Jean-Luc Mélenchon parle fort et il aime le parler cru, robuste et vigoureux. Qui en douterait d’ailleurs ? Et, le voici qui concourt, une fois de plus, à la présidence de la République. Mais surtout, il est un personnage incontournable de la vie politique française. Et parler de lui, c’est évoquer cette gauche qui se raidit, se cabre, se braque, une gauche révoltée, survoltée et qui peut faire peur. Mais, l’homme politique sait aussi se lâcher devant des journalistes médusés. Le ton est alors sec, cassant, nerveux, méprisant. C’est ainsi que fonctionnait l’ancien trotskiste (et lambertiste) lorsqu’il a rejoint l’Organisation communiste internationaliste. De 1972 à 1976, il est le dirigeant de l’OCI à Besançon, où cette organisation est implantée[1]. Il y a des modes de fonctionnement et des attitudes qui ne s’oublient pas, même dans les années 2020[2]. Mais, à vouloir trop en faire, on ne se fait pas que des amis. Il veut se démarquer et se faire remarquer par tous les tons de notre langue, fût-ce en mal. Tel est son calcul médiatique et politique. Il sait aussi flatter son électorat. Dénoncer les bourgeois, le capitalisme, les gouvernements successifs, Emmanuel Macron, une certaine gauche sociale-démocrate et les Yankees. Il dit à ce sujet « Les Yankees représentent tout ce que je déteste. Un empire prétentieux et arrogant, composé d’incultes, de chefs pitoyables[3] ». Mais Mélenchon est aussi un homme cultivé, un intellectuel, ancien professeur de Français. Il sait donc utiliser à bon escient les mots, les belles phrases. Il sait aussi que certaines expressions peuvent blesser et susciter une vive polémique. Mais, il lui faut faire mouche. Nous prétendons que le tribun pense ce qu’il dit et dit ce qu’il pense. Parce qu’il est aussi un tacticien, plutôt féroce. 

Mais, quels sont ses référentiels ? Mélenchon a-t-il des envies d’ailleurs ? Quels sont les amis étrangers du leader de la France insoumise ? Quels sont les pays qui l’attirent et, à l’étranger, les hommes politiques qui trouvent grâce à ses yeux ? Dans cet article, nous listerons les exemples qui nous paraissent significatifs, sans prétendre à l’exhaustivité. Parce qu’il faut mesurer et remarquer les influences et/ou ses éventuels référents, qu’ils fussent en Amérique latine, en Chine ou en Russie. 

Mélenchon « ne jure plus que par l’Amérique latine »

En pleine pandémie, le 11 avril 2021, Mélenchon quitte la France pour un séjour de plusieurs jours sur le continent sud-américain. Il atterrit en Équateur, puis il se rend en Bolivie pour participer à la « Journée mondiale de la terre ». Lors d’un l’entretien qu’il accorde à TV5 monde[4], le journaliste lui demande s’il s’inspire vraiment de ces politiques sud-américaines. Mélenchon répète souvent qu’il n’a pas de modèle et qu’il ne croit pas qu’il puisse en exister. Pour autant, les combats latino-américains entrent en résonnance totale avec sa position anti-impérialiste. C’est ainsi que, lorsqu’il parle du Venezuela, on sent une profonde émotion, notamment pour Hugo Chavez. « Il faut mesurer la force du choc de la révolution chaviste et bolivarienne. D’un coup se présente une lutte qui propose une ligne stratégique complète contre les politiques d’ajustements structurels et contre l’oligarchie. Contre la caste des empires de presse et de l’aristocratie des possédants de toujours, Chavez mène un combat victorieux par les seules méthodes de la démocratie et des votes à répétition[5] », dit-il. 

Au Venezuela, il retrouve des sensations, des meetings monstres, une foule enivrée par ses leaders, les drapeaux rouges qui flottent au vent, les slogans révolutionnaires. En 2013, parti assister au forum de la gauche latino-américaine, le coprésident du Parti de Gauche se retrouve, perché sur un bus, « le visage en larmes », sidéré par la ferveur d’une foule en liesse au passage d’Hugo Chavez en campagne pour sa réélection. « Le tribun du Front de Gauche ne jure plus que par l’Amérique latine. Il a rencontré Chavez, plus proche de lui qu’il ne le pensait et dont la culture politique l’a impressionné. Il a lu les biographies du Che et de Simon Bolivar[6] ». Lorsque l’émotion l’étreint, elle a un avant et un arrière-goût révolutionnaire. Il puise là, les concepts et les slogans, les nationalisations, la redistribution massive des richesses aux plus pauvres, les assemblées constituantes, la résistance à l’impérialisme américain. 

