Le 27 octobre marquait le second anniversaire de la tuerie à la synagogue Tree of Life (« Arbre de vie ») à Pittsburgh, où onze juifs furent massacrés par un suprémaciste blanc.

A trois jours d’une élection présidentielle en Amérique si lourde de conséquences, et alors que soixante-six millions d’Américains ont déjà voté, une relecture des articles et des textes de Bernard-Henri Lévy à propos de Trump et des Juifs s’impose.

Le 5 novembre 2018, la nuit précédant les élections de mi-mandat au Congrès américain, Lévy interpréta sa pièce Looking for Europe sur les planches du légendaire Public Theater de New York, énumérant en ouverture les noms de ces onze juifs tués quelques semaines plus tôt.

Les bâtiments, leur histoire, leurs briques mêmes ont une âme, et il faut savoir que cette scène d’où Lévy égrenait la triste litanie de ces juifs assassinés, n’est pas une simple scène. Cet espace appartint à la Société d’Aide aux Immigrants Juifs (HIAS), de 1921 à 1965. L’agence internationale des migrations de la communauté juive y eut pour mission de trouver un asile pour les personnes persécutées de toutes confessions et de toutes origins. Accueillir, était-il dit, « qui en rangs serrés aspirent à vivre libres ».

En frappant d’horreur la synagogue Tree of Life, le tueur entendait terroriser la communauté juive, tuant et tirant à tout va dans le but de tuer des Juifs parce que la « HIAS likes to bring invaders in that kill our people »

En ce triste anniversaire, la question mérite de nouveau d’être posée et encore posée : pourquoi est-il si difficile pour Trump de dénoncer le suprématisme blanc à chaque fois que l’occasion lui en est pourtant donnée ?

Ecoutons, donc, Bernard-Henri Lévy :

« Il y a, aux Etats-Unis, l’antisémitisme de l’extrême droite, celui qu’a libéré l’élection de Baby Trump, et dont les émanations sont comme les djinns qui sortaient de la lampe d’Aladin. C’est le massacre de Pittsburgh. 

Ce sont ces onze Américains par le Coeur et Juifs par l’esprit qu’a tués un suprématiste blanc. Ce sont Richard Gottfried, Rose Mallinger, Jerry Rabinowitz, Cecil Rosenthal, David Rosenthal, Bernice and Sylvan Simon, Daniel Stein, Melvin Wax, Irving Younger, Joyce Feinberg, ces onze femmes et hommes qui venaient se recueillir et prier, un matin de shabbat, et dont tous les juifs du monde portent, aujourd’hui, le deuil. »

Mais Bernard-Henri Lévy continue : 

« Je ne dis pas, bien sûr, que Trump soit responsable de Pittsburgh. 

Mais je dis qu’on ne peut pas, quand on est président des États-Unis, jouer avec le feu ; 

On ne peut pas, à Charlottesville, dire qu’il y a des torts et des gens bien des deux côtés. 

On ne peut pas louvoyer avec David Duke. 

On ne peut pas, chaque fois que le correspondant d’un journal juif essaie de vous interroger, en conférence de presse, sur le nombre grandissant de synagogues attaquées ou d’écoles juives évacuées, le rabrouer comme un vieux chien.

On ne peut pas faire semblant d’ignorer que les mots ont une mémoire, qu’ils sont comme des piles qui émettent des radiations et que les radiations qui émanent des mots de l’America First sont des radiations nazies. 

On ne peut pas jouer avec tout ça, sans que ça vous retombe un jour ou l’autre sur la gueule – et encore ! si ce n’était que la gueule de Trump ! mais non ! c’est sur la tête de onze pauvres juifs, innocents comme des enfants, qu’est tombée la foudre de la haine qu’il a semée en faisant de George Soros le maître d’une conspiration mondiale acharnée à la perte de l’Amérique.

Alors, je sais bien que le même Trump multiplie, dans le même temps, les gestes d’amitié envers Israël.

Et je connais la chanson des quatre petits-enfants juifs “extraordinaires et merveilleux” qu’il exploite de manière éhontée.

Mais, primo, les petits-enfants, que je sache, il n’y est pas pour grand-chose !

Secundo, le coup de l’antisémite dont le meilleur ami est juif et s’appelle Benjamin, on connaît !

