« Crève sioniste » lisais récemment à mon attention sur le réseau X de la part d’un camarade d’égout de Monsieur Caron.
Qu’à cela ne tienne, en ce jour anniversaire de l’État d’Israël, quelles que soient les critiques, les doutes, les condamnations – peut-être aussi à cause d’elles –, je le proclame fièrement à la face de qui croit m’insulter : oui, je suis sioniste !
D’ailleurs « sioniste » doit être le seul terme de toutes les langues connues, usé comme une injure contre ceux qui, comme moi, le revendiquent comme un honneur.
Oui, je suis sioniste comme l’étaient Albert Einstein, Stefan Zweig ou René Cassin, père de la Déclaration universelle des droits de l’homme, car le sionisme est un droit. Celui du peuple juif à avoir son foyer national tant qu’il est démocratique. Celui de l’Etat d’Israël à être cet État. Le sionisme vient du droit et il n’y a pas de sionisme hors du droit.
Je puis être sioniste à l’instar de Léon Blum ou Robert Badinter tout autant que Benjamin Netanyahu peut l’être avec des convictions parfaitement opposées.
Mais si je nous reconnais volontiers une commune appartenance malgré nos positions adverses, je n’accepterai jamais à aucun prix et sous aucune forme les excommunications, les purges et les oukases qui font partie de la tradition de tous les ennemis du peuple Juif là où le débat, la controverse, le questionnement sont la source et le berceau du judaïsme.
Et quoi que l’on pense, il reste donc qu’Israël est légitime et le Hamas est illégitime. Qu’Israël est un État de droit et un État consacré par le droit. Le Hamas, lui, est une organisation terroriste condamnée par la communauté internationale et qui a commis un crime contre l’humanité le 7 octobre, crime qui se poursuit par la détention d’otages israéliens.
En revanche, l’entrave ou le blocage de l’aide humanitaire ne sera jamais ni légale, ni acceptable. Que la situation de famine soit caractérisée, menaçante ou rampante ; que le Hamas capte le stock ou le détourne : l’aide humanitaire doit être acheminée à Gaza, et Israël comme puissance belligérante doit y concourir sauf à se rendre complice ou coupable de la dégradation des conditions de vie de la population gazaouie.
Ainsi, ce gouvernement dont la légitimité n’est pas discutable commet des actes dont la légitimité est de plus en plus contestée ; le tout sur fond d’une guerre qu’Israël n’a pas choisi, mais qui continue aussi pour raisons de convenance de son premier ministre empêtré dans des enquêtes qui le menacent et sous le joug de forces extrêmes qui le maintiennent.
Dans ces circonstances, les déclarations Smotrich ou de Ben Gvir sur la destruction de Gaza ou le transfert des Gazaouis, quand ce n’est pas l’appel à leur éradication pure et simple, même si elles sont heureusement en l’état non suivies d’effet, heurtent la conscience et doivent rencontrer la plus ferme condamnation à commencer par celle de ceux qui se réclament du sionisme.
Au jour de son 77e anniversaire, nous devons nous réjouir avec toute la prudence requise qu’Israël soit moins menacé que jamais à l’extérieur de ses frontières. Le Hamas est militairement défait. Le Hezbollah n’existe plus. L’Iran est empêché dans ses capacités conventionnelles. La Syrie s’est effondrée.
En revanche, des périls intérieurs le guettent et notamment ces forces politiques extrémistes qui se livrent à une surenchère sur le dos des principes fondateurs du sionisme et des valeurs cardinales du judaïsme.
Il faut s’alarmer : le sionisme est démocratique ou ne sera plus.
Dans ces circonstances, qui est l’ami dévoué ? Celui qui se tait ? Celui qui parle ?
Celui qui par fidélité ne veut pas ajouter une critique à un déluge de haine que rien n’arrête ?
Ou celui qui considère que se taire plus longtemps serait prendre le risque de perdre l’essentiel ? À l’évidence, chacun des deux, à sa manière.
J’entends bien que la contestation serait d’autant moins acceptable que nous ne sommes ni soldats ni citoyens d’un pays en guerre comme Israël. Mais au lendemain du 7 octobre nous n’étions pas si nombreux à aller au devant des plateaux les plus virulents pour soutenir publiquement le droit d’Israël à se défendre comme à invoquer le retour des otages chez eux avant tout autre débat. Delphine Horvilleur, Anne Sinclair et Joann Sfar étaient de ceux-là. Et avec quel talent et avec quels périls dans la France de 2023, 2024 et 2025 !
