Paris, le 27 mars 2013

Nicolas Sarkozy is back. Quelque chose se tend dans la vie politique française. C’est Sarkozy inculpé d’abus de faiblesse. C’est Mélenchon injuriant Moscovici. C’est Solférino taxant Mélenchon d’antisémitisme. C’est la seconde manif de Frigide, avec débordements et gaz lacrymogènes. C’est Copé lançant une fatwa contre Vals.

Hum… Copé a-t-il décidé ça tout seul ? Il a beaucoup changé, Jean-François, depuis que je l’avais interviewé pour Le Point. Ce n’est plus le pain au chocolat, c’est franchement la soupe à la grimace. Je reconnais dans cette fatwa la patte du maître. Sarko is back and fighting.

Ce ne sera pas le Sarkozy d’ouverture du premier quinquennat. Il reprendra au point précis où il s’est arrêté. Après les résultats de l’Oise, plus d’échappatoire. Une partie des électeurs de gauche se reporte sur Marine Le Pen plutôt que de voter UMP. Solution : être le marinisme à visage humain.

C’est jouable. Sarko l’Anti-bobos rallie la France déconnectée, celle de la mondialisation malheureuse. Puis il rallie autour de celle-ci la droite libérale et le centre humaniste. Quel slalom ! Henri Guaino sera là pour orchestrer. Il lui faudra opposer au bobo une figure symétrique. Laquelle ?

La figure du bobo est sortie toute armée du cerveau de David Brooks, formé à la National Review par le plus séduisant et le plus cultivé des réactionnaires, William F. Buckley, Jr. Il fut récompensé de sa trouvaille en étant recruté par le New York Times pour succéder à William Safire comme columnist républicain. Il se montre plus distancié, moins mordant, que son prédécesseur, qui avait été l’une des plumes de Nixon.

Digression. Safire tenait aussi une chronique hebdomadaire « On language », qui était consacrée aux expressions idiomatiques mises en valeur par l’actualité du moment. Admirable créativité de la langue en Amérique ! Le dieu du langage a dit : le français aura la pureté, l’américain aura la vitalité. En français, je jouis d’écrire une langue morte. En américain, ce serait impossible : la langue pulse, s’étend, prolifère. En espagnol, on parle à la va-comme-je-te-pousse : rien ne vous arrête.

Quelle figure dresser en face du bobo ? J’ai acheté à Belle-Île le tome 2 d’un livre dont le tome 1 s’est vendu à 45 000 exemplaires, dit la 4e de couverture. L’auteur, Jean Rohou, « raconte l’histoire de l’enseignement primaire et la guerre des écoles en Bretagne. » Ce livre plébiscité par le lectorat breton s’appelle Fils de ploucs. Je m’explique mieux que ce Breton rencontré au Val-de-Grâce se soit présenté à moi en disant : « Je suis un plouc ». Le plouc attend encore son David Brooks, mais anticipons. La thématique de la prochaine campagne présidentielle en France, ce sera :  les ploucs contre les bobos.

C’est l’hypothèse. Voyons ce qui la confortera ou l’infirmera dans l’actualité politique du cher et vieux pays. Jeudi soir, François Hollande saura-t-il s’adresser aux ploucs comme aux bobos ? Ou dessinera-t-il un autre binaire ?

«  L’Argentine nous envoie un Pape lacanien ! » Une collègue analyste parisienne, qui ne veut pas que je la désigne autrement que par son prénom corse, Bibiana, m’écrit : « Votre blog d’hier m’encourage à vous envoyer une vignette que j’avais écrite puis oubliée, le soir où il n’y a pas eu de fumée sans pape à Rome. » La démonstration repose sur un indice ténu, elle n’en est pas moins convaincante. «  François !  Sortant les Italiens de leur stupéfaction, l’appel à St François d’Assise vint comme une onction. Pour nous Français, François 1er,  ça portait plutôt à sourire. Mais lorsque le pape a ajouté qu’il souhaitait qu’on le nomme simplement François, considérant qu’on ne pourra le dire premier qu’après coup, lorsqu’un autre se sera nommé second, là il m’est apparu lacanien. Cela m’a fait penser, en effet, à la formule de Lacan, « Le deux fonde le un ».  Je ne l’ai jamais comprise mais elle a alimenté mon ignorance. »

