Sur les barricades de Budapest, de Prague et de Varsovie, les gens mouraient pour leur pays et pour l’Europe, écrivait en 1984 Milan Kundera dans son célèbre article « La tragédie de l’Europe centrale ». Mais cela n’aurait pas été possible à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, affirmait l’écrivain. Quant à Kiev, il ne l’a même pas mentionnée. La Russie et les pays orthodoxes dans son ombre lui semblaient être une sorte d’espace sans frontières internes qui pouvait attirer par son mystère mais qui, historiquement, appartenaient à une « autre civilisation », non seulement étrangère mais aussi hostile à l’Europe. 

Budapest, Prague et Varsovie sont devenues les capitales d’États de l’Union Européenne en 2004, au moment où l’Ukraine était secouée par la « révolution orange ». Mais celle-ci s’est soldée par la défaite des forces démocratiques. En 2014, dix ans plus tard, la « révolution de la dignité » éclate. Il n’en va plus des définitions chromatiques : le centre de la capitale ukrainienne est en proie aux flammes, oranges aussi, mais vraies cette fois. C’est maintenant sur les barricades de Kiev que les gens meurent pour l’Europe et leur pays : les drapeaux ukrainien et européen sont inséparables. L’hiver précédent, c’était encore une révolution. Depuis le 24 août 2014, Fête de l’Indépendance, c’est une guerre. C’est un choc de civilisations où les Ukrainiens meurent en défendant leur pays et l’Europe dans le Donbass occupé. Pratiquement, la frontière de l’Europe s’est déplacée à l’Est, vers la frontière russe, devenue aujourd’hui pour l’Ukraine les portes de l’enfer : de là entrent les chars portant l’inscription « À Kiev », par là passent les armes, de là, en tirant sur les gardes-frontières, arrivent les membres du FSB et les mercenaires, les cosaques barbus et les Tchétchènes qui créent une « Armée orthodoxe » alors qu’ils maîtrisent à peine le russe. L’idéologie russe, élaborée avec beaucoup d’application et dans laquelle les Ukrainiens occupaient depuis l’époque soviétique le rôle du « peuple frère », s’est effondrée comme un château de cartes. Les Ukrainiens sont devenus l’ennemi numéro un, même si le reste de la liste n’a guère évolué : les Américains, les Géorgiens, les Polonais, les Estoniens… Les Russes viennent ici en safari – « tirer les ukrop » − un terme péjoratif créé à partir de l’abréviation « résistance ukrainienne » (український опір)(1). Il y a quelques mois, un enseignant a été torturé pendant trois jours dans une cave pour ne pas avoir retiré du mur de sa classe des portraits d’écrivains ukrainiens ; il a été sauvé par les représentants de l’OSCE. La haine comme forme d’existence s’est installée dans ce qu’on désigne par le nom de l’époque de Catherine II : Novorossia – la Nouvelle Russie. Ici, vous êtes dans le néant, proclame sans euphémismes un combattant. On dirait du Nietzsche : l’Ukraine a eu à contempler le néant russe depuis si longtemps que désormais c’est le néant russe qui scrute l’Ukraine. Et l’Europe. 

La « guerre pour l’Ukraine » menée par la Russie et l’éclatement de l’Europe 

Dès le début de la confrontation, les idéologues de Poutine ont déclaré qu’en Ukraine, la Russie était en guerre avec l’Europe et ne pouvait pas se permettre de perdre. Au moment de l’annexion de la Crimée, Dmitri Kisselev, « le propagandiste en chef de Poutine », avait proclamé dans une de ses émissions télévisées que la Russie était l’unique pays capable de transformer l’Amérique (« la seconde Carthage ») en un désert nucléaire. Là est le nerf du conflit : la Russie perçoit historiquement le monde démocratique comme une menace pour sa spécificité qui, selon Norman Davies, est le fruit d’une « boulimie politique ». L’espace du « monde russe », qui alterne entre un constant élargissement et des rétrécissements traumatiques, englobe des peuples que rien ne réunit, qui n’existent que par la russification et ses méthodes de gouvernement despotiques. D’où l’identité mouvante de la Russie : l’URSS a détruit l’Empire, mais Poutine tente de restaurer une unité des éléments antagonistes. La Russie en tant que « monde russe » et la Russie en tant qu’Eurasie constituent deux projets totalement différents qui s’annulent mutuellement, mais au lieu de mettre de l’ordre dans ces projets, la Russie, par annexions et occupations, accroît ses territoires, ne faisant qu’aggraver le chaos initial. 

La Russie a été abandonnée par presque tous ses satellites. Mais l’Ukraine, parmi cette cohorte, a toujours occupé un rôle particulier : celui de la base idéologique de l’Empire (Kiev en tant que « mère des villes russes »), lui fournissant ses « pièces détachées » intellectuelles et économiques, et aussi – ce qui est une planche de salut pour la Russie actuelle, qui renferme une importante population musulmane et chinoise − ses ressources démographiques Dès lors, l’histoire de la « guerre pour l’Ukraine » contre l’Occident compte déjà plusieurs volumes, en particulier depuis 2004. 

Déchiffrer les rébus politiques de cette situation sans en analyser les paradigmes culturels est pratiquement impossible. On ne peut pas ne pas mentionner ici le Choc des civilisations de Huntington (1996), dans lequel l’historien envisage les « conflits du futur », motivés par les conflits d’identité et les lignes de brisure culturelle entre les civilisations. En particulier, l’auteur avait prévu non seulement la confrontation des mondes chrétien et musulman, mais aussi l’affrontement entre les mondes autoritaire et démocratique, affrontement au sein duquel, comme il en avait annoncé le danger, l’orthodoxie russe et l’islam constituent une continuité culturelle de mentalité fondamentaliste qui ne permet pas l’enracinement de la démocratie. L’éclatement entre ces mondes surviendra, prévenait Huntington, sur la ligne de partage naturelle de la principale artère de l’Ukraine – le Dniepr –, qui coupe traditionnellement le pays en Ukraine de rive gauche, soumise à l’influence impériale russe, et en Ukraine de rive droite, historiquement proche de la Pologne. 

