Paris, le 28 mars 2013

Hier sur lexpress.fr : « En Images. Carla Bruni en 10 mots ». Cette excellente Galerie due à Gilles Médioni est pour nous l’occasion de tester l’hypothèse que nous avons avancée dans notre blog d’hier, et de mettre à l’épreuve nos catégories.

Carla : plouc ou bobo ?

La question est complexe. Imaginons que ce soit le sujet d’une dissertation. Plan en trois parties.

–         1ère partie : elle est bobo.

–         2ème partie : malgré les apparences, elle est plouc.

–         3ème partie, synthèse : a) elle est à la fois plouc et bobo ; b) elle n’est ni plouc, ni bobo ; c) Carla est Carla.

Passons au développement. L’introduction et chacune des trois parties devront animées, comme l’est l’ensemble, d’une dialectique à trois temps,  « thèse/antithèse/ synthèse »

introduction :

« On ne présente plus Carla ». Carla est une célébrité. Mais à transformations. A) La Belle : le mannequin ; la top-modèle ; la chanteuse ; la scandaleuse. B) La Dame :  épouse d’un Président, elle tape dans l’œil au monde. C) La Femme-Mystère : après l’Elysée, elle redevient chanteuse : est-elle bobo ? Elle seconde son mari dans son  opération de reconquête de la Présidence : est-elle plouc ?

 

 

première partie.

A) Carla, grande bourgeoise. La fortune des Bruni-Tedeschi. Ses origines. Le rôle des grandes familles dans l’histoire de la péninsule et dans l’imaginaire italien.

B) Une famille bohème. Le père, industriel, est aussi compositeur d’opéra. Juif, il épouse une actrice et pianiste concertiste goy. Celle-ci entretient une longue liaison avec un homme d’affaires brésilien – au vu et au su du mari, dira l’amant. Les deux filles : l’une fait actrice, l’autre mannequin. Carla a raconté à TV5 la mort de son frère, séropositif. Craignant d’être la cible des Brigades rouges, la famille se transporte en France.

C) Carla, bobo de chez bobo. La citoyenne du monde, de gauche comme elle respire. Le top-modèle à la coule. La dessalée des dessalées. Bobo amie des bobos et des homos.

Citations référencées :

–         « Je suis fidèle… à moi-même ! Je m’ennuie follement dans la monogamie, même si mon désir et mon temps peuvent être reliés à quelqu’un, et que je ne nie pas le caractère merveilleux du développement d’une intimité. Je suis monogame de temps en temps, mais je préfère la polygamie et la polyandrie. » Figaro Madame, 2007.

–         « (Un monde) « m’était complètement étranger, le monde des gens conservateurs (…) Même si je viens d’une famille bourgeoise, elle n’est pas du tout conservatrice. Les miens ont été choqués par son arrivée (celle de Nicolas Sarkozy, ndlr) dans notre paysage. (…) Mes réflexes épidermiques sont de gauche. » Libération, juin 2008

Citations non référencées : « Je préfère faire l’amour plutôt que d’être amoureuse !Si je dois rester éveillée, je bois. / J’adore aussi Arte… Quelle belle chaîne intéressante ! / Je trouve que Ségolène Royal est très belle. »

seconde partie.

A) Carla épouse Nicolas. Carla fait une fin. A la surprise générale, 1) elle se marie ; 2) elle épouse un non-bobo. Se marier est en soi non-bobo. Se marier avec un non-bobo est non-bobo au carré. Or, être non-bobo n’est pas loin d’être plouc. Donc, en se mariant, Carla, bobo reigning supreme, fait un pas ou même deux vers la plouquitude.

B) Carla boboïse son mari. Mais Carla le sait. Du coup, elle fait suivre à son mari un régime de cheval destiné à augmenter son taux trop bas de boboïsme  : asorber à haute dose d’Ordet, de Carl Dreyer ; Lubitsch ; Kubrick ; souligner au Stabilo Boss les meilleurs passages de : Steinbeck ; Camus ; Les Mots de Sartre ; et les apprendre par cœur ; etc. La culture du président finit par faire l’admiration de son ami-ennemi Franz-Olivier Giesbert.