Catalogne. Je lis un mail de Mme Anna Pagès Santacana, professeur à l’Universitat Ramon Llull de Barcelone. « Je viens de lire votre entretien dans L’Avui en catalan. Vous soulignez des traits de la Catalogne (calcul + constipation + héroïsme) tout à fait actuels. Nous allons voir quelles lectures politiques se feront dans le « village catalan » de vos propos dans les jours à venir. D’autre part, je m’aperçois à quel point l’histoire de la Gauche Prolétarienne insiste encore, comme si, au fond, vous demeuriez « des althussériens » au delà de toutes les ruptures. La référence « aux autres » (Lévy, Linhart, Milner) est très présente dans le discours de tous ceux qui ont partagé ce moment unique en 68. J’y retrouve la question que se pose Milner à la fin de « L’arrogance du présent » lorsqu’il se demande : « Face à la réconciliation des notables et à la solidarité des plus forts, comment obtenir que le faible ait des pouvoirs ? » Ma correspondante est l’auteur d’un livre intitulé Filosofías post-metafísicas. Veinte años de filosofía francesa contemporánea.

Paris, le 26 mars 2013

Epreuves. Les premières épreuves du Désir et son interprétation m’arrivent. Je leur donne la priorité. La sortie est prévue pour la mi-mai.

Le breton. La première à m’écrire à ce sujet, le 19 mars, fut Mme Chantal Vaillant. « En lisant ce matin mon courriel, j’apprends que vous avez acheté le dictionnaire français breton de Martial Ménard, et que vous découvrez (enfin !) la langue bretonne. Ceci m’a profondément réjouie, car je suis originaire d’un petit village du Finistère Nord. Mon père qui n’est allé à l’école qu’à l’âge de 9 ans (en raison de la guerre 14-18), ne parlait pas un mot de français, alors que, comme tous les écoliers de cette époque, il avait l’obligation de parler français. Comme il ne savait pas un mot de français, on lui attachait au cou un sabot que le maître lui enlevait lorsqu’il surprenait un camarade parlant lui-même breton.

Comme vous, nos parents ne nous ont pas appris la langue de nos pères : trop d’humiliations. Et le français était la langue de la culture dominante. De plus, on disait qu’il valait mieux ne savoir qu’une langue pour mieux la parler. Ainsi je ne parle pas breton, je ne le comprends pas non plus, mais je suis marquée par cette langue qui est d’une certaine façon ma langue maternelle. Un auteur que je vous recommande, Hervé Lossec, a écrit Les Bretonnismes (en deux volumes) dans lesquels j’ai retrouvé toute la saveur de la langue maternelle, la lalangue de Lacan. »

Il y a très longtemps que je déplorai la méconnaissance de la langue bretonne par les analystes parisiens, dont vous êtes. Je déplore de ne pas la connaître moi-même. Il se passe toujours quelque chose de très étrange quand je l’écoute sur les cassettes audio destinées à l’apprentissage : alors que je ne comprends strictement rien, je ris à gorge déployée. Allez savoir pourquoi.

Paris, le 25 mars 2013

La plume au vent. Décidément, je ne suis pas maître de ma plume. Elle ne va pas où je veux, surtout quand cette plume est mon Mac. J’avais annoncé au public de l’Institut de l’Enfant que mon intervention de clôture, ils la liraient dès le lendemain dans DIVA. Il ne me fallait que la taper, car elle consistait en notes écrites au stylo. 23 mars : je commence sur Issy, son marché, sa librairie, et…  Le lendemain, rebelote. Je commence sur Eric Laurent, qui me précédait à la tribune, Tchouang-tseu qu’il citait, et…

Méthodes policières. J’évoquais hier « le mauvais esprit » que le père de Lubac, devenu cardinal, reprochait aux Jésuites français, qu’il jugeait trop progressistes. C’est plus grave que ça. Je n’avais pas lu jusqu’au bout son Mémoire sur l’occasion de mes écrits. Il évoque son effort pour qu’on rende justice dans la presse à la mémoire du père Gaston Fessard, décédé en juin 1978. Et il écrit : « Une intrigue secrète fit refuser la mise au point qui avait obtenu le “nihil obstat” du Provincial de France. Bel exemple des méthodes policières pratiquées par une certaine intelligentsia régnant alors en France dans la Compagnie de Jésus ». Quels furent les rapports du père de Lubac et du père Beirnaert ? Je sais qui pourrait me répondre.