On pourrait compléter cette hypothèse par la vision plus « philologique » de Ralf Dahrendorf, qui parlait de la concordance des frontières du monde démocratique avec l’œkoumène de la langue néolatine à l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance, en tant que porteuse de valeurs européennes communes. Cette hypothèse permet également de mieux comprendre ce qui se passe en Ukraine : en effet, c’est l’unique pays orthodoxe où, aux XVIe-XVIIe siècles, le latin était une des langues de la littérature et de la science. 

Toutefois, ce sont là les hypothèses des spécialistes. En réalité, jusqu’à récemment, l’Europe avait très peu de connaissances sur l’Ukraine. Et ce peu de connaissances, la plupart du temps, elle l’avait acquis (et cela continue d’être le cas) à travers les philtres russes, par tradition ou par inertie. Pour « forger » des connaissances, il faut des années, et les événements de ces derniers mois se sont déroulés trop rapidement, à la manière d’une avalanche. Le manque de grilles de lecture et d’interprétation se fait particulièrement sentir en ce moment où le monde, selon Obama, est confronté à trois menaces : la guerre en Ukraine, la menace islamique et le virus Ebola. En quelques mois, l’Occident, hier encore sûr de sa force et de l’attractivité de son modèle, a éprouvé sa fragilité et sa vulnérabilité face à la menace de fragmentation, l’inefficacité des accords internationaux et l’inadéquation de ses systèmes de sécurité aux défis actuels. Tout l’équilibre d’après guerre est ébranlé et la terrifiante expression de « Grande guerre » vient de nouveau troubler les consciences. 

Mais le symptôme le plus grave de prolifération de ce chaos est probablement la réalisation fulgurante du rêve de Poutine : la dislocation de l’Europe. Les problèmes financiers et économiques qui frappent le monde occidental ont déclenché une montée des virus qu’on croyait vaincus depuis longtemps : la xénophobie, le populisme, le radicalisme. Ici aussi, l’Ukraine est une barrière de séparation ; et la situation est tout aussi paradoxale. D’une part, l’Union européenne n’a jamais été aussi unie dans son soutien politique, économique et même moral à l’égard de l’Ukraine. D’autre part, l’Europe des radicaux antagonistes se renforce de manière menaçante : les forces souverainistes et celles des populistes de gauche qui se soudent dans leur soutien à Poutine et dans l’élaboration d’une idéologie anti-européenne. Dans une certaine mesure, Poutine a réussi, pour le moment, à désunir l’Europe, ce qui était un de ses objectifs idéologiques. L’Ukraine est soutenue par les hommes politiques qui voient en l’Europe une valeur. S’y opposent les forces anti-européennes, la galaxie politique à multiples visages de l’Europe antieuropéenne d’aujourd’hui, des populistes aux néonazis, qui se sont résolument rangés du côté de Poutine. De plus, l’éthique de l’Europe centrale, si chère à Kundera, a changé. La solidarité des pays d’Europe centrale dans la lutte pour l’indépendance et l’intégration européenne a cédé la place aux humeurs antieuropéennes (Hongrie) ou à la froideur mutuelle (le président de la République tchèque qui appelle à la cessation de l’aide à l’Ukraine, le pays étant en voie de décomposition). La politique de double standard se manifeste à l’égard de l’Ukraine dans les pays les plus antiaméricains : l’Allemagne et la France, dans une plus grande mesure. Les événements qui se sont déroulés en Ukraine ces derniers mois ont mis à nu l’état réel des choses dans plusieurs domaines de la vie européenne, précisément parce que l’histoire et l’évolution de l’Ukraine sont liées par des liens complexes à l’histoire de l’Europe. Par conséquent, l’analyse de l’identité de l’Ukraine nous mène à la révision des catégories de la culture européenne qui délimitent Limes Europae, ses limites culturelles et morales. 

L’Ukraine entre l’Est et l’Ouest de l’Europe 

La spécificité de l’identité ukrainienne réside dans le fait qu’il s’agit d’une culture ancienne avec de profondes racines de chrétienté orientale, cependant formée sous l’influence directe de la civilisation européenne. Dès lors, l’histoire ukrainienne doit être analysée dans une vision combinée de l’histoire de la Russie et de la Pologne. Il est bien évidemment question ici du célèbre modèle historique « longue durée ». Le conflit entre la civilisation occidentale et la civilisation orientale était programmé depuis la confrontation entre la première et la deuxième Rome : Constantinople. Cependant, la christianisation de Kiev en 988 et le développement ultérieur de la Rous’ de Kiev n’était pas un éloignement de l’Europe, même nonobstant le schisme de 1054. En effet, la Rous’ n’est pas la Russie, tout comme la Rome antique n’est pas l’Italie. Mais déjà dans cette partie de la Rous’ qui est devenue le cœur de l’Ukraine – les principautés de Kiev et de Galicie-Volhynie −, on sentait le « souffle » de l’Europe : dans la culture du livre (bien que son unique Livre fût la Bible et ses interprétations), dans le caractère anthropocentrique de la foi, dans l’amour de l’éducation vantée par Vladimir Monomaque (1053 – 1125), dans un certain démocratisme du pouvoir obligé d’écouter la voix du peuple. Le vitché est une sorte d’agora slave. Ce n’est pas un hasard si l’écrivain de la diaspora ukrainienne, Evhen Malaniuk (1897-1968), a parlé du phénomène de l’« humanisme antique de Kiev ». De plus, l’antique Kiev était une ville pénétrée du sentiment de sa propre dignité, qui ne se considérait pas comme une colonie byzantine, mais comme la « deuxième Jérusalem » et la rivale du sceptre byzantin. 