Et puis, franchement, on peut penser ce que l’on veut du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Mais est-ce que vous n’êtes pas frappé, tout de même, par un détail ?

Baby Trump cherche deux pasteurs évangéliques pour bénir sa nouvelle ambassade flambant neuve.

Il sait qu’il y a, officiant aux États-Unis, des milliers, que dis-je, des dizaines, des centaines de milliers de pasteurs décents, amis des Juifs, respectables ; or il tombe, pile, comme par un fait exprès sur deux antisémites déclarés ! »

Et Bernard-Henri Lévy de conclure :

« De toutes façons, pour les Juifs américains comme pour tous les juifs du monde, il y a deux règles d’or. 

Un. Une règle de prudence stratégique. Joseph, pour sauver ses frères, peut faire alliance avec Pharaon. Mais à condition de ne jamais oublier qu’un nouveau Pharaon se lève toujours sur l’Égypte et que ce nouveau Pharaon “ne connaîtra pas Joseph” ou ne connaîtra, plus exactement, de lui que cette alliance excessive, compromettante, avec le Pharaon d’avant. Trump, en d’autres termes, n’est pas éternel. Le jour viendra, peut-être demain, peut-être dans deux ans, peut-être dans six, où il sera rejeté dans les poubelles de l’histoire américaine. Et rien ne serait plus terrible, pour les Juifs américains, que de sembler alors intimement associés à Trump – pour ne pas dire à Bolsonaro, ou à n’importe lequel de ces populistes d’Autriche ou d’Europe centrale qui, après avoir pourchassé nos pères et nos grand-pères, nous font, parce que nous sommes devenus forts, des courbettes et des risettes. En bon français, ça s’appelle des baisers de la mort… »[1]

Quelques jours avant l’intronisation de Trump, Lévy publia dans le New York Times un appel en forme d’avertissement : « Amis juifs, prenez garde à Trump », dans lequel il pointait que toute indulgence avec l’esprit, le style et les jeux dangereux de Trump « équivaudrait à un suicide » pour le peuple juif.

« Les Juifs doivent, comme tous les autres citoyens, respecter le Président élu dans les formes prescrites par la Constitution américaine. 

Mais ils ne doivent pas tomber dans le piège de sa bienveillance sans consistance et, somme toute, à double tranchant. 

Ils ne doivent pas oublier qu’il peut multiplier à l’infini les déclarations d’amour à Israël, à Bibi, à qui l’on voudra, il restera toujours un mauvais berger qui ne respecte que la puissance, l’argent, les stucs et ors de ses palais – et se moque, non seulement des miracles, mais de cette vocation à l’étude et à l’intelligence qui fait le génie de leur tradition…

Faire alliance avec ça, c’est trahir sa vocation…

Toute concession au nihilisme trumpien serait la plus affreuse des capitulations et équivaudrait à un suicide. » [2]

Regardant l’intronisation de Trump, à la télévision, en compagnie de Philip Roth, tandis que le complot de Donald Trump contre l’Amérique étalait sa vulgarité aux yeux de tous, Lévy appelera, quelques jours plus tard, tous les gens dotés de conscience à prendre la mesure des dangers à venir.

«…Et puis ce slogan “America First” dont on s’étonne qu’ici, aux Etats-Unis, il ne soulève pas le cœur de toutes celles et ceux qui, quel que soit leur bord, ont un peu de culture politique…

Car c’était lui le slogan officiel des nazis américains du temps de Charles Lindbergh.

C’est lui que l’on opposait à ceux qui voulaient que l’Amérique résiste à l’Allemagne hitlérienne.

C’est en son nom qu’étaient dénoncés, à l’inverse, les “juifs fauteurs de guerre”.

Et c’est ce slogan, répété jusque sur les marches du Capitole, qui fait que David Duke, l’ancien leader du Ku Klux Klan, vient de se fendre d’un tonitruant “We did it!”

Donald Trump sait tout cela.

Et il répond, quand on le lui rappelle, qu’il regarde “vers l’avenir”, pas “vers le passé”… »[3]

Un dernier mot, peut-être, à ceux qui seraient tentés d’opposer à ces arguments que Trump a tenu ses promesses et qu’il a « rendu Jérusalem au peuple juif ». De nouveau, Lévy nous met en garde.