C) Carla rattrapée par la plouquitude. Bien que boboïsé à marche forcée, Nicolas Sarkozy, politique avisé, sait qu’il lui faut consolider la base plouc de son électorat, et dénoncer sans relâche « Saint-Germain-des-Près ». Epouse italienne, fidèle comme une mamma, celle-ci accompagne le mouvement. C’est ainsi que, dans son dernier disque, elle désigne son époux par un prénom plus-plouc-tu-meurs. Selon le site tous-les-prénoms.com le prénom Raymond a connu en France « à partir de 1850, un éclatant succès qui perdura jusque dans les années 1920. Depuis cette date, sa diffusion n’a cessé de décroître, et aujourd’hui il est presque absent de l’état civil. » Le graphe interactif en ligne indique 22 naissances en 2009 contre 7 539 en 1920.

troisieme partie.

A) Carla plouc et bobo. Femme entière et déterminée, Carla ira jusqu’au bout de l’être plouc :  elle piétinera les médias ; elle sera photographiée embrassant Frigide Barjot ; elle sera interviewée par Jean-Pierre Pernaut.  Chanteuse, back in show biz, Carla fera le job : dans ses déclarations hier à L’Express, on retrouvait Carla reine des bobos, cool, witzig, encantadora. Donc, Carla écartelée ?

B) Carla ni… ni… Carla ne sera jamais vraiment plouc. Elle fait comme si, mais elle a l’œil trop vif, la langue trop bien pendue, elle est trop bien balancée. Le boboïsme est un conformisme, bon pour  la moyenne et petite bourgeoisie, qui est toujours à la remorque de la môme Crevette. Carla n’a jamais été vraiment bobo, elle a été une idole de bobos : ne pas confondre. La catégorie de « plouc » et la catégorie symétrique et inverse de « bobo » appartiennent en fait à l’époque des conceptions du monde. Ploucbobo is boboplouc, disait à peu près James Joyce. A plouc is a bobo is a plouc, disait à peu près Gertrude Stein. Déconstruisez-moi tout ça, disait à peu près Jacques Derrida. Mettez-moi tout ça à la poubelle, disait à peu près Jacques Lacan.

C) En somme, qui est Carla ?

Selon Sade et certains Pères de l’Eglise, Carla, c’est les prospérités du vice.

Pour Restif de la Bretonne, Carla vaut par ses chaussures.

Pour G. W. F. Hegel, Carla est l’Aufhebung (conservation-dépassement) du plouc et du bobo.

Mallarmé recommande d’attendre que l’éternité change Carla en elle-même.

Villiers de l’Isle-Adam et Jorge-Luis Borges suggèrent que Carla est la Cléopâtre de l’ancienne Egypte.

Jean-Paul Sartre tient Carla pour un « universel singulier ». C’est quoi, Grand-père, un universel singulier ?  « Totalisé, et par là-même universalisé par son époque, il la retotalise en se reproduisant en elle comme singularité. Universel par l’universalité singulière de l’histoire humaine, singulier par la singularité universalisante de ses projets, il réclame d’être étudié simultanément par les deux bouts. »(Sartre, L’Idiot de la famille).

Jacques Lacan voit en Carla une incarnation de LA femme qui n’existe pas. D’où résulte qu’elle diffère d’elle-même. Donc, on peut tout en dire, et le contraire de tout. Ou rien.

JAM adore Carla, point.

Nicolas Sarkozy reproche à Carla de perdre son temps à fréquenter des élites normaliennes qui ne voteront jamais à droite. Si la France a élu cet ectoplasme, c’est leur faute, Carla, tu vois.

conclusion :

«  Carla peut-elle encore changer ? ».

A) Non, elle ne peut pas, elle répète.

B) Si, car elle a déjà changé.

C) Synthèse dispersive, en hommage à Raymond (Queneau, né en 1903) :

– Aristotélicien : Carla debout et Carla assise, Carla plouc et Carla bobo, est-ce la même Carla ?

– Tautologique : Carla, c’est Carla.

– Salubre : Carla ne se prend pas pour Carla.

– Cornélien : Carla n’est plus dans Carla.

– Aléatoire : Carla sera toujours Carla.

– Amoureux : Carla, I love you !

– Marital : Carla, quand est-ce qu’on dîne ?