Ce monde a été anéanti par l’invasion de la Horde d’or, qui a détruit la culture, vidé les cités et isolé ces terres de l’Europe. C’est à ce moment-là que s’est produite la séparation des civilisations « kievienne » et « moscovite ». La civilisation de Kiev, avec sa ramification de Galicie-Volhynie, un siècle après l’invasion, s’est retrouvée sous l’influence des modèles polonais et lituanien, alors que la civilisation de Moscou a vécu sous l’influence de la Horde pendant deux cent quarante ans. La chute de Constantinople en 1453 deviendra pour Moscou le fondement du mythe de Moscou en tant que troisième Rome, formulé au cours d’un translatio imperii dans les années 1520. La principauté de Moscou, devenue sous Ivan le Terrible (1533-1584) l’État du tsar, était une toute autre réalité. Moscou ne rivalisait pas avec Constantinople mais s’identifiait avec elle, alors que le modèle étatique formé à Moscou, selon l’historien russe Yuri Afanassiev (proche de l’École des Annales) dans son livre La Russie dangereuseLes traditions de l’autocratie aujourd’hui (2001), était une synthèse du césaropapisme byzantin et du pouvoir mongol fortement centralisé, ce qui a engendré « l’Empire russe tataro-mongol ». 

L’Ukraine (qui a gardé le nom de Rous’ jusqu’au XVIIe siècle) a emprunté une toute autre voie. À partir du milieu du XIVe siècle, elle a été conquise par le grand-duché de Lituanie et de Pologne. Dans un premier temps, la cohabitation fut pacifique : les Lituaniens, qui avaient connu une longue période de christianisation, respectaient la vieille culture chrétienne. La situation a changé en 1569, lorsque l’union de la Pologne et de la Lituanie a donné naissance à la Rzeczpospolita, la République de Pologne, qui a intégré l’Ukraine : avec la Biélorussie, elles formaient les terres ruthènes. Malgré les heurts constants entre l’Ukraine et la Pologne, l’État et la culture polonaise exerçaient une très grande influence sur l’Ukraine, qui s’exprimait tout d’abord à travers la limitation du pouvoir royal par le Seim, « les droits et les libertés » de l’individu, la formation d’un citoyen et non d’un sujet, ensuite par la congruence de différentes influences religieuses dans le triangle polono-ukraino-biélorusse, le catholicisme de Pologne interagissant avec les puissants courants protestants. Au XVIe siècle, la Pologne était appelée le « refuge des hérétiques » : c’est là que venaient se réfugier les protestants persécutés en Europe, apportant des idées de liberté et fondant les « traditions républicaines ». La conséquence naturelle de ce polylogue religieux, qui renfermait le germe d’un conflit potentiel, était la politique officielle de tolérance religieuse : les croyants, représentant différentes branches de la chrétienté, élaboraient une éthique de la « religion du voisin » (N. Yakovenko). Lorsqu’en 1573, le prince français Henri de Valois est monté sur le trône polonais, il a été obligé de prêter serment de respecter toutes les religions et d’assurer la tolérance religieuse, alors qu’au même moment, en France, brûlait le feu de la Saint-Barthélemy. En 1596, l’union de Brest a donné naissance à l’église grecque catholique – la première synthèse réussie (souvent avec le temps) de deux branches chrétiennes, occidentale et orientale : un projet culturel visant à rétablir l’unité de la chrétienté. Il n’est pas moins important de souligner que l’orthodoxie ukrainienne n’est pas une religion d’État, mais « la foi des pères », autrement dit, la dimension subjective de l’existence religieuse. Le contexte pluriconfessionnel poussait à choisir son crédo : il ne s’agissait pas de suivre aveuglément un unique modèle possible, mais d’une identité acquise dans l’épreuve, forgée dans la défense consciente de son appartenance. 

Aux XVIe-XVIIe siècles, l’Ukraine connaît l’effervescence du baroque, devenu « le destin de l’Ukraine »,comme le dira le grand slaviste Dmytro Tchyjevsky. Les Académies – celle d’Ostrog et celle de Kiev (l’unique école supérieure dans le monde slave orthodoxe de l’époque) font leur apparition en Ukraine, alors que tout le territoire ukrainien est truffé de confréries qui abritent les écoles gréco-slavo-latines et les typographies. La koinè de la Rzeczpospolita, le latin, reconnu officiellement comme la langue des sciences, devient porteuse des idées de la culture européenne tout en coexistant avec la langue slavonne d’église dans la rédaction ukrainienne, la langue parlée ukrainienne et la langue polonaise. 

L’exemple de l’éducation locale (très démocratique, qui ne pratiquait pas d’exclusion sociale), les « expéditions scientifiques » en Europe (beaucoup d’écrivains et de représentants de l’élite cosaque étaient titulaires de diplômes des universités de Bologne, de Padoue ou d’universités allemandes), la littérature, le théâtre, la musique – tout cela était nourri d’une influence européenne qui arrivait en Ukraine directement ou à travers les philtres polonais. Aux XVIe-XVIIe siècles, l’Ukraine est devenue une réalité pluriconfessionnelle et plurilinguistique, ouverte au modèle multiculturel. 

