Nous assistons depuis quelques années, dans la plupart des pays européens, à l’essor d’une dynamique inquiétante. Des sociétés entières semblent atteintes de troubles de paroles, d’équilibre et d’humeur, l’espace politique étant de plus en plus phagocyté par des mouvements de masse rétrogrades et extrémistes. Quelle est la raison qui expliquerait les succès électoraux de ces mouvements ? Serions-nous rentrés, à notre insu, de plein pied dans l’âge des populismes ?

Les analystes classiques diront : il faut regarder du côté de l’économie. En période de crise c’est toujours ainsi : les mouvements extrémistes ont le vent en poupe, ils doublent leurs scores électoraux, enflent dans les urnes. Que l’économie se porte mal et les sociétés se déporteront inévitablement vers les extrêmes. Le chômage et la précarité engendreraient automatiquement la haine, la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme. Les hommes confrontés à des difficultés économiques quotidiennes, flottant, perdus dans le pays de la souffrance, sortiraient ainsi leurs griffes, montreraient leurs dents, juste pour défendre leurs biftecks. Telle serait l’explication somme toute logique de la progression actuelle sur l’échiquier politique européen des mouvements extrémistes. Que la crise économique soit jugulée et les hommes redeviendraient tous, comme aux bons jours heureux, bienveillants, compatissants, rationnels, mesurés.

Thèse de toute évidence mécanique et minimaliste. Car que nous enseigne l’observation de certaines expériences historiques ? Que si l’expansion de la misère se traduit parfois par la poussée du vote extrême, l’habitude de réduire le comportement politique des hommes à leur statut d’homo-oeconomicus relève d’un raisonnement bancal, l’homme étant plus qu’un estomac ambulant sise sur deux pattes. Mais quelle autre raison ferait courir l’homme ? Autrement dit, quel serait le secret des succès électoraux des mouvements populistes ? Qu’est-ce-que ces mouvements remueraient-ils au fond des tripes de leurs suiveurs ?

S’ils ne sont pas sympathiques lorsqu’ils s’agitent et vocifèrent du haut de leurs estrades, les leaders populistes ne sont pas pour autant des personnages au cerveau rabougri, embrouillé par le fanatisme, sans aucune capacité de raisonnement. Leurs actes et discours demeurent, souvent, froidement fondés sur une certaine analyse du fonctionnement des hommes mise ensuite au service de la réalisation de leurs ambitions : massifier la haine, invalider la raison critique, déstabiliser les démocraties, se saisir du pouvoir pour ne plus le relâcher, bouleverser la société de fond en comble.

Le populisme est un mal radicalement porteur de violence dans ses entrailles, violence enracinée dans son langage et manifeste dans sa propagande. Et si les méthodes de cette propagande évoluent et changent selon les circonstances, les lieux et les époques, elles n’en demeurent pas moins marquées par quelques éléments constitutifs récurrents : mensonges, désignation de boucs émissaires, anti-élitisme, clôture de la nation, attaques verbales d’une brutalité parfois inouïe… Il s’agit par une stratégie tension permanente tissée de formules chocs destinées à frapper les esprits, de capter l’attention générale, de radicaliser l’opinion et de prendre quartiers au cœur du débat politique.

Double piège tendu ici aux démocraties : que celles-ci réagissent à ces assauts répétés par la répression et les populistes se poseront en pauvres victimes qu’on chercherait à réduire au silence car ils seraient les seuls à oser dire tout haut les vérités dissimulées par les élites ; qu’au contraire, les démocraties fidèles à elles-mêmes laissent faire, laissent parler sans sévir et elles auront démontré aux yeux de tous leur mollesse en ces temps de demande de pouvoir fort, d’autorité et d’ordre.

Si l’appel à la raison des électeurs reste l’élan premier de la pratique politique de la sagesse démocratique, les populistes préfèrent recourir à la mobilisation des émotions. Remuer les bas instincts, remuer les angoisses : