« La pyramide des martyrs obsède la terre », écrivait un grand poète français qui fut aussi, dans les maquis, un capitaine de la Résistance.

L’Europe, alors, se remettait à peine d’une tentative de suicide qui avait commencé par le meurtre de ses Juifs.

Son âme, sa culture, son futur, ne tenaient qu’à un fil, tendu sur une toile de ténèbres dont une poignée de Justes avaient sauvé des lambeaux.

Et c’est à partir de cette étoffe trouée, dans la déroute de l’humanisme et de la civilisation, tandis qu’avait triomphé la veulerie, c’est-à-dire, pour parler la langue claire des prophètes, la résignation à voir les Juifs tels des « agneaux sur l’étal du boucher », qu’une compagnie de pionniers réinventa l’Europe et fit qu’on pût recommencer, sans rougir, d’en prononcer le nom.

C’est ainsi que l’Union européenne est née.

C’est parce qu’ils connaissaient Primo Levi et son Si c’est un homme, Kafka et sa prémonition de la solitude d’Israël, Malaparte et le diamant noir de ses romans de guerre, c’est parce qu’on lisait, en ce temps-là, l’extraordinaire Kaputt s’ouvrant sur un palais proustien du royaume de Suède puis avançant, pas à pas, dans un continent d’épouvante, vers le pogrom de Iasi, en Roumanie, que les Pères fondateurs ont ressuscité la Princesse Europe.

C’est l’assassinat de ses Juifs qui l’a perdue et c’est par la réparation faite aux survivants que lui fut donnée une ultime chance de salut.

Mais voici que, quatre-vingts ans plus tard, après une renaissance en demi-teinte, l’Europe est revenue au bord de l’abîme.

Je ne parle pas de son économie – fragile.

Ni de son rayonnement culturel – loin des feux éblouissants d’avant la destruction des Juifs.

Ni de sa souveraineté politique qui, comme si nous ne désirions rien tant que devenir une banlieue du monde, ne parvient pas à prendre forme.

Je parle de ce nouveau vent de réprobation qui, parti, bien souvent, des États parrains du Hamas, souffle à nouveau sur nos villes.

Je parle de cette façon que l’on y a, en transformant en génocidaires les descendants des génocidés, de se laver des crimes que l’on a soi-même commis et que l’on commençait d’expier.

Et je parle du fait que la haine antijuive qui n’avait jamais, bien entendu, disparu a, désormais, pignon sur rue et peut, de Malmö à Bruxelles et de Paris à Madrid, s’afficher vociférante et grimaçante.

Peu importe, en vérité, le nombre.

Car jamais les peuples n’ont été intégralement, unanimement, antisémites.

Il suffit, en France par exemple, d’un parti prétendument insoumis pour, instrumentalisant la cause palestinienne, relégitimer dans les rues, les universités, le Parlement, la plus vieille et la plus rance des haines.

Ainsi se perd la boussole morale de l’Europe.

Ainsi reviennent les temps sombres et, avec eux, les « voyous publics » et autres psychopathes dont Nietzsche disait déjà qu’ils suffisent à mettre le feu au monde.

De là, le rassemblement appelé par La Règle du jeu, ce lundi 3 juin, au Théâtre Antoine, à Paris.

La Règle du jeu, c’est la revue que j’ai fondée, en 1990, avec Salman Rushdie, Mario Vargas Llosa, David Grossman, Claudio Magris – et, parmi les défunts, Jorge Semprun, Czeslaw Milosz, Amos Oz ou Susan Sontag.

C’est une revue d’écrivains.

C’est une revue créée par des femmes et hommes qui, si c’était à refaire, recommenceraient par la littérature mais ont toujours eu, partout, le souci des offensés et du combat pour les droits de l’homme.

Et c’est une revue qui, le 3 juin donc, quelques jours avant l’élection du Parlement européen, invitera la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, la maire de Paris et d’anciens Premiers ministres, des artistes, des directeurs de journaux européens et, bien sûr, des écrivains à se retrouver autour d’une idée simple.

L’âme de l’Europe est en péril.

Elle devrait être, pour paraphraser Paul Celan, la patrie des hommes et des livres : elle redevient le lieu des vitupérations les plus criminelles.

Il ne devrait pas y avoir, pour elle, aujourd’hui, de rendez-vous plus crucial qu’avec le peuple qui lui a donné le Livre et dont les noms, vivants et morts, sont de plus en plus violemment diffamés : la question est absente des débats et les grands candidats républicains, comme s’ils étaient tétanisés par le spectacle de la souffrance palestinienne, l’esquivent avec soin.

Nul ne devrait pouvoir entrer au Parlement dont Simone Veil, rescapée d’Auschwitz, fut la première présidente, sans avoir au cœur l’impayable dette de l’Europe à l’endroit de ce petit peuple si étrange, si singulier et dont la persécution a toujours été le plus infaillible des marqueurs d’inhumanité : qui en parle ? qui s’en émeut ?

Il restera cinq jours, ce soir-là, avant le vote.

Cinq jours, pas un de plus, pour que chacune et chacun se mette au clair avec ses arrière-pensées.

Il faudra le dire haut et fort : l’antisémitisme, quelle qu’en soit la langue, est un crime contre l’esprit doublé d’une menace existentielle pour l’Europe.

4 Commentaires

  1. J’hésite à provoquer un sursaut de conscience chez des Alliés qui exigent d’Israël qu’il se couche devant un État islamique palestinien qui, si l’on compare le tableau de chasse des assassins du 7-Octobre aux attaques du 9/11, multiplia par 16 le record historique d’al-Qaïda, un décompte macabre équivalant à plus de 50 000 morts en une matinée proportionnellement à la population des États-Unis recensée en 2000.
    Je connais mes ennemis ; leur perversité sans bornes ; leur inclination au plagiat torchonné. Je me doute bien qu’ils n’attendront pas une demi-seconde pour tenter de retourner ce nombre ahurissant contre l’État des Juifs en évaluant la proportion de civils palestiniens victimes des bombardements israéliens relativement au nombre d’habitants de la bande terroriste de Gaza. Ils omettront de préciser qu’un noble ou ignoble guerrier rompu au maniement des armes ne devrait pas, face au soldat d’une armée conventionnelle, conserver son statut de civil pour la seule raison que sa hiérarchie terrestre, voire céleste, s’est assurée qu’il prît soin de ne pas revêtir l’uniforme.
    L’ennemi de l’intérieur a raison : il s’agit bien d’une combinaison de mouvements de résistance tant intérieurs qu’extérieurs, à ceci près que ces organes malades sont aussi diamétralement opposés à ce que furent les divers mouvements de la résistance au Troisième Reich que peuvent l’être l’Allemagne du temps d’Adolf Hitler et l’Israël du temps de Benyamin Netanyahou.
    Nous avons affaire à une résistance islamiste, à une résistance anti-occidentale, à une résistance à la démocratie, à une résistance à l’état de droit, à une résistance antisioniste et, de manière parfaitement assumée, à une résistance antisémite.
    Cette forme de résistance très spécifique, il est de notre devoir de l’anéantir.
    Nous le devons aux soldats qui, il y a 80 ans jour pour jour, tombèrent au champ d’honneur pour qu’un matin de juin 2024, nous ayons la possibilité de vivre libres en Europe et au-delà ou, pour quelques-uns d’entre nous, d’y naître.

  2. Souhaite suivre la conférence L’Europe et l’Antisémistime

  3. Mais n’y a-t-il pas un fond du problème qu’on ne fait qu’éviter ? Il s’agit de la nature totalitaire d’une religion du VIIe siècle, son expansion et sa prétention à effacer Israël. Puis faire de même avec l’Europe. Voilà un usage « diabolique » d’un livre semblable à Mein Kampf que l’on dit sacré et qui sert de prétexte pour annihiler les autres cultures. Y compris par un génocide au départ culturel. Cela explique l’arrogante virulence du Hamas. Je me doute que ces réflexions ne puissent plaire par les temps du politiquement correct qui submerge toute réflexion possible.