Suivent des événements dramatiques : la confrontation frontale avec la Pologne lors du soulèvement cosaque sous la direction de l’hetman Bohdan Khmelnytsky (1657-1687) et le « Déluge sanglant » en Pologne (1655-1660), comme on appelle l’invasion suédoise. L’union avec la Russie, conclue par Khmelnytsky en 1654, a conduit à l’occupation militaire de l’Ukraine, la subordination forcée de la métropole de Kiev au patriarcat de Moscou (1686) au détriment de Constantinople. La page polonaise de l’histoire ukrainienne se referme et s’ouvre la page russe : chacune a duré près de trois cents ans. 

L’État ukrainien qui n’a pas connu sa pleine réalisation (l’Hetmanat) et l’affaiblissement de l’État polonais ont conduit au renforcement de la Russie. La naissance de l’Empire de Pierre Ier (1721) a provoqué un changement radical des paramètres géopolitiques de l’Europe. Certes, Pierre Ier a européanisé la Russie par la voie des réformes des institutions étatiques, de l’armée et de la flotte, de l’« importation » des sciences, des technologies, des arts, du style et des traditions européens. Néanmoins, la Russie de Pierre, plagiant l’Europe, se positionnait comme son antagoniste farouche. 

À l’époque pétrovienne se produit la première confrontation – frontale − entre l’Ukraine et la Russie. Le nouvel hetman de l’Ukraine, Ivan Mazepa (1687-1709) a élaboré une conception de l’Ukraine indépendante, également éloignée de la Pologne et de la Russie. L’année 1709, celle de la bataille de Poltava, où Mazepa a choisi de s’allier au roi de Suède Charles XII, marque un échec : c’est le début d’un nouveau cycle pour l’Ukraine. La tentative de conquérir son indépendance s’est traduite pour l’Ukraine par d’innombrables victimes (il suffit d’évoquer l’assassinat, en 1708, de plus de 10 000 civils, y compris des nouveau-nés, et de cosaques à Baturyn, la capitale de l’Hetmanat). Mais l’émigration mazepiste a essaimé les idées du « Machiavel ukrainien ». L’hetman Pylyp Orlyk (1672-1742) a été le premier à conceptualiser l’antagonisme entre la 

Russie et l’Europe, et le rôle de l’Ukraine dans cet antagonisme. Si cette dernière, auparavant, était vue comme antemurale christianitatis de l’Europe contre l’Empire ottoman et le Khanat de Crimée, Orlyk positionne l’Ukraine comme une « ceinture de sécurité » des libertés européennes contre le « despotisme asiatique ». Anticipant la polémique du XIXe siècle, Orlyk s’efforce de constituer une défense continentale contre la Russie, en mettant en garde contre cet ennemi historique de l’Europe en devenir (plus tard, le poête polonais Adam Mickiewicz tentera la même opération). Autrement dit, Orlyk reproduit le modèle de la Grèce antique : Europe versus Asie comme liberté versus tyrannie. Orlyk est également l’auteur de la Constitution (Pacta et Conventa, 1710) qui préfigure de plusieurs décennies les Constitutions américaine, polonaise et française. La Constitution ukrainienne contient les principes de la limitation du pouvoir par le « parlement » (conseil de l’élite dirigeante) et de la protection sociale ; et, surtout, elle formule la séparation des trois branches du pouvoir − la théorie de Montesquieu de séparation de trois branches du pouvoir ne sera élaborée qu’au milieu du siècle. 

Au cours du XVIIIe siècle, l’État ukrainien fut entièrement détruit. Soulignons la dimension systématique de la politique répressive à l’égard de l’Ukraine : toutes sortes d’interdictions de la langue (pendant quatre cents ans, la langue ukrainienne a été officiellement interdite cent trente-quatre fois !) − non seulement de la langue ukrainienne, mais aussi des langues polonaise et latine −, la russification totale de l’Église et de la culture de manière générale − les livres ukrainiens étaient brûlés à Moscou comme hérétiques, alors que l’élite ukrainienne, accusée de « latinisme », était obligée de travailler pour l’Empire (souvenons-nous des personnalités emblématiques comme Théophane Prokopovytch et Stéfan Yavorsky). Toutes les structures administratives de l’Hetmanat ont été brisées, tandis qu’en 1775, Catherine II a détruit la Sitch Zaporogue, cette « démocratie militataire » cosaque et proclamé, « l’extermination » du nom même des cosaques. Elle a colonisé l’Ukraine à l’aide des Allemands et des Serbes, étendu l’Empire vers le Sud et la mer Noire, et assuré « l’élargissement progressif de l’Empire » dans toutes les directions. Après le troisième partage de la Rzeczpospolita (1772, 1793, 1795) entre l’Empire russe, la monarchie austro-hongroise et le Royaume de Prusse, 80% de l’Ukraine se sont retrouvés en Russie et 20% dans l’Empire des Habsbourg. 

