l’hyper Président puis sa défaite en 2012 contre François Hollande. (Et son retour en 2017 ? A voir…)

La télé a changé la politique. Elle est une arène de l’irréel où l’on joue avec des règles sans cesse mouvantes. Plus on l’approche, plus on le sait : la télévision n’est le miroir de rien. Elle est une construction qui couronne les bons clients et abandonne les personnages austères et sans charisme sur le bord du chemin. Voyez Marchais, Le Pen, Besancenot et Mélenchon champions de l’Audimat. Voyez Jospin, Fillon ou Ayrault incapables de rallier l’opinion à leurs causes. C’est tout cela et plus encore que raconte un documentaire diffusé lundi 19 mai à 20h40 sur Paris Première. « Et les politiques découvrirent la force du petit écran » pose mille questions et remet les hommes politiques dans le contexte de la télévision de leur époque. Un seul vrai reproche de fond au documentaire : l’absence d’analyse du style Hollande dont le mandat n’est certes pas encore terminé mais dont on connaît désormais les grandes lignes. Le reste mérite que l’on s’y attarde. La télévision qui s’auto-analyse, c’est tout de même rare !

Le documentaire « Et les politiques découvrirent la force du petit écran » sera diffusé lundi 19 mai à 20h40 sur Paris Première.