Après le 7 octobre, le soutien à Israël avec ses risques rend recevable la critique d’Israël malgré ses risques.
J’ajoute que soutenir aveuglément un gouvernement au motif qu’on ne critique pas un gouvernement démocratiquement élu est un contre-sens. Pire, approuver inconditionnellement un gouvernement qui est à la merci de sa faction la plus extrême revient à se retrouver soi-même otage d’une position que l’on ne partage pas et à embrasser un Israël qui n’existe pas, tant la diversité des opinions y est vive.
Une nette majorité d’Israéliens s’oppose à la poursuite de la guerre dans ces conditions pour favoriser le retour des otages. Va-t-on condamner le peuple au nom du soutien au gouvernement ?
Dans une déclaration restée fameuse, David Ben Gourion avait affirmé :
« Nous devons aider les Britanniques à combattre l’Allemagne comme si le Livre Blanc n’existait pas, et nous devons combattre les Britanniques comme si la guerre n’existait pas. »
À l’heure de la conversation mondialisée, nous pouvons en tirer l’enseignement que nous devons combattre les antisionistes comme si nous approuvions la politique israélienne et la contester autant que nécessaire comme si les antisionistes n’existaient pas.
C’est à ce prix et à ce prix seul que nous préserverons tant l’histoire d’Israël depuis ses tréfonds bibliques que son avenir au sein de la société des nations.
Longue vie à Israël !
Dernière lecture : Omer Bartov dans la NYRB du 24 avril 2025 : « Infinite License »
https://www.nybooks.com/articles/2025/04/24/infinite-license-the-world-after-gaza/
C’est si triste. Petit-fils d’un grand-père exterminé à Auschwitz, je lis sous la plume de M. Bartov, un historien réputé de la Shoah (« Anatomy of a Genocide: The Life and Death of a Town Called Buczacz », Paperback – January 1, 2019) : » (…) That remote genocide at the dawn of the twentieth century [en Namibie par les Allemands en 1904] shares some remarkable similarities with the campaign of ethnic cleansing and annihilation prosecuted by Israel in Gaza.(…) ». Plus loin dans l’article d’Omer Bartov : (…) « The Israelis are perpetrating a genocide in Gaza because they perceive Palestinians as savages (…) ». Ou encore : « (…) ,we can undoubtedly conclude that Israel has deliberately subjected the Palestinian people in Gaza, most of whom are refugees from the partition of Palestine in 1948 or their descendants, to “conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part,” as stated in Article II(c) of the 1948 UN Genocide Convention. »
Bien sûr ce n’est qu’une voix qui s’exprime. Mais je ne pensais pas devoir lire de la part d’un Israélien, qui plus est respecté dans son domaine, des phrases si terribles.
Après le 7 octobre, que fallait-il faire M. Bartov ?
Pierre Weinstadt
avocat@pierreweinstadt.com
Si on simplifie la question, en laissant un instant de côté les analyses sur l’antisémitisme, le colonialisme, etc., ne faut-il pas se demander comment faire pour désarmer, neutraliser, le Hamas sans faire de victimes civiles ? Je souhaite beaucoup de succès à ceux qui ont une réponse facile à cette ligne de crête. J’ai envoyé à la RDJ en octobre 2023 un dialogue imaginaire entre un Chef d’état major ou un ministre de la Défense opposé à l’intervention telle qu’elle s’est déroulée et une Première Ministre qui résumait le point en disant : « ils ne comprennent que la force ».
Deux lectures : Yossi Beilin dans La Monde du 14 mai 25, p.27 ; Adam Sutcliffe dans le TLS du 18 avril 25, p. 12
Pierre Weinstadt
Paris
– 18.10.23, mon commentaire dans RDJ (sous « Je vous écris d’Israël », de BHL) :
« Croisé une Israélienne. Improvisation : elle, la nouvelle Première Ministre (PM), moi le nouveau chef d’état-major.
PM : que me conseillez-vous ?
Moi : à grands traits :
1. ne pas y aller. Ni à pied ni en avions. Pas un seul soldat de Tsahal dans les rues de Gaza. Pas un seul bombardement.
Pq? Car j’ai soudain l’impression d’être comme dans le « Stratego », le jeu de société préféré de mon enfance. Vous connaissez ? Les rouges affrontent les bleus mais les adversaires ne savent pas quelles sont les pièces de l’autre ni où se trouve le drapeau (ici le Hamas ; la PM : j’avais compris…) car elles se tournent le dos.