L’immense héritage culturel et politique de cette complexe évolution de l’Ukraine s’est traduit par la réorientation culturelle de la Pologne et de l’Ukraine dans le premier tiers du XIXe siècle, et un nouvel affrontement des deux pays avec la Russie. Les pays catholique et orthodoxe se sont retrouvés par l’esprit dans leur tradition commune d’amour de la liberté, alors que dans l’espace du monde orthodoxe passait la frontière infranchissable entre la Russie et l’Ukraine ainsi qu’entre la Russie et la Pologne. La Pologne et l’Ukraine sont revenues sur leur conflit historique dans l’esprit de la « faute des pères » et se sont unies dans la lutte contre la monarchie russe. On retrouve les mêmes motifs dans la poésie d’Adam Mickiewicz et celle de Taras Chevtchenko, les génies du Romantisme polonais et ukrainien : la liberté en tant que dimension fondamentale de la vie humaine, la sacralisation de la notion de peuple, la ferme certitude de la nécessité de détruire trois empires – russe, austro-hongrois et ottoman – pour transformer des Nations en sujets et construire sur les ruines de ces empires la libre famille des peuples slaves. Dans la poésie du génie du Romantisme russe, Alexandre Pouchkine, ce tableau est inversé : sacralisation de l’Empire, certitude que les « ruisseaux slaves » doivent se fondre dans la « mer russe » − c’est donc là la liberté des Slaves contre les « velléités » de l’Europe. 

La question de la révision des fondements éthiques de l’orthodoxie est particulièrement complexe. Chevtchenko considérait l’orthodoxie russe comme une offense au christianisme, un mécanisme cynique de violence exercée sur l’homme, la source de la dénaturation morale de la société. Cependant, il condamnait toute entreprise de transformation de la foi en institution (aussi bien dans la chrétienté occidentale que gréco-catholique), tentant de recréer la dimension de la véritable foi de la chrétienté des « catacombes », une foi conquise dans la souffrance du choix individuel. En outre, Chevtchenko était aussi radical dans son affirmation du droit de tous les peuples de l’Empire d’avoir leur propre culture et leur propre langue, y compris les peuples non chrétiens du Caucase et de l’Asie. 

Non moins importante est la vision de l’Europe : Mickiewicz accusait l’Europe de ne pas comprendre le danger que la Russie représentait pour l’Europe. L’Europe des Lumières, dans sa perception du monde slave, était partagée, schématiquement, entre le point de vue de Voltaire, qui justifiait la politique arbitraire de Catherine II à l’égard de la Pologne, et le point de vue de Rousseau, qui s’était rangé aux côtés de la Pologne et défendait le droit des peuples à l’autodétermination. Au contraire, en Russie, même les décembristes, ces aristocrates révoltés, qui ont tenté de faire tomber la monarchie (1825) ne soulevaient pas, à de rares exceptions près (Kondrati Ryleïev), la question de la libération des peuples. La Pologne a été secouée par trois soulèvements antirusses : 1794, 1830-1831, 1863. Ce dernier soulèvement s’est déroulé sous trois étendards : polonais, lituanien et ukrainien, symbolisant l’idée de l’union des peuples désormais potentiellement égaux dans une Rzeczpospolita idéale. Ironie du sort : c’était bien ce que proposait en son temps Khmelnytsky… 

Dans les années 1870-1880 a eu lieu la dernière rupture civilisationnelle géoculturelle entre l’Ukraine et la Russie. L’Ukraine, en la personne de Mykhaïlo Drahomanov, après Giuseppe Mazzini, considère que les peuples slaves, libérés de la pression de l’Empire, devraient rejoindre la libre famille des peuples européens, alors que la Russie, en la personne de NikolaÏ Danilevski, auteur du livre La Russie et l’Europe (1871), voit la Russie et l’Europe complètement séparées − pire, comme des « types culturels et historiques » antagonistes, aux valeurs et aux objectifs divergents. La méga-Russie, après avoir absorbé les peuples slaves, constitue avec eux une civilisation unique dont la capitale est Constantinople. Les intellectuels, de Fiodor Tioutchev à Fiodor Dostoïevski et à Konstantin Leontiev, créent de nouvelles conceptions de la Russie en tant que réalité euroasiatique. Dans les années 1920, cette vision se cristallise dans le courant de l’eurasisme, qui fera des adeptes aussi bien au sein de l’émigration antibolchevique que parmi les fascistes russes à Kharbin, mais également chez les sympathisants du stalinisme : la Russie, avec les pays orientaux et certains pays d’Europe (de nouveau, l’Allemagne et la France), doivent s’unir dans la lutte contre le « triangle euroatlantique » : la Grande Bretagne, les États-Unis et le Canada – les pays aux traditions démocratiques les plus enracinées. Parabole logique mais aussi dramatique pour la culture russe : la Troisième Rome a voulu devenir le Deuxième Sérail, en allusion à l’Horde d’or. Dans le poème « Scythes » d’Alexandre Blok (1918), la Russie-Asie convie l’Europe à un « festin fraternel ». Si cette dernière refuse l’invitation, elle connaîtra une fin terrible, prévient le poète : le Scythe venu des tréfonds des steppes, s’identifiant à Batu Khan, le destructeur de la culture chrétienne, promet de « fouiller dans les poches des cadavres » et de « griller la chair des frères blancs ». Ce maraudeur scythe vit aujourd’hui dans la Novorossia fraîchement ressuscitée et exhibe fièrement les photos sur lesquelles il porte des vêtements des victimes. Et l’idéologue du néo- eurasisme, Alexandre Douguine, conseiller de différentes institutions de la Fédération de Russie, en développant les idées de Julius Evola, Jean Thiriart et d’autres théoriciens proches du fascisme et du nazisme, esquisse une parabole de la Russie idéale : « Troisième Rome-Deuxième Reich-Troisième internationale ». À la question : que faire avec l’Ukraine ?, Douguine apporte une triple réponse : « Tuer, tuer, tuer. » 