« Je sens trop le côté gros malin, acculé par des défaites diverses et consécutives, qui a trouvé là son coup fumant de fin de première année de mandat. 

Ami des juifs, dit-il ?

Protecteur et saint patron d’Israël ? 

Pardon, mais je n’y crois guère. 

Je ne pense absolument pas que Donald Trump soit mû par le sentiment d’une union sacrée de l’Amérique et d’Israël ou, comme on le disait du temps des Pères pèlerins des Etats-Unis, de la nouvelle et de l’ancienne Jérusalem. 

Je n’imagine pas l’âme de Trump disponible, de quelque façon que ce soit, pour la reconnaissance de la singularité juive, la célébration des paradoxes de la pensée talmudique ou le goût de l’aventure qui animait la geste ardente, lyrique et héroïque des pionniers laïques du sionisme.

Et je ne pense pas davantage que les fameux néo-évangélistes qui forment, paraît-il, ses bataillons d’électeurs les plus solides aient la moindre idée de ce qu’est, en vérité, cet Etat nommé par des poètes, bâti par des rêveurs et poursuivi jusqu’à aujourd’hui, dans le même souffle ou presque, par un peuple dont le roman national est semé de miracles rationnels, d’espérances sous les étoiles et de ferveurs logiques. » 

Et Lévy, de nouveau, de poursuivre 

« L’Histoire nous apprend qu’un geste d’amitié abstrait, insincère, délié de l’Idée et de la Vérité, amputé de cette connaissance et de cet amour profonds qu’on appelle, en hébreu, l’Ahavat Israël, ne vaut, finalement, pas grand-chose – ou, pire, elle nous enseigne comment, en vertu d’une mauvaise chimie des fièvres politiques dont le peuple juif n’a eu que trop souvent à endurer l’épreuve et les foudres, il y a tous les risques que ce geste, un jour, se retourne en son contraire… »

Puis 

« Il eût été tellement mieux d’inscrire cette carte maîtresse – en anglais ce trump – qu’était la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël au cœur d’une vraie paix qui, seule, garantirait l’imprescriptible droit d’Israël à l’existence et à la sécurité !

Mais le 45président des Etats-Unis n’en avait cure : il faisait un coup politique – il ne songeait visiblement pas à faire l’Histoire »[4]

Il n’essayait, certes, pas de faire l’Histoire.

Pour les Juifs de la Diaspora comme d’Israël, pour tous les hommes de bonne volonté, pour l’Amérique et pour le monde, espérons que, dans trois jours, Trump et la vague de haine qu’il a engendrée seront de l’histoire ancienne.


[1] Looking for Europe, une pièce écrite et jouée par Bernard-Henri Lévy, le 5 novembre 2017, The Public Theater, New York.

[2] Jews, Be Wary of Trump, New York Times, le 19 janvier 2017.

[3] Donald Trump, chez Philip Roth, Le Point, le 26 janvier 2017, et Donald Trump’s Plot Against America : Watching the Inauguration with Philip Roth, The Daily Beast, le 27 janvier 2017.

[4] Trump, Jerusalem and the Jews, Tablet Magazine, le 19 décembre 2017 ; Trump, Jérusalem et les Juifs, Le Point, le 12 décembre 2017 ; et הכרה מבוזבזת, Yediot Aharonot, le 20 décembre 2017.

Un commentaire

  1. Faux ami , sans blagues ? Sommes nous en politique, ou sommes-nous en bouffées délirantes ? Les USA ne se limitent pas à quelques Etats bostoniens , et West Coast . La population est des plus complexes à analyser ; les intellectuels , coupés des bases, cramponnés a leurs campus BCBG ne sont pas l’ Amérique profonde . Les américains sont par atavisme portés à la violence verbale et physique . Le droit d’ y porter une arme est sacro-saint . Et si vous devez comptabiliser les victimes juives de cette violence, n’ oubliez pas d’ y inclure des dizaines de juifs de Brooklyn, poignardés , agressés, pourchassés dés qu’ apparait leur kippa ou leurs barbes au coin d’ une rue , par leur voisins  » progressistes  » , encartés et récupérés nolens-volens chew BLM . Je vous trouve à coté de la plaque pour employer une litote….