De Bernard-Henri Lévy à Jean-Christophe Buisson, d’Anne Hidalgo à Laurent Wauquiez, d’Elisabeth Badinter à Valérie Pécresse, en passant par des personnalités aussi différentes que Dominique Sopo de SOS racisme jusqu’à Xavier Bertrand ou Jean-Michel Blanquer, plus d’une centaine de figures françaises du monde intellectuel, des arts et de la politique, élus ou ministres, ont adressé à la date symbolique du 18 juin une lettre ouverte, publiée en « Une » du site du Point[1], à Emmanuel Macron, pour lui demander d’envoyer un contingent militaire en Arménie. 

Cette mission, à vocation préventive, aurait pour intérêt de compliquer la tâche de l’ennemi, d’internationaliser la problématique de la sécurité de l’Arménie et de renforcer son potentiel de dissuasion, face aux visées criminelles du totalitarisme panturc et djihadiste. Le risque est réel. En témoignent les précédents de 2022, qui se sont traduits par une occupation de plus de 150 km2 du territoire arménien, ainsi que par l’épuration ethnique totale du Haut-Karabakh, en septembre 2023, laquelle représente le prologue de la destruction de l’Arménie elle-même, selon la rhétorique d’Aliev, le maître de Bakou. 

Émanant de n’importe quel État, ces agissements et ces menaces à caractère génocidaire mériteraient d’être pris au sérieux. A fortiori, lorsque leur auteur investit chaque année quatre fois plus que l’Arménie dans son budget militaire, qu’il bénéficie de l’appui de la Turquie, deuxième armée de l’OTAN, et qu’il dispose du potentiel de milliers de supplétifs islamistes prêts à mener la guerre sainte…  Face à une telle débauche de moyens, renforcée par la haute technologie militaire fournie à la fois par Netanyahou et Loukachenko, comme révélé récemment, il est clair que l’espérance de vie de cette petite démocratie du Caucase demeure sujette à caution, malgré le courage de ses conscrits qui avaient fait montre en 2020 d’une incroyable bravoure en tenant leurs positions 44 jours durant, sous un véritable déluge de feu. D’où la nécessité de la protéger plus concrètement, car, ainsi que le déclarent les signataires de l’appel susmentionné, si une nouvelle tentative d’invasion advenait, elle ne « constituerait pas seulement une catastrophe absolue pour nos frères d’Arménie, un pays si proche de nous par son histoire et ses valeurs ; elle représenterait un terrible échec pour l’humanité, et par conséquent pour la France, l’Europe et l’ensemble des puissances qui œuvrent au respect du droit international et à la victoire de la justice sur la force ». 

Alors que le Premier ministre arménien envisage de mettre un terme à sa participation à l’OTSC, système d’alliance sous l’égide de la Russie en raison de son double jeu avec Aliev et Erdogan, la mise en place d’un dispositif de défense alternatif, ou au moins complémentaire, apparaît plus que jamais indispensable pour sa survie. Personne ne viendra, certes, se battre à sa place. Mais il ne s’agit pas tant en l’occurrence de guérir, que de prévenir, avant qu’il ne soit trop tard ? Or, les États-Unis, qui se livrent actuellement à une OPA diplomatique sur l’Arménie, semblent davantage soucieux d’y éradiquer la présence russe que de la soustraire à la menace de ses amis turcs. En atteste l’accentuation de la pression de l’axe Ankara-Bakou sur Erevan, à tous les niveaux. 

Face à ce manque visible d’influence positive des Américains sur leurs alliés, qui n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, l’impuissance des Russes (à moins qu’il ne s’agisse pour les uns et/ou les autres de duplicité), la France apparaît comme le pays le plus fiable pour garantir la paix. D’une part, parce qu’elle s’est déjà engagée pour la défense de l’Arménie, en signant des contrats d’armement dont, le 17 juin, la fourniture d’obusiers Caesar. Ensuite, en raison de son statut au Conseil de sécurité de l’ONU. Enfin, du fait de la nature de ses relations avec les forces régionales (Russie-Iran) qui, pour rester tendue, est moins antagonique que celle des États-Unis. Ce qui devrait rendre sa présence plus fluide. 

Quel serait, cependant, pour Paris l’intérêt d’une telle mission ? Outre d’aider un pays ami, d’y défendre une démocratie, de faire reculer le totalitarisme (comme en Ukraine), de protéger ses arrières civilisationnels, et donc à terme sa propre sécurité, cette présence lui permettrait d’exister dans cette zone stratégique sur la route entre l’Europe et l’Indo-Pacifique. Alors qu’elle perd tous les jours ses positions en Afrique, au profit notamment des Russes, une initiative de la sorte lui procurerait l’occasion si ce n’est d’équilibrer les rapports de forces, au moins de retrouver une certaine surface géopolitique, avec toutes les dynamiques susceptibles d’en découler. Encore faut-il en avoir l’ambition. Mais notre République connaît-elle beaucoup de pays volontaires, pour y accueillir ses soldats ? Et la présence d’un contingent français serait-elle vraiment plus incongrue en Arménie qu’en Roumanie, en Estonie, aux Émirats ou dans d’autres zones de l’Afrique ? La question méritait en tout cas d’être posée comme elle l’a été à l’instigation du CCAF par cet impressionnant aréopage de 120 personnalités françaises de premier plan. 


[1] https://www.lepoint.fr/monde/la-survie-de-l-armenie-est-en-jeu-monsieur-le-president-18-06-2024-2563260_24.php