Ainsi, la synthèse polono-ukrainienne et la nature européenne de la pensée religieuse ukrainienne constituent les soubassements historiques de l’identité ukrainienne. Dès lors, durant ses courtes périodes d’indépendance,l’Ukraine a toujours essayé de garantir le droit des autres peuples à l’autodétermination sur son territoire. Ainsi, pendant les trois ans de l’existence de l’UNR – la République Populaire Ukrainienne (1918-1920) –, l’Ukraine a essayé de donner la liberté à toutes les minorités sans exception, en instaurant même des ministères des minorités russe, juive et polonaise. Lorsque les bolcheviques marchaient sur l’Ukraine en laissant sur leur passage des bains de sang, le chef du gouvernement, l’écrivain Volodymyr Vynnytchenko (qui, par la suite, a émigré en France) mettait en garde l’Europe : l’Ukraine est le dernier rempart de la démocratie européenne dans l’est de l’Europe. Au même moment, la brillante pléiade du modernisme ukrainien était vouée à une destruction totale − ce n’est pas un hasard si l’on a appelé cette génération « la Renaissance fusillée ». L’Ukraine devra encore subir le « cauchemar rouge » du stalinisme, le Holodomor (la destruction, en 1932-1933, de millions de paysans par une famine artificielle), les nouvelles répressions, après la guerre, dirigées essentiellement contre les Ukrainiens et les Juifs. L’Ukraine où les Polonais, les Juifs, les Russes, les Grecs, les Musulmans et bien d’autres encore composaient un espace multiculturel commun, a été remplacée par le binôme ukraino-russe conflictuel au sein duquel les positions-clés au Parti, au KGB, dans l’appareil administratif et sur les sites d’importance stratégique (Tchernobyl !) devaient être occupés exclusivement par les Russes (Orest Subtelny). Ce n’est que plus tard que la génération des « années soixante » reproduira l’explosion culturelle et créative des années 1920 et fera renaître l’idée de l’Ukraine en tant que partie intrinsèque de la civilisation européenne. Mais en 1965 et en 1972, l’Ukraine sera de nouveau écrasée par un rouleau compresseur de répressions. La Perestroïka et Tchernobyl ont mené l’URSS à sa disparition. L’espoir de construire une Ukraine européenne a été sapé en 1991 avec l’arrivée au pouvoir de la classe oligarchique, élevée dans le système communiste. Ce même espoir a été anéanti par une déception destructrice en 2005, en raison de l’incapacité de la classe politique à mettre en œuvre des réformes… 

En 2014, de nouveau, la « question européenne » constitue le point névralgique de l’avenir ukrainien. La Centurie céleste, ces héros du Maïdan, est morte parce que le président criminel a refusé de signer l’Accord d’association avec l’Union européenne. Depuis, plusieurs milliers de personnes ont péri car la Russie a déclaré la guerre à l’Occident pour avoir signé l’Accord d’association avec les nouveaux dirigeants de l’Ukraine. 

Ainsi, la page européenne de l’histoire ukrainienne, comme les pages polonaise et russe, promet-elle aussi d’être dramatique. 

Deux Ukraines, deux Europes 

Que se passera-t-il demain ? La guerre. Aujourd’hui, l’objectif principal de la Russie est de rendre impossible l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’OTAN (même si la majorité de la société ukrainienne soutient désormais cette option). La possibilité d’une guerre d’envergure qui toucherait d’autres régions de l’Ukraine est directement proportionnelle à l’impuissance des institutions occidentales, dont Poutine est convaincu et qu’il tâchera d’accroître. Selon cette perception, l’Ukraine doit justement exister comme une grande « Novorossia ». Et si cela ne marche pas, le projet de destruction de l’État ukrainien recevra une nouvelle impulsion et sera réalisé par de nouvelles méthodes. Toute discussion sur une réconciliation est absurde sans un changement des bases morales de la Russie. Aujourd’hui, les Polonais et les Ukrainiens prient pour leurs victimes mutuelles, grâce à l’aptitude de chacune des deux cultures à l’autocritique, parce qu’après la guerre, la Pologne, par la bouche de son grand opposant Jerzy Giedroyc, a eu le courage de dire que Lviv devait être une ville ukrainienne, Vilnius, une ville lituanienne, et que les Polonais devaient apprendre à régler leurs problèmes chez eux. 

La catastrophe qui vient de se produire a séparé à tout jamais les peuples russe et ukrainien. Aujourd’hui, ce sont véritablement deux civilisations. Les terroristes enterrent les morts avec des bulldozers alors qu’en Ukraine occidentale, les gens s’agenouillent sur des kilomètres au passage des corps. Au cœur de la capitale, on a chanté et pleuré chaque héros de la Centurie céleste : les cent premiers à avoir été tués, sans savoir que le compte suivrait par milliers dans l’affrontement mortel entre l’Ukraine européenne et les zombies du néo-stalinisme. 

Beaucoup de soldats ukrainiens qui combattent aujourd’hui dans le Donbass parlent russe, mais ils ont le sentiment d’appartenir à l’État ukrainien et à la société civile européenne, ce qui confirme une fois de plus que la société ukrainienne, produit du multiculturalisme des siècles précédents, s’est scindée non pas entre ceux qui parlent russe et ceux qui parlent ukrainien, mais entre la partie européenne et la partie irrémédiablement soviétique. L’Ukraine européenne renferme – tout en préservant l’identité de chacune – aussi bien la culture russe que les cultures juive, polonaise, tatare et autres. L’Ukraine soviétique exclue la culture comme un dangereux instrument de connaissance du monde. Ce qui contribue à détruire la culture russe est la transformation des criminels, des tueurs à gage et autres éléments marginaux néfastes de la société en adeptes du « monde russe ». Ces personnes ne parlent pas russe, elles s’expriment en « soviétique » − qui a été si bien étudié en France − : c’est la langue des notions inversées, où la vérité devient mensonge, et le mensonge vérité. C’est cette même langue que parle le président Poutine : après avoir juré d’effacer l’Amérique de la face de la terre, il déclare que l’Occident a déclaré la guerre à la Russie. Mais c’est le suicide de la Russie même : la désintellectualisation de l’« idée russe », son assèchement moral et civil, le dopage de cette idée par un contenu agressif et haineux. On dirait que la Russie suit le testament de Danilevski : nourrir en son sein et provoquer à son égard « odium generis umani ». 

