Vous n’y couperez pas ! Jusqu’au fond de votre couette, vous serez traqués, débusqués, secoués, réveillés. Sur tous les canaux de communication vous serez assaillis : par télévision, par vidéo on line, par affiches, print, digital avec le #JeFaisLaDifférence. Le message anti-discriminations, pendant 3 semaines non-stop, sera seriné, déclamé, chanté, filmé, photographié, sera mis sous le nez, sous les yeux, dans les oreilles, dans la tête, de « tous les Français. »
« Tous les Français » ? Oui, c’est ainsi que s’exprime le prière d’insérer de la campagne, oubliant d’inclure les Françaises. Un mauvais point, un !
Qui parle ? Qui parle aux « Français » ? Qui tympanise la nation ? Qui mobilise les ressources les plus récentes de la technique publicitaire pour envahir et occuper « le temps de cerveau humain disponible » dans la population, selon la fameuse expression de M. Le Lay ? Rassurez-vous : ce n’est pas Coca-Cola, ce n’est pas Amazon, ni Apple. C’est une voix bien française, qui vous corne aux oreilles, une voix on ne peut plus française : le Ministère des solidarités et de la Santé.
Oui, nous sommes en pays de connaissance : cette campagne tonitruante, « contre les violences et discriminations », c’est à la bureaucratie sanitaire que nous la devons, celle qui n’a de cesse depuis des décennies, sous tous les gouvernements, que de chercher à éradiquer les pratiques d’écoute et de parole. Son dernier exploit est le fameux arrêté du 10 mars dernier, fait pour domestiquer les psychologues, les courber sous la férule du cognitivisme et, dans la foulée, réduire la clinique à la « biologie du comportement » (Canguilhem).
Si cette bureaucratie pourrie de privilèges a prévu de vous soumettre à un bombardement intensif de slogans, d’informations et d’images, c’est pour vous rendre meilleurs, vous, « tous les Français. » Car elle connaît le meilleur, elle sait où gît le Souverain Bien, et elle veut que vous aussi, vous ayez accès au Bien et au savoir de ce Bien.
Elle agit par le biais d’un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la Santé : l’agence nationale « Santé Publique France. » Vous ignorez ce nom ? Il est relativement récent, il date de 2016, quand il a été substitué à ce qui s’appelait l’INPES.
Ah ! L’INPES ! L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Nostalgie ! Nostalgie ! C’est cet organisme qui lança dans le pays, fin 2007, une campagne de propagande massive pour dépister la dépression. C’est que, voyez-vous, nous étions déjà « en retard sur les États-Unis », lesquels célébraient tous les ans le National Depression Screening Day pendant la Mental Illnes Awareness Week (Journée nationale du dépistage de la dépression, Semaine de prise de conscience de la maladie mentale). A l’époque, on faisait grand cas d’un pronostic de l’OMS : en 2020, la dépression sera la première cause d’invalidité dans le monde entier, avant les maladies cardio-vasculaires. Branle-bas de combat ! tous sur le pont !
Par curiosité, jetons un œil sur ce qu’il en est aujourd’hui des causes de mortalité (à distinguer de l’invalidité). Un document de l’OMS, en date du 9 décembre 2020, nous l’enseigne.
La « dépression », on n’en parle plus guère. Aujourd’hui, c’est haro sur les « discriminations ». On va vous faire entrer la tolérance dans le crâne, bande d’attardés, Code pénal en main. Fini de rire ! Les intolérants, on leur fera passer le goût du pain.
Le but ? Il est énoncé en clair : « un changement des mentalités » (Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances). Voilà comment nous parlent désormais, en toute bonne conscience, les maîtres de l’État : en pédagogues autoritaires, sûrs de leur bon droit, orgueilleux de leurs bonnes intentions, affairés à nous reformater.
La méthode ? La même que pour la dépression : le Carpet Bombing.
Un glossaire trouvé sur le Net explique : « L’expression est américaine ; elle fait référence à une pratique de diffusion massive de messages publicitaires, et peut être imparfaitement traduite par l’expression française de matraquage publicitaire. Le terme s’applique également à la communication entendue au sens large ; il s’agit alors de prendre la parole le plus souvent possible par le biais d’annonces destinées à occuper le terrain. »
Le résultat ? Il est prévisible : il sera nul, s’il ne va pas à rebours de l’effet attendu.
La psychanalyse ici a quelque chose à dire, ne serait-ce que parce que l’inventeur de la propagande moderne, euphémisée sous le nom de « relations publiques », fut un neveu de Freud, Edward Bernays. Il exploita au bénéfice de la nouvelle discipline ce qu’il avait pu acquérir du savoir de son oncle.
Oui, le désir peut être manipulé au service de l’acte d’achat. Oui, dans une campagne électorale, on peut changer des votes par un pilonnage intensif de contre-vérités. Oui, on peut augmenter les ventes d’un produit par suggestion, en le vantant tous azimuts sur tous les tons. Exaltés par le succès du marketing publicitaire au niveau de la consommation, vous vous autorisez à pénétrer dans la sphère la plus intime des personnes pour rééduquer et trafiquer le désir au sein même de la famille. Quelle hubris ! Quelle intempérance ! Quelle abjection !
Vous brandissez le Code pénal comme jadis des fanatiques brandissaient la Bible, vous jouez sans vergogne sur la peur du gendarme, et, foulant aux pieds tout savoir-vivre, vous faîtes intrusion dans les familles, vous censurez les conduites, vous prétendez dicter leur comportement au père et à la mère, aux jeunes et aux vieux, vous leur dîtes ce qui est bien et ce qui est mal.
Mais qui êtes-vous pour vous arroger ce droit exorbitant de toute décence ? Vous êtes une bureaucratie d’État, une bande de hauts fonctionnaires dont bon nombre ont vu leur ineptie révélée par l’épidémie de Covid, flanqués d’une flopée de profiteurs à la coule qui ouvriront dans l’élan des officines non gratuites de rééducation. Et c’est vous qui prétendez nous enseigner la tolérance, ou gare !
Et maintenant, vous poussez l’impudence jusqu’à ouvrir un site permettant de « tout savoir sur la sexualité » ! Messieurs les Ronds-de-cuir savent tout de la sexualité ! Rions ! Même un Courteline n’a pas osé ça. Je n’invente rien : voyez questionsexualite.fr, « portail dédié à la sexualité de tous les Français » (encore !).
La tolérance ? Oui, bien sûr. La vraie tolérance s’avance sur des pattes de colombe. Elle ne se montre pas inquisitoriale, elle se démontre tolérante. Elle parle doucement, chemine dans les profondeurs du goût. Elle se diffuse à travers toutes ces pratiques d’écoute et de parole que vous vomissez, et que vous essayez en vain d’éradiquer depuis des années.
Ce texte est extrait d’un éditorial du dernier Lacan Quotidien, à lire ici mais aussi sur Marianne.