En mars 2013, vêtu d’un long manteau noir en cuir, il arrive à pied au siège de son parti, l’Usine, au cœur d’un quartier populaire des Lilas. Sur le fronton du bâtiment, ses équipes ont entouré le drapeau vénézuélien d’un brassard noir. « C’est un jour de deuil pour nous et pour un certain nombre de peuples et de militants », débute Mélenchon. Il pleure son héros et fait de son deuil un geste politique[7].

De fait, quoiqu’il se passe là-bas, Mélenchon continue de défendre Chavez ou Maduro. En avril 2018, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée des opposants vénézuéliens qui veulent accroître la pression sur le gouvernement chaviste. Le 4 avril 2018, Mélenchon se fend d’un tweet rageur. « Inadmissible réception de l’extrême-droite du Venezuela à l’Élysée. Impudente leçon de démocratie donnée par un pays en pleine crise d’autoritarisme », écrit-il. Invité de BFMT ce 5 septembre 2017, il est interrogé.Lorsque Macron qualifie le régime vénézuélien de « dictature », le leader de LFI tape sur l’opposition vénézuélienne, divisée selon lui entre « une branche modérée, tout à fait relativement, puisqu’ils admirent Pinochet, et une branche fasciste, violente ». « Moi je ne prendrais pas modèle sur l’opposition au Venezuela. Je condamne l’opposition au Venezuela », assène-t-il. Mélenchon ne veut pas douter, même si la colère grogne dans le pays et que la situation y est explosive. 

« Je ne suis pas d’accord pour qualifier Cuba de dictature » 

Le 23 juin 2010, dans Le Grand Soir, journal militant d’information alternative, Mélenchon déclare qu’il n’est pas un fin connaisseur de Cuba, « mais en revanche j’en suis un observateur attentif. Je peux dire que Cuba, en Amérique latine, bénéficie d’une autorité et d’une audience qui est totalement incomprise en Europe. Ici, quand on parle de Cuba, c’est pour la cataloguer comme une dictature et pour dire qu’il n’y a pas suffisamment de liberté. L’obsession des médias, tous attentifs aux États-Unis, est de trouver un dissident ou un prétendu prisonnier politique pour en faire un héros et ainsi justifier leurs dénigrements ». En janvier 2011, il déclare sur France Inter : « Dans le contexte de l’Amérique du Sud, je ne suis pas d’accord pour qualifier Cuba de dictature et je salue la contribution de Cuba socialiste à la lutte des peuple ». En septembre 2018, à l’assemblée nationale, il va jusqu’à faire l’éloge d’une île où il fait bon vivre et débattre. En réponse et dans Le Point[8], Jacobo Machover, écrivain cubain opposant et exilé en France, décortique les propos du député et relève ses erreurs, ses inexactitudes ou ses mensonges.

Mélenchon et ses amis chinois

Mélenchon qui est accessoirement vice-président du groupe d’amitié France-Chine à l’assemblée nationale[9] a des yeux de Chimène pour la Chine, c’est convenu. 