La Russie a créé à ses frontières un pays qui ne lui pardonnera jamais ce qui s’est passé, car elle est responsable d’un triple assassinat. Premièrement, habitée par la haine pathologique de l’Ukraine voisine, elle a assassiné la civilisation orthodoxe, déclenchant deux guerres contre deux centres d’orthodoxie dans son entourage : en Géorgie et en Ukraine. Deuxièmement : la Russie a détruit les liens culturels entre les peuples slaves. Troisièmement : elle a désuni l’Europe. 

Dans chaque pays européen, il y a deux Europes. Marine Le Pen, qui a eu des réactions très dures à l’égard du Maïdan, a déclaré qu’elle ne tolérerait pas au centre de Paris des clochards qui brûlent des pneus. C’est ainsi qu’elle voit les étudiants ukrainiens qui se sont soulevés contre le pouvoir criminel et qui ont été tués par les hommes de main de ce pouvoir. Il s’agit d’une femme politique du pays où les grands philosophes – en premier lieu Voltaire – défendaient le droit du peuple de se soulever contre l’injustice.Bernard-Henri Lévy, lui, lorsqu’il se tenait aux côtés de Galia Ackerman sur la scène du Maïdan, a dit : « Je suis ukrainien. À Kiev, vous défendez l’Europe. » 

En son temps, en 2004, c’est André Glucksmann qui parlait de Kiev comme de la capitale de l’Europe. Je tiens à les remercier tous les deux au nom des intellectuels ukrainiens qui ont pu entendre la voix des intellectuels européens. Glucksmann disait que l’Europe occidentale sans l’Europe orientale (souvenons-nous des paroles de Kundera) n’aurait été aujourd’hui qu’un prestigieux club de l’Euro, car c’est justement le combat pour la liberté en Europe orientale qui rend à l’Europe la mémoire des luttes séculaires pour les valeurs morales et culturelles sur lesquelles repose la civilisation européenne. 

Nous vivons tous un moment très dangereux. L’envergure de la crise que nous traversons peut rendre inaudible la voix des intellectuels. Et l’Europe de Monnet, Adenauer, Schuman, De Gasperi deviendra l’Europe de Le Pen, Salvini, Grillo et Farage. Ils se sentent à l’aise avec Poutine, et Poutine se sent bien avec eux. Ensemble, ils essayent de détruire la civilisation européenne. Oui, l’Ukraine doit tenir seule et prouver que les changements socio-culturels survenus ces derniers mois constituent un processus irréversible de son retour « à la maison », en Europe. Mais ce n’est pas qu’une guerre ukrainienne. C’est une guerre de civilisations, une guerre contre l’Europe. Dès lors, l’intransigeance et la conséquence de la position européenne sont des armes, non « létales », mais néanmoins puissantes. Le rejet de principe de la cynique agression russe est une arme nécessaire non seulement pour le bien de l’Europe et de l’Ukraine, mais aussi pour celui de la Russie : peut-on espérer qu’un jour, une Russie démocratique entretiendra des relations de bon voisinage avec l’Ukraine, la Pologne et d’autres pays proches et lointains ? 

Je me souviens de Glucksmann qui, dans les années 1990, répétait inlassablement que la défense de la Tchétchénie était la défense de l’Europe. La télévision italienne diffusait de temps en temps ses interviews. Son visage familier apparaissait à l’écran et il répétait son appel incessant : « Écoutez ! Écoutez ! ». Les interviews étaient parfois diffusées à trois heures du matin, et je me demandais : mais qui entend cette voix ? Sa « dark vision of the future » s’est malheureusement avérée exacte. Un de ses livres les plus amers et durs s’intitule Dostoïevski à Manhattan : les terroristes, qu’ils soient islamistes ou russes, sont des enfants crépusculaires du nihilisme russe et du bolchevisme, qui ne font aucun cas de la vie humaine. Si cette voix avait été entendue, si l’on avait réussi à arrêter le génocide en Tchétchénie et que tant de valeureux Tchétchènes n’avaient pas été tués aujourd’hui, les « hommes de Kadyrov », dégénérés, n’auraient pas menacé Kiev. Si l’on parvient à stopper cette catastrophe dans l’est de l’Ukraine, aussi bien l’Europe que l’Ukraine et la Russie pourront dire définitivement adieu aux fantômes du passé et entamer enfin une nouvelle page de l’histoire : celle du renouvellement des coordonnées morales et géoculturelles de l’Europe. 

Traduit du russe par Iryna Dmytrychyn 

Bibliographie

Howard Aster, Peter J. Potichnyj, Ukrainian-Jewish Relations in Historical Perspective, Toronto, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 2 ed., 1990. 

Hélène Blanc, KGB Connexion : Le système Poutine, Paris, Hors Commerce, 2004. 

Edyta M. Bojanowska, Nikolai Gogol. Between Ukrainian and Russian Nationalism, Harvard University Press, 2007.

Dmytro Čyževskyj, A History of Ukrainian Literature from the 11th to the End of the 19th Century, Westport CT, Libraries Unlimited, 1997. 

