Paris, le 22 juin 2017

 

NYT (mercredi) : passionnante correspondance en direct du Grand Collisionneur de hadrons (LHC) du CERN. La nature ne répond plus ! Depuis la découverte du boson de Higgs, «the silence from the frontier has been ominous.» On déprime chez les physiciens. «Science is knocking on heaven’s door, as the Harvard physicist Lisa Randall put it in the title of her recent book about particle physics. But what if nobody answers? What if there is nothing new to discover?» Suit un rapport sur la chasse à la supersymétrie. On considère maintenant que le Modèle Standard est obsolète, et on planifie déjà un futur Collisionneur géant. La Chine le fait de son côté. «Nature might be more subtle than we think it is», déclare Joel Butler, du Laboratoire Fermi.

 

Bien sûr, pour un érudit, nil novi, Héraclite avait tout dit: Phusis kruptesthai philei, La Nature aime à se cacher, ou, version Heidegger-Beaufret : Rien n’est plus propice à l’éclosion que le retrait. Est-ce affaire de goût ? On choisit selon que l’on préfère vivre dans un monde où il ne se passe rien que la célébration du mystère, ou bien dans l’affairement, le divertissement des mathèmes. J’opte comme Lacan pour le va-et-vient.

 

L’humanité. J’y lis sous la plume de Jérôme Sainte-Marie, président de PollingVox, le commentaire le plus matter of fact de la période électorale qui vient de s’écouler : «En imposant comme une certitude la perspective de sa présence au second tour, Marine Le Pen a facilité contre elle la réunification politique de la bourgeoisie.» Tout est dit. Contrairement à ce que soutiennent avec un culot d’enfer les intellectuels abstentionnistes et, entre autres, Elisabeth Lévy de Causeur, la certitude structurant l’élection présidentielle n’a nullement été celle de la victoire de Macron, mais celle de la présence de Marine au second tour. Puis l’éventualité de sa victoire s’est faite jour autour du 1er mars, quand l’Ecole de la Cause freudienne a pris l’initiative de susciter un Appel anti-Le Pen des psychanalystes, lancé le 13 mars. L’incertitude portait sur l’identité de son meilleur adversaire. Peu avant le premier tour, il apparut que c’était Macron.

L’élan qui a porté Macron au pouvoir est dû en effet à une «réunification de la bourgeoisie». Celle-ci n’est que partielle : les gens de la droite dure, «tradi» sur les questions dites sociétales, s’en exceptent, comme ceux de la gauche molle qui se sont reconnus dans l’utopie de Hamon. Contrairement à ce que Milner laisse entendre quand il répond à Causeur, les Forums républicains que j’ai organisés à Paris avec Bernard-Henri Lévy n’étaient certainement pas les porte-parole d’une «petite bourgeoisie intellectuelle», largement acquise aux thèses de Mélenchon. Ce qui est vrai, c’est que nous la lui disputerons, pour autant que les Forums s’avéreront avoir été l’aile marchante d’un mouvement sui generis en formation.

 

Je donne raison à Zemmour : nous entrons dans une Monarchie de Juillet. Macron entend remettre sur le métier l’aggiornamento de la République accompli par de Gaulle en 1958. Le dessein du nouveau régime est de mettre la France au pas de la mondialisation. A cette fin, il procédera à une redistribution de la plus-value conforme à la formule de François Ruffin : Macron fera du «Robin des Bois à l’envers». Saura-t-il, comme de Gaulle en son temps, simultanément rallier à son macro-dessein une partie des classes populaires ? Il y faudrait au moins la croissance retrouvée, et vite. La question est posée de l’intensité de l’opposition populiste à venir, de droite et de gauche ; des ruses qui tenteront de la circonvenir ; et si elles sont inopérantes, quel sera le niveau de la violence ? Beware Transnonain !

 

Le Point : éditorial prophétique de BHL. «Je ne vois pas comment éviter d’entendre, dans l’assourdissant silence des abstentionnistes, l’une de ces dissonances qui accompagnent les fanfares victorieuses et dont on ne sait jamais, sur l’instant, si c’est juste une fausse note, le bruit que font les choses qui tombent et qui bougent encore quoiqu’elles soient mortes — ou un vrai couac, un craquement plus essentiel, annonciateur d’une crise profonde.» On ne saurait mieux dire.

 

Belle formule, adossée à Hobbes et que ne renierait pas, me semble-t-il, le dernier Rancière : «Le peuple est toujours un artefact.»

 

Le monde des livres sert la soupe à Badiou prenant sa retraite. Je pense à Flaubert et aux comices de Madame Bovary : «Cinquante-quatre ans de service ! Une médaille d’argent ! Vingt-cinq francs ! C’est pour vous.»

 

Ce n’est pas dans Le Monde mais dans Le Figaro qu’on lira la première interview du président depuis son élection, et aussi dans Le Soir, Le Temps, le Guardian, le Corriere, El Pais, la SZ, et Gazeta Wyborcza. La page de Zemmour et de Jaigu est toujours aussi pétillante. L’un fait parler l’anthologie des Grands textes de la droite, de Grégoire Franconie ; l’autre fait parler Jean-Vincent Holeindre de son livre La ruse et la force. Le jeune universitaire, qui vint jadis m’interviewer avec ses camarades bordelais, prétend prendre le contrepied des théories de la guerre ayant prévalu aux XIXe et XXe siècles. Il en oublie apparemment Liddell Hart, adepte de la «stratégie indirecte», et Sun Tzu, rendu populaire par Mao et Giap.

 

Par ailleurs, on trouve dans le journal un éloge de Norberg (Non, ce n’était pas mieux avant) par un Luc Ferry ébloui. Patrice Gueniffey répond à Eugénie Basté sur les grands hommes désormais impossibles : «Comme disait Hegel, les grands hommes prêtent une attention assez distraite aux fleurs qu’ils écrasent sur leur passage. Nous sommes devenus trop sensibles, trop délicats pour tout à fait nous en accommoder.»

 

Cahier sur les livres religieux dans La Croix. J’apprends la renaissance d’un «christianisme intérieur» en rupture avec le cléricalisme, de pure spiritualité, renouant avec le mysticisme (Gérard Fomerand, Le Christianisme intérieur, une voie nouvelle). Sandro Veronesi explique dans son Selon saint Marc en quoi cet Evangile suit un scénario à la Tarentino. Omero Marongiu-Perria se propose de Rouvrir les portes de l’islam en mettant en cause le «paradigme hégémonique» des théologiens du Moyen-Âge qui continue de dominer la Weltanschauung musulmane.