Par contre, il n’aime pas le Tibet. Lorsqu’il parle du Dalaï Lama, le voici qui se lâche, férocement. En avril 2008, sur son blog[10], il se prononce contre « le boycott des jeux olympiques de Pékin et la propagande anti chinoise », jugeant dans cette attitude une « morgue ressemblant à du racisme » et « l’écho du mépris des colons qui ont imposé en leur temps les armes à la main l’obligation pour les Chinois de faire le commerce de l’opium ». Comme s’il fallait comparer les guerres de l’opium avec la situation actuelle ? Comme s’il fallait forcément comprendre que derrière ce boycott d’un régime dictatorial, il faudrait voir les reliquats d’une situation coloniale et du racisme ? Et pour lui, les « évènements du Tibet sont un prétexte. Un prétexte entièrement construit à l’usage d’un public conditionné par la répétition d’images qui visent à créer de l’évidence davantage que de la réflexion. » Il se lance alors dans une violente diatribe. « A l’heure actuelle je n’éprouve aucune sympathie pour “le gouvernement en exil du Tibet” dont sa sainteté est le décideur ultime sur pratiquement toutes les questions (…) Je respecte le droit de sa sainteté de croire ce qu’elle veut et à ses partisans de même. Mais je m’accorde le droit d’être en désaccord total avec l’idée de leur régime théocratique (…) Je ne soutiens pas davantage ni n’encourage le Dalaï Lama, ni dans sa religion qui ne me concerne pas, ni dans ses prétentions politiques que je désapprouve ni dans ses tentatives sécessionnistes que je condamne. Je demande : pourquoi pour exercer sa religion et la diriger le Dalaï Lama aurait-il besoin d’un État ? Un État qui pour être constitué demanderait d’amputer la Chine du quart de sa surface ! Son magistère moral et religieux actuel souffre-t-il de n’être assis sur aucune royauté[11] ? » Ce que Mélenchon oublie c’est que le 7 octobre 1950, un an après la proclamation de la République populaire de Chine, Mao Zedong ordonnait l’invasion militaire du Tibet, considéré par le nouveau régime comme une province chinoise dont l’indépendance ne serait qu’une fiction créée par les Occidentaux.

Parallèlement, il juge justifiée la « ligne rouge » des Chinois sur l’indépendance de Taïwan et met en garde contre « l’engrenage de la guerre froide avec la Chine[12] ». Il déclare sur BFMTV et RMC que « les Chinois n’ont pas l’intention d’envahir Taïwan mais si Taïwan se déclare indépendant, alors il est possible que la Chine, à juste titre, trouve qu’une ligne rouge a été franchie, donc il faut trouver le moyen de faire en sorte qu’il ne se passe rien[13] ». Sur Hong-Kong, il se dit « solidaire de ces revendications sociales et démocratiques », parce que « les revendications des gens de Hong-Kong portent sur le prix des loyers, des transports publics et sur les principales ressources qui font la vie de tous les jours[14] ». En vérité, Mélenchon feint d’ignorer que les Hongkongais se battent pour leur liberté, parce qu’ils sont terrorisés à l’idée que la Chine n’envahisse militairement le petit territoire. À la fin du mois de mai 2020, lors d’un live Twitch, il dénonce des « médias dominés par l’atlantisme » qui « profiteraient » de la situation pour « montrer du doigt le Parti communiste chinois et la Chine[15] ».

Mélenchon et ses positions pro-Russes

Le dimanche 6 mars 2022, en meeting à Lyon, Jean-Luc Mélenchon s’élève contre « la guerre de Poutine » en Ukraine. « Stop à la guerre, stop à l’invasion de l’Ukraine, à bas l’armée qui envahit l’Ukraine ». « Solidarité avec les Ukrainiens, que ce soit l’armée régulière ou ceux qui montent sur les chars pour ralentir leur avancée », déclare le candidat à la présidentielle[16].
Soit. 

Il faut dire cependant que ses précédentes déclarations ont suscité de nombreuses critiques. Lorsque Mélenchon parle de la Russie et accessoirement de la Chine, ses propos sont observés à la loupe. Les prises de position pro-Russes de Mélenchon, notamment, suscitent la polémique. 

Exemple ? Ce lundi 7 mars 2022, le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot dénonce les « complaisances » et la « capitulation » de Mélenchon, vis-à-vis de Vladimir Poutine, l’accusant de « les masquer » avec « des discours grandiloquents ». Sur Sud Radio, visiblement outré, Yannick Jadot déclare : « J’ai entendu le discours de J-L Mélenchon, il se prend pour Jean Jaurès. Mais Jean Jaurès doit hurler dans sa tombe d’être associé à quelqu’un qui a toujours considéré que l’Ukraine devait disparaître au profit de la Russie. Vous imaginez Jean Jaurès défendre les bombardements des populations civiles en Syrie ? Vous imaginez Jean Jaurès défendre l’assassinat des opposants politiques en Russie ? Vous imaginez Jean Jaurès défendre des crimes de guerre et ce, faire un immense écran de fumée en disant “Paix. Paix. Paix”, quand il s’agit d’abord de refuser des sanctions massives contre Vladimir Poutine, quand il s’agit de refuser d’armer la résistance ukrainienne… donc tous ces grands discours sur la paix en citant le grand Jaurès pour masquer ces complaisances et sa capitulation vis-à-vis de Vladimir Poutine[17] »

Examinons les faits puisque les accusations lancées par Yannick Jadot sont précises et sévères. Et, commençons par rappeler ici les propos qui ont été tenus par J-L Mélenchon, le 20 février 2016, sur France 2[18].

