« Donne-moi ton rayonnement du printemps et reprends ton teint hivernal jaunâtre ». Voici la phrase que vont se lancer des millions d’Iraniens le 16 mars prochain, avant de sauter par dessus un énorme brasier. Ne vous inquiétez pas, les blindés américains ne sont pas sur le point d’envahir Téhéran (tout du moins, je l’espère). Dans deux semaines, les Iraniens vont fêter le Chaharshambeh Suri (« mercredi rouge »). Célébré la veille du dernier mercredi de l’année iranienne, cette « Fête du feu » zoroastrienne datant de l’Empire perse, et qui a donc plus de 2 500 ans d’âge, marque le début des festivités du nouvel an iranien (21 mars prochain). A cette occasion, de nombreuses familles vont allumer des feux de joie et sauter par dessus en musique pour conjurer le mauvais sort de l’hiver, et débuter dans la paix et la nature du printemps la nouvelle année. Or si cette célébration s’avère bon enfant chez bon nombre de familles iraniennes, elle revêt une toute autre dimension chez la jeunesse iranienne, qui compose plus de 70 % de la population du pays.
Ainsi, se promener dans les rues de Téhéran cette nuit-là équivaut tout bonnement à risquer sa peau… Il n’est donc pas rare de se voir viser par un véritable feu d’artifice du 14 juillet, ou alors par une grenade confectionnée par leurs propres soins… Et la fête vire souvent au drame, avec au moins une demi-douzaine de morts par an. Des fous furieux allez-vous peut-être penser ? Des jeunes avides de liberté, qui se précipitent sur chaque opportunité pour évacuer leur frustration d’une année entière, vais-je vous répondre. Ainsi, en vous promenant dans certains quartiers, il n’est pas rare de tomber, au fond d’une allée, sur une véritable boîte de nuit en plein air, où hommes et femmes font tomber respectivement la chemise et le foulard, et s’adonnent à des danses endiablées autour d’un brasier… Et les autorités dans tout ça ? Elles essaient bien, depuis tant d’années, de faire disparaître cette tradition préislamique, à renfort de menaces répétées d’arrestation, et de déploiements toujours plus nombreux de forces de l’ordre, mais rien n’y fait, les Iraniens sont toujours au rendez-vous.
Or cette année, la fête risque d’être gâchée. Depuis plusieurs jours, les membres de l’opposition iranienne, appellent à « rendre vert » le prochain Chaharshambeh Suri, qui a lieu le mardi 16 mars. L’opposition, qui n’a pas le droit de manifester, et qui a subi un relatif échec lors des contre-manifestations du 11 février dernier, multiplie ainsi les appels sur facebook, twitter et mail, à transformer cette nuit en contestation générale, à renfort de slogans anti-gouvernementaux, et de feux de couleur verte, pour faire pression sur le Régime en montrant que le mouvement n’est pas mort. Or le spectre de la sanglante répression de la journée d’Ashoura (27 décembre dernier) plane dangereusement sur cette nuit. Cette fête faisant déjà en temps normal beaucoup de morts et de blessés, victimes la plupart du temps de pétards défectueux, pourrait servir de prétexte aux forces de sécurité pour réprimer dans le silence. Vous connaissez déjà leur efficacité durant les grandes manifestations de jour. Imaginez un instant ce qui pourrait arriver à des groupes dispersés de jeunes manifestants dans la pénombre…
D’ailleurs, le procureur de Téhéran le Général Abbas Jafari-Dolatabadi, vient d’avertir que le pouvoir judiciaire et les forces de police prendraient des « actions fermes contre les fauteurs de troubles qui perturberaient la célébration pacifique du Chaharshambeh Suri »(…) « Durant cette nuit, plusieurs juges des Cours compétentes travailleront jusque tard le soir pour entendre les cas » des personnes arrêtées, a-t-il notamment annoncé. Autant d’indices qui prouvent que le gouvernement iranien est lui aussi prêt, surtout qu’il a prouvé le 11 février dernier, date du 31ème anniversaire de la Révolution islamique, qu’il était désormais fort bien organisé. Décidément, il ne fait pas bon jouer avec le feu en République islamique…
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