De becs et de griffes, les petites phrases, les punchlines, les commentaires, les tweets : le poison quotidien.
Le brouhaha et le bruit. Les mots jaillissant de l’obscurité, la pensée supplée par le cancan. Les analyses sommaires. Lapidaires. Les réquisitoires sans appel. La raideur. La rigidité. Le raisonnement qui n’en est plus un. Où la méthode ? Où la rigueur ? Où l’honneur de la démonstration ? Où la retenue dans le propos ?
On n’écoute pas, on n’entend plus ; on ne sent pas, on ne se souvient plus ; on ne pense pas. On pensera peut-être au siècle prochain.
Le climat général est frelaté. A chaque fait divers, on se lâche. Coups sur coups, on aligne des sentences comme on dresse l’échafaud. Des sentences sur ceux qui ne sont pas faits à notre effigie ; ceux, assignés à des identités collectives, renvoyés à leurs caractéristiques supposées de naissance, de couleur ou de foi qui détermineraient tout de leurs comportements.
On débite, on dégurgite sans vergogne des généralités à la va-vite. Des propos misérables qui n’avaient plus cours au cœur de l’espace public. A chaque occasion, certains se délectent, poussant le propos un peu plus loin. La violence de ce qui est proférée est publique. Et on cogne. On humilie. On s’acharne. Le plaisir de la violence verbale. L’envie de rabaisser. De blesser. L’ardeur à la cruauté. Climat de violence symbolique accumulée.
C’est, cette semaine, Danièle Obono, députée de la France Insoumise, représentée en esclave dans le dernier numéro d’un sinistre média ; c’est, mercredi dernier, un graphiste strasbourgeois bousculé dans une rue parce que juif…
Si, acceptant et intégrant cette violence nauséabonde chaque fois qu’elle ne nous tient pas directement pour cible ;
si, la mauvaise foi, loi et norme par routine;
si, à l’instant d’une saison inattendue, meurt la fraternité, nous aurons tous perdu quelque chose de ce que nous tenons pour essentiel. Quelque chose de ce qui nous fonde et nous tient ensemble.
Si, chacun pour soi, chacun barricadé dans son univers, chacun ne militant que pour sa seule et propre cause, se contrefichant de celle des autres, méprisant, piétinant celle des autres, puisque de notre époque personne se souciant plus de personne ; si, l’égoïsme sans bornes faisant le lit du pire, se consume ainsi, à petit feu, ce qui nous relie, alors aura triomphé notre part de laideur.
Auront triomphé ceux qui fantasment de nous faire notre affaire les uns après les autres, les uns à la suite des autres. Ceux qui haïssent pour se sentir vivre. Eux, ils attendent. Eux, ils se frottent déjà les mains. Eux, ils ricanent et contemplent les ruines.
Si, la raison crevassée, la mémoire trouée inopérante ;
si, devenus des êtres sans souvenirs, des êtres incapables de donner sens et espérance à notre époque ;
si meurt, aussi misérablement, la fraternité, mourront les libertés, mourra l’égalité.
Ç’aurait été si bon de pouvoir savourer ensemble, au coin d’un bûcher, la prise en flag du Sarko-na-na-na-zi, et d’en remettre une couche sur la pseudo-équivalence dégueue.
Or non.
Et encore non.
Pas de lapsus à l’horizon.
Simplement une pensée rebondissant sur ses propres prémices, non sans provocation sans doute pour une cible de Cabu, — on aurait plutôt tendance à saluer la perf.
Car quand le 6e Singe de la Cinquième revient sur un vocable qu’il employa pour décrire une élite — qu’il ne racialise pas jusqu’à preuve du contraire — dont la trahison fut dénoncée jadis, et avec quel à-propos ! ce n’est que pour mieux déplorer cette compulsion, que semble avoir contractée toute une catégorie d’intellectuels & assimilés, à se couler dans le moule d’un succédané des dogmes religieux qualifié de pensée, en deux mots, à singer le fast thinking clientéliste des populistes.
Et aussitôt, il comprend que les singeries qu’il dénonce vont être disséquées par le pire de l’époque pour se voir amalgamées avec un acte de délation visant la communauté noire.
Au passage, c’est avec les Chinetoques — omission de guillemets volontaire — que le Nico provoc devrait craindre d’avoir maille à partir, car voulant brosser aux élites contemporaines un portrait cruellement fidèle, il emprunte le symbole asiatique des singes de la sagesse pour souligner les traits d’avidité cynique et de fausse lâcheté de son ennemi pathologique.
Et si, rien qu’une fois, nous essayions de donner tort au redresseur de torts, en mettant fin, par la force du gré, à une vénale dérive qui accusera bientôt les Modernes promoteurs de l’art nègre d’avoir fait suivre à l’Occident la pente inverse de celle qu’ils lui avaient dessinée en tant qu’avenir réparateur, ô combien éclaireur ?
Il y a belle lurette que nous avons dépassé le stade du droit de dire ou faire ce qui constituerait un délit de blasphème pour cette race d’État qui, au mieux, ne fut jamais la nôtre, au pire, a peu ou prou cessé de l’être.
Face aux menaces éparses et non moins convergentes de la théocratie d’Empire, l’affirmation de notre liberté d’enfreindre tout ce qui ne manquerait pas de causer des persécutions immédiates aux chevaliers horrifiques qui se seraient nativement, ou malencontreusement, aventurés sous les étendards noirs, doit être considéré comme un acte de résistance et, pour ainsi dire, un devoir de blasphème.
Ce n’est pas une réponse car la question de nos libertés ne s’est jamais plus posée après que nous eûmes déclaré l’universalité des principes qui nous fondent en citoyens du Mont.
Ce n’est pas un bras de fer car nous restons debout derrière le droit de tracer nos propres cheminements vers Rome, et au-delà s’entend.
Ne cherchez pas, ce n’est pas un jeu.
Non, c’est un ordre.
Je dirais même plus, c’est un rappel à l’ordre.
P.-S(ss) : Comment ? Si, si… j’ai bien dit Mont. Et non pas Pont. Mais n’y voyez surtout aucune xénotopie. Je sais encore faire la différence entre Guigues, Évagre et Marcion.
Il y a une ligne de démarcation nette entre les caricatures négationnistes du jeune Moix et les caricatures antidjihadistes du vieux Cabu. Les premières auraient valu à leur auteur de se voir décerner un prix de la part de la République islamique aryenne.
Alors que, selon la formule consacrée, celles-ci assassinaient une seconde fois les martyrs de la Shoah, les autres auraient vocation à extirper de leur propre purin idéologique les intellects, musulmans ou non, que l’on pouvait voir s’esbaudir d’une légitimation, probablement existentielle pour leur propre névrose, du terrorisme aveugle.
Je soutiens que les dessins de Cabu pourraient figurer sur une table de chevet à côté du Coran, sans qu’Allah ait rien à en redire. Je ne dirais pas la même chose au sujet de la combinaison sadisme néonazi ± sagesse hébraïque. Mais sur ce point, cher Yann, je ne doute pas que vous me rejoigniez.