Sur l’intervention russe en Syrie

Mélenchon est questionné par la journaliste Léa Salamé (LS) et par l’écrivain Yann Moix (YM). Mélenchon (JLM), visiblement agacé, répond vigoureusement, il est très fâché. Il faut replacer cette séquence dans son contexte. Dans un premier temps, Mélenchon semble considérer qu’il n’y a pas de solution militaire à une crise politique d’une telle ampleur. Il dit s’opposer également à une intervention française en Syrie. Mais, et contradictoirement, il en vient tout de même à soutenir l’intervention russe, au nom de la lutte contre Daech. Problème ? L’intervention russe est dirigée contre les opposants modérés au régime de Bachar El Assad et l’aviation russe (comme en Ukraine, aujourd’hui) bombarde indifféremment civils et cibles militaires[19].

– LS : « Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ? »
– JLM : « Oui ».
– LS : « Il fait quoi, là, en Syrie ? »
– JLM : « Oui, je pense qu’il va régler le problème ».
– LS : « Et c’est quoi ? Comment ? »
– JLM : « Éliminer Daech ».

L’échange se concentre ensuite sur la question des frappes contre les rebelles syriens.

– YM : « Surtout en éliminant les rebelles au régime d’Assad… ». « Parce que c’est ce qu’il se passe, vous savez que 80% des frappes de Poutine ne concernent pas Daech et l’État islamique mais concernent les rebelles ».
– JLM : « Oui, bien sûr. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ».

Quelques instants plus tard, Mélenchon réaffirme une nouvelle fois sa position.

– YM : « Poutine est bien en train d’éliminer la rébellion en ce moment et d’écraser une partie des populations civiles, vous êtes d’accord avec ça ? »
– JLM : « Non. (…) Pardon M. Moix, mais ce que vous dites ne correspond pas aux faits, même pour vous faire plaisir, je ne vais dire que je suis d’accord[20] ».

A la fin de l’échange, le leader de La France insoumise ajoute cette précision. « Tous les bombardements massacrent tout le monde et je ne suis pas pour les bombardements ». 

Quelques mois plus tard, sur Public Sénat, Mélenchon est interpellé par le journaliste Michel Grossiord (MG), sur ses déclarations sur France 2 huit mois plus tôt :

– MG : « Vous aviez déclaré en février dernier : “Je pense que Vladimir Poutine va régler le problème en Syrie.” Vous le pensez toujours ? »
– JLM : « Alors attendez, M. Michel Grossiord. Vous voyez ça, c’est un procédé de journaliste… »
– MG : « Mais non, mais… »
– JLM : « Cette phrase, elle est à l’intérieur d’une émission, on venait de me demander comme vous : “Qu’est-ce qu’on fait maintenant concrètement ?” Il y avait des bombardements. Que bombardaient les Russes à ce moment-là ? Mais non mais je vous pose la question. Je vais vous le dire, parce que vous n’en savez rien et vous lisez votre papier. On bombardait à l’époque les convois de pétrole clandestin qui allaient de Syrie en Turquie et les Russes bombardent ça. Et c’est dans ce cadre que j’ai dit : “Je pense qu’ils vont faire le travail.” » 

Adrien Sénécat, journaliste au Monde, commentant ses propos, note qu’une nouvelle fois, contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, il est faux d’affirmer que les bombardements russes ne visaient que des « convois de pétrole clandestin » en Syrie avant février 2016. La Russie n’a pas changé de ligne à ce sujet entre février et octobre 2016.