Karen Dawisha, Putin’s Kleptocracy: Who Owns Russia?, New York, Simon & Schuster, 2014.

André Glucksmann, Dostoïevski à Manhattan, Paris, Laffont, 2002. 

Borys Gudziak, Crisis and ReformThe Kyivan Metropolitanate, the Patriarchate of Constantinople, and the Genesis of the Union of Brest, Harvard Series in Ukrainian Studies, 2001.

 Mark von Hagen, Andreas Kappeler, Zenon E. Kohut, Frank Sysyn, Culture, Nation and Identity: The Ukrainian-Russian Encounter (1600– 1945), Toronto, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 2003.

Arkady Joukovsky, Histoire de l’Ukraine, Paris, Éditions du Dauphin, 3e éd., 2005.

Andrzej Kaminski, Republic vs. Autocracy. Poland-Lituania and Russia, 1686-1697, Harvard University Press, 1994.

Andreas Kappeler, Russian Empire: A Multi-Ethnic History, London, Routledge, 2001.

Ivan Katchanovski, Zenon E. Kohut, Bohdan E. Nebesio, Myroslav Yurkevich, Historical Dictionary of Ukraine, Lanhan MD, Scarecrow Press, 2 ed., 2013.

Zenon E. Kohut, Making Ukraine. Studies on Political Culture, Historical Narrative, and Identity, Toronto, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 2011.

Edward Lucas, The New Cold War: Putin’s Russia and the Threat to the West, Palgrave Macmillan Trade, 2 ed., revised edition, 2009.

Serhiy Plokhy, Unmaking Imperial Russia: Mykhailo Hrushevsky and the Writing of Ukrainian History, University of Toronto Press, 2005.

Peter J. Potichnyj, Poland and Ukraine: Past and Present, Toronto, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 1980.

Ihor Ševčenko, Ukraine between East and West. Essays on Cultural History to the Early Eighteenth Century, Toronto, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 1996.

Myroslav Shkandrij, Russia and Ukraine. Literature and the Discourse of Empire from Napoleonic to Post-Colonial Times, Montreal–Kingston, McGill University Press, 2001.

Timothy Snyder, Bloodlands: Europe Between Hitler and Stalin, Basic Books, 2012.

Timothy Snyder, The Reconstruction of Nations: Poland, Ukraine, Lituania, Belarus, 1569-1999, Yale University Press, 2003.

Orest Subtelny, Ukraine. A History, University of Toronto Press, 2000.

Ewa M. Thompson, Imperial Knowledge. Russian Literature and Colonialism, Westport CT–London, Greenwood Press, 2000.

Andrew Wilson, The Ukrainians: Unexpected Nation, Yale University Press, 2 ed., 2002.

Andrew Wilson, Ukraine Crisis: What It Means for the West, Yale University Press, 2014.

Serhiy Yekelchyk, Stalin’s Empire of Memory. Russian-Ukrainian Relations in the Soviet Historical Imagination, Toronto–Buffalo– London, University of Toronto Press, 2004.

Encyclopedia of Ukraine, 5 vol., Toronto University Press, 1985-1993. INTERNET ENCYCLOPEDIA OF UKRAINE, Canadian Institute of Ukrainian Studies : http://www.encyclopediaofukraine.com/. 


Un dossier dirigé par Galia Ackerman et réalisé avec le concours du Forum Européen pour l’Ukraine.
Remerciements : Iryna Dmytrychyn, Eric Tosatti, Constantin Sigov, Leonid Finberg, Gleb Vycheslavsky.

Sommaire

GALIA ACKERMAN Pourquoi ce numéro ?
TIMOTHY SNYDER Une histoire civique
BERNARD-HENRI LÉVY Il faut défendre l’Ukraine
OXANA PACHLOVSKA L’Ukraine, dernière frontière de l’Europe
VOLODYMYR YERMOLENKO Des ours et des hommes. L’Ukraine et la Russie dans la politique mondiale
TARAS VOZNIAK La Galicie aujourd’hui
REFAT TCHOUBAROV Le drame des Tatars de Crimée
CONSTANTIN SIGOV La liberté de l’Ukraine et la musique de Valentin Silvestrov
GLEB VYCHESLAVSKY Une culture dissimulée
DMYTRO HORBATCHOV L’avant-garde ukrainienne
IRINA MELECHKINA Morceaux choisis de l’histoire du théâtre ukrainien
VICTORIA MIRONENKO La photographie ukrainienne de la période de l’indépendance
LUBOMIR HOSEJKO Le cinéma odessite sous la NEP et la politique de l’indigénisation
MYKOLA KHVYLOVY Moi, romantica
MIKHAÏL HEIFETZ Il n’en est pas de plus grand dans la poésie ukrainienne…
VASSYL STOUSS Poésies
LINA KOSTENKO …Je suis tout ce que j’aime
SERHIY JADAN Le Journal de Louhansk et Réfugiés

Un commentaire

  1. Excellente texte sur l’histoire de l’Ukraine et ses rapports avec la Russie.
    Histoire complexe, enchevêtrée et que peu d’entre nous connaissent.
    J’y regrette cependant une présentation idyllique des rapports entre l’Ukraine et ses Juifs.
    Rien n’y est dit sur les terribles pogroms qui y ont ravagé et décimé les communautés juives, et rien sur les collaborateurs locaux des nazis qui ont contribué à la Shoah par balles et en particulier au massacre de Babi Yar.
    Il est vrai aussi que l’Ukraine actuelle, en ayant choisi un president juif, se démarque de ce sombre passé.
    Il est vrai aussi que rien ne justifie la folie paranoïaque du dictateur devenu fou qu’est Poutine.