Deux ans après la guerre, les nouvelles d’Arménie ne sont pas bonnes. Ce qui n’enfreint, hélas, pas la règle. La dernière exception remontant au printemps 2018 lorsqu’à la surprise générale son peuple s’est soulevé pour renverser le régime corrompu qui avait été édifié sur le modèle elstinien, après l’effondrement du système soviétique. Aujourd’hui, l’euphorie est bel et bien retombée. Et l’Arménie, comme avant elle l’Ukraine et la Géorgie, paye au prix fort ses rêves de liberté. Certes, le pouvoir russe n’a pas mené contre elle une « opération spéciale », à l’instar de celles déclenchées contre ces deux pays qui l’avaient précédée dans l’expérience des Révolutions de couleurs. Il lui a suffi de faire savoir à l’Azerbaïdjan et à la Turquie qu’elle mettrait entre parenthèses la protection accordée à l’Arménie. 

Historiquement la Russie s’est régulièrement posé en gardien des chrétiens face aux persécutions dont les gratifiait son vieux rival turc. C’est ainsi qu’elle a signé en 1997 avec l’Arménie un partenariat stratégique toujours en vigueur, et qu’elle a maintenu sur son sol une base militaire, datant de l’époque soviétique. Les deux pays font d’ailleurs partie du même système d’alliance : l’OTSC. Ce pacte de défense mutuel s’est cependant avéré bien inutile lorsque la coalition entre la Turquie et l’Azerbaïdjan (qui se définissent comme deux États pour une seule nation), a lancé à l’automne 2020 son offensive contre la république arménienne du Haut-Karabakh. La Russie a, en effet, assisté en spectatrice à la défaite de ses alliés arméniens, submergés par la puissance de feu de l’ennemi. Il est même tout à fait possible que cette neutralité ait pu être auparavant négociée avec l’Azerbaïdjan, ami traditionnel de la Russie, ainsi qu’avec la Turquie, dans le cadre des tractations obscures entre Poutine et Erdogan. Ainsi, la mesure classique de rétorsion russe consistant à infliger des pertes territoriales aux pays de l’ex-URSS possédés par le poison démocratique allait aussi pouvoir s’appliquer à l’Arménie, par procuration. En laissant juste les Turcs opérer. Jusqu’à ce que Nikol Pachinian, perçu par Poutine comme un rebelle hostile, lui demande à genoux de s’interposer le 9 novembre 2020. En désespoir de cause. Car dans cette guerre inégale, contrairement à ce qu’il se passe pour l’Ukraine, aucune aide occidentale n’a jamais été envoyée à l’Arménie. Et à la différence de la situation de la Géorgie en 2008, aucun chef d’État européen ne s’est rendu sur place, ne serait-ce que pour lui affirmer sa solidarité, ou pour dire stop à l’agression. Il est vrai que dans le cas arménien, un tel geste aurait pu avoir pour conséquence de tendre les relations traditionnellement difficiles avec l’ombrageuse Turquie, allié de l’OTAN. Personne n’a visiblement souhaité courir ce risque. C’est ainsi que l’Arménie s’est retrouvée totalement isolée. Elle avait cru en la démocratie, mais les pays démocratiques n’ont pas cru suffisamment en elle pour lui sacrifier leurs modus vivendi avec Erdogan. Pas plus qu’avec son alter ego, Ilham Aliyev, maître de Bakou, satrape incontesté de l’Azerbaïdjan, contrôleur en chef des robinets d’hydrocarbure de la Caspienne, avec lequel Ursula von Der Leyen vient de signer un contrat pour fournir du gaz au vieux continent. Même en ces temps de fonte des glaces, on ne badine pas avec le chauffage… 

Fort de tant de complaisance à son endroit, l’axe Ankara-Bakou aura donc tout loisir de reprendre là où il l’avait laissé son projet d’annihilation de la présence arménienne dans la région, commencé avec les massacres Hamidiens, poursuivi par le génocide de 1915, et réactualisé aujourd’hui avec les tentatives de nettoyage ethnique du Haut-Karabakh, préalable à l’occupation programmée de ce qu’il reste de l’Arménie dans le but de réaliser la jonction territoriale entre la Turquie et l’Azerbaïdjan et, plus loin, le monde turc fantasmé. Des ambitions parntuquistes qui n’ont hélas rien d’imaginaires, les prétentions azerbaïdjanaises sur le sud et le nord de l’Arménie, ainsi que sur Erevan, ayant été affirmées publiquement à plusieurs reprises par Ilham Aliev. Un dictateur à qui il faut reconnaître le mérite de la franchise, ainsi d’ailleurs qu’à Erdogan qui, le 12 novembre 2020, s’est félicité dans un autre registre de l’issue tragique de la guerre en ces termes : « Le Haut-Karabakh redevient un pays de l’islam et reprend sa place sereine à l’ombre du croissant. » A chacun ses lubies. 

Dans ces conditions, et accessoirement, l’on ne s’étonnera pas que l’église arménienne soit particulièrement visée aujourd’hui à travers la destruction physique ou la dépossession de ses bâtiments au profit d’autres cultes (musulman, mais aussi orthodoxes russe), la démolition systématique de ses fameux Khatchkars (croix de pierre), tandis que les colonies arméniennes créées sur des territoires libérés il y a 30 ans et actuellement retombées sous la botte de Bakou, n’avaient plus que 3 jours pour déguerpir, à l’heure où s’écrivaient ces lignes. 

Mais il est, hélas, à craindre que l’Azerbaïdjan ne s’arrête pas en si bon chemin. Tout en rappelant que le mandat des forces d’interposition russe prendra fin dans 3 ans, Ilham Aliev, encouragé par son comparse Erdogan, exige aujourd’hui la démilitarisation de ce qu’il subsiste de l’armée de défense du Haut-Karabakh, ce qui entraînera illico presto la mort de ce territoire arménien octroyé par Staline à l’Azerbaïdjan en 1923. En attendant que vienne le tour de l’Arménie. A moins bien sûr que les événements en ce qui la concerne ne se précipitent. Et dans ce cas, on ne voit pas très bien qui pourrait lui porter secours dans les années, les mois, et encore moins les jours à venir, qui sait ? 

À la fois lâchée par son supposé protecteur russe, pour qui elle n’est plus qu’une monnaie d’échange dans ses tractations avec Erdogan, ignorée par un Occident aussi médusé que tétanisé par l’arrogance du président turc, l’Arménie est plus que jamais réduite à ne pouvoir compter que sur ses maigres forces. Ou, s’il est encore temps, à devoir prêter clairement allégeance à Poutine, en renonçant à tous ses rêves de liberté au nom de la première d’entre elles : la sécurité. On se console comme on peut.

Un commentaire

  1. Mon père a été élevé dans un orphelinat allemand à Marash, dans le sud est de la Turquie. Les religieux allemands avaient l’habitude de dire aux orphelins arméniens: qu’attendez-vous, qu’espérez-vous, « arm » veut dire « pauvre » en allemand! Cette remarque est plus que jamais d’actualité pour le peuple arménien. Nous avons droit à des inaugurations de stèles, des discours bienveillants et c’est tout. Israël peut compter sur les USA, l’Azerbaïdjan sur la Turquie, l’Arménie ne peut compter que sur elle-même. Vae victis…….