Sur l’intervention russe en Crimée

En 2014, Mélenchon s’oppose à toutes représailles économiques de la communauté internationale contre la Russie. « Les ports de Crimée sont vitaux pour la sécurité de la Russie, il est absolument prévisible que les Russes ne se laisseront pas faire, ils sont en train de prendre des mesures de protection contre un pouvoir putschiste aventurier, dans lequel les néonazis ont une influence tout à fait détestable », analyse-t-il. « Nous Français, n’avons rien à faire dans une histoire pareille, nous n’avons rien à faire à encourager les provocations contre les Russes, cela dit sans sympathie pour le gouvernement russe », poursuit-il en référence au processus d’adhésion alors en cours de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan[21]. Soulignons que Mélenchon parle des « néonazis » qui auraient « une influence » au sein du pouvoir ukrainien. Étrange coïncidence, car Poutine affirme combattre les néonazis en Ukraine. S’il existe un régiment comme le régiment Azov décrit comme une idéologie d’extrême-droite liée à l’idéologie nazie – qui ont joué un rôle en 2014 dans les guerres contre les russes en Crimée et dans le Dombass – ces groupuscules sont ultra minoritaires en Ukraine. Aussi, affirmer combattre les néonazis en Ukraine relève purement et simplement de la propagande.

Sur la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, encore

En novembre 2021, dans un entretien au Figaro, Mélenchon est interrogé sur l’absence de la Russie et de la Chine au Forum de Paris sur la Paix. « S’ils ne sont pas là, c’est qu’ils ne sont pas invités. Ce forum est une expression de la vision puérile du président Macron », « les sanctions contre la Russie n’ont aucun sens », prévient-il. « Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine[22] », précise-t-il. 

Le 12 décembre 2021, sur France Inter, Mélenchon dit que, pour lui, « la Russie n’est pas un ennemi, mais un partenaire ». Il précise aussitôt : « Il faut s’inquiéter à chaque fois qu’une plaie s’envenime, il y a intérêt à s’y prendre assez tôt et à ne pas en rajouter par des provocations (…) à intervalle régulier, les Russes jouent les gros bras et à intervalle régulier les Ukrainiens en font autant (…) Ce n’est pas à nous de faire les shérifs du monde. Les Russes ne sont pas des adversaires. C’est la première fois dans l’histoire qu’un empire s’effondre, sans que l’on négocie les frontières qui suivent et en plus nous avons menti à cet empire. Nous lui avons dit que l’on ne ferait pas avancer les frontières de notre alliance militaire et on les a fait avancer. Pourquoi se passe-t-il tout ceci en ce moment en Ukraine ? Parce que les États-Unis d’Amérique ont l’intention d’avancer les frontières de l’Otan jusqu’à l’Ukraine et toute une série de gens sont intéressés à avoir en Europe un nouveau pays où le salaire moyen est à 135 euros[23] ».

Le 18 janvier 2022, dans un entretien qu’il accorde au Monde, Mélenchon précise sa pensée. « Les Russes mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? On continue les vieilles méthodes de la guerre froide. Or, la politique antirusse n’est pas dans notre intérêt, elle est dangereuse et absurde. Le maître-mot est la désescalade[24] ».

Le 30 janvier, sur France 5, il déclare que la Russie « a des intérêts comme pays et ne peut pas accepter que l’OTAN arrive à sa porte et on peut le comprendre, tout cela était dans le pacte de Varsovie ». Il ajoute : « Je n’embarquerai pas la souveraineté de la France. Quand le président de la République dit : nous garantirons l’intégrité territoriale de l’Ukraine, alors que la menace n’existe pas selon les Ukrainiens eux-mêmes, il fait une bravade qui ne nous mène nulle part ». 

Ce n’est qu’à partir du 10 février 2022, qu’il tente d’adopter une nouvelle posture. Devant l’extrême virulence de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, les villes détruites sauvagement par l’armée russe, les millions d’ukrainiens qui quittent leur pays, Mélenchon doit modifier son discours. Il lance alors sur France 2, « Monsieur Poutine n’est pas mon modèle ». « Moi, en Russie je soutiens un homme qui s’appelle Sergueï Oudaltsov, qui est le président du Front de Gauche, qui a été quatre ans en prison. Je ne vais pas vous dire que Monsieur Poutine est le genre de dirigeant qui me convient, puisque mes amis là-bas le combattent et vont en prison à cause de cela ». Et comme pour balayer du revers de la main, toutes critiques éventuelles, il ajoute : « Monsieur Poutine n’est pas mon modèle. Ai-je l’intention de présider comme Monsieur Poutine ? Non. Ai-je l’intention d’appliquer la politique de Monsieur Poutine ? Non. Par conséquent j’ai assez répondu[25] ».