Bref, chère PM, je ne veux pas être le général Nivelle de ce Chemin des Dames.
2. protéger nos frontières bcp mieux qu’au matin du 7 octobre. Sans démobiliser l’économie du pays. Peut-être pas besoin de 300 000 réservistes.
3. récupérer les otages même s’il faut libérer 5 000 prisonniers.
4. essayer de rentrer d’urgence dans l’OTAN. Israël ne peut plus être seule. Il faut que le monde comprenne que nous sommes le « bébé phoque » du Moyen-Orient.
5. essayer d’avoir des dirigeants visionnaires.
6. négocier d’une manière ou d’une autre, sans relâche, de toute urgence, la coexistence : 2 états me semble la meilleure solution. Très vite. La question des 600 000 Israéliens en Cisjordanie est compliquée mais pas insurmontable.
7. poursuivre le processus de paix avec les États de la région.
Les points 2 à 7 seront sans doute plus faciles à atteindre si vous me suivez sur le point 1.
Quand Israël en saura plus sur le Hamas, ses alliés, son potentiel, etc., il sera toujours temps de se battre ruelle par ruelle, ruine par ruine, dans les tunnels, les bunkers, etc., si le Hamas poursuit son œuvre de destruction. Mais, s’il faut vraiment se battre, le faire de préférence avec des armées alliées (l’infanterie de l’OTAN, etc.) et une opinion publique mondiale plus favorable (même si l’opinion publique n’est pas ce qui doit conditionner la décision de se défendre).
Bref, peut-être une autre façon d’être fort dans un océan de bêtise, de fanatisme, de dictatures.
La PM : merci. Je ne suis pas d’accord. Il faut y aller. Ils ne comprennent que la force. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être faibles.
Moi : aujourd’hui, nous sommes faibles parce que nous ne connaissons plus les moyens de notre adversaire. Et nous ne sommes pas faibles que militairement. Délicat, madame la PM, de parler politique et morale quand vient de se commettre envers notre peuple un crime contre l’humanité. Mais nous vivons au bord de l’abîme depuis trop longtemps.
La PM : merci. Je me charge des questions politiques.
Moi : Bien sûr. Courage.
Pierre Weinstadt, Paris »
22.5.25 : où en est-on ?
Votre manière d’être sioniste est si j’ose dire, Patrick Klugman, la mienne. Comment faut-il comprendre une telle affirmation venue de quelqu’un qui n’est pas juif ? C’est assez simple, du moins en première approximation : parce que je combats l’antisémitisme depuis l’enfance ou peu s’en faut. Le 7 octobre, j’ai réagi à ce que, comme d’autres, j’ai appelé un pogrom, perpétré par un mouvement qui puise son idéologie jusque dans le nazisme, ainsi que me l’ont appris Pierre-André Taguieff, Bernard-Henri Lévy, Eva Illouz et quelques autres. L’intention génocidaire du Hamas est en effet constituée pour qui connaît sa charte, mais aussi pour qui sait ce qui s’est passé le 7 octobre. Or, le lendemain même de ce jour atroce, l’antisémitisme a déferlé. Paradoxe ? Seulement pour ceux qui ont cru que cette haine qui résiste aux efforts de compréhension était en somme éteinte et que la raison l’avait emporté sur les passions les plus abjectes. On sait hélas qu’il n’en est rien. Mais dès le 7 octobre, j’ai pensé que le Hamas, consciemment ou non, avait tendu à Israël un piège dans lequel j’ai craint de le voir tomber. Et c’est en un sens ce qui s’est passé puisque le gouvernement israélien, et Tsahal sous ses ordres, ont cru pouvoir éradiquer le terrorisme du Hamas par des bombardements massifs. Je ne sais pas quelle méthode il eût fallu employer pour agir, mais celle-là, en tant qu’ami d’Israël, m’a paru funeste. Et dans le désarroi qui fut et demeure le mien, votre réflexion est de nature à me redonner du courage. Merci !
J’espère être un lecteur inattentif en comprenant qu’ à la question:
« Dans ces circonstances, qui est l’ami dévoué ? Celui qui se tait ? Celui qui parle ? »
La réponse est:
« À l’évidence, chacun des deux, à sa manière »
Rassurez-moi si vous en trouvez le temps