Les positions du leader de LFI se heurtent à la réalité et pour cause. 

En 2017, déjà et dans La Règle du Jeu, le philosophe Bernard-Henri Lévy prévenait : « N’est-il pas étrange, à la fin, que, chaque fois qu’un peuple insoumis affronte une dictature, une vraie, il s’arrange pour venir en renfort de la seconde et pour accabler le premier[26] ? » Comme Éric Zemmour et Marine Le Pen, Mélenchon sera balayé par le vent de l’histoire. Mais, il aura aussi à répondre de ses pathétiques capitulations devant les peuples qui ont été malmenés et agressés. Et, de ces postures, il ne restera que la honte et le déshonneur.

Marc Knobel est historien. Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet. 


[1] Voir à ce sujet Entretien biographique avec Marc Endeweld, Jean-Luc Mélenchon, le choix de l’insoumission, Points, 2017, notamment les pages 63-75.

[2] Dans Mélenchon, aux portes du pouvoir, immersion dans le système France insoumise, aux éditions First (pp. 51-52), Mélanie Delattre et Clément Fayol rapportent le propos d’un syndicaliste. Ils notent que contrairement à Lionel Jospin, Mélenchon a toujours assumé son ancienne appartenance à ce groupuscule, s’affichant même aux obsèques de son fondateur, Pierre Boussel (dit Lambert).

[3] Le Monde, 21 juin 2011.

[4] https://twitter.com/JLMelenchon/status/1379479301414862853?s=20

[5] Le choix de l’insoumission, op.cit., p. 305.

[6] Maël Thierry, « »El commandante »  Mélenchon », Le Nouvel observateur, 6 mars 2013. 

[7] Idem.

[8] https://www.lepoint.fr/monde/les-mensonges-de-melenchon-sur-cuba-demontes-par-un-exile-cubain-12-10-2018-2262327_24.php

[9] https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/fiche/OMC_PO733117

[10] http://www.jean-luc-melenchon.fr/2008/04/07/je-ne-suis-pas-daccord-avec-le-boycott-des-jeux-de-pekin-et-la-propagande-anti-chinoise/comment-page-24/

[11] https://www.humanite.fr/node/391351

[12] https://www.sudouest.fr/international/chine/jean-luc-melenchon-juge-justifiee-la-colere-de-la-chine-sur-l-independance-de-taiwan-6631770.php

[13] Idem.

[14] https://twitter.com/jlmelenchon/status/1199398928099217408

[15] https://usbeketrica.com/fr/article/la-gauche-francaise-soutient-elle-vraiment-hong-kong

[16] BFMTV, 6 mars 2022.

[17] https://twitter.com/SudRadio/status/1500746625240780800?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1500746625240780800%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.bfmtv.com%2Fpolitique%2Felections%2Fpresidentielle%2Fguerre-en-ukraine-yannick-jadot-accuse-jean-luc-melenchon-d-avoir-capitule-face-a-vladimir-poutine_AD-202203070216.html

[18] https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/video-melenchon-felicite-poutine-pource-que-fait-la-russie-en-syrie_1324879.html Voir également Adrien Sénécat, « Les ambiguïtés de Jean-Luc Mélenchon sur la Russie et la guerre en Syrie », Le Monde, 16 décembre 2016 et Lilian Alemagna et Stéphane Alliès, Mélenchon à la conquête du peuple, Robert Laffont, 2018, pp.333-335.

[19] Regards.fr, 25 février 2016.

[20] https://www.youtube.com/watch?v=ypNbioQe_eY

[21] Bruno Rieth, «Jean-Luc Mélenchon : ce qu’il a vraiment dit sur la Russie, Poutine et la Syrie», Marianne, 4 avril 2017.

[22] https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/jean-luc-melenchon-ma-ligne-c-est-l-independance-de-la-france-20211111

[23] Rédaction numérique de France Inter, 25 février 2022.

[24] https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/18/jean-luc-melenchon-les-conditions-sont-mures-pour-un-grand-changement-en-europe_6109887_6059010.html

[25] Rédaction numérique de France Inter, 25 février 2022.

[26] https://laregledujeu.org/2017/04/01/31054/le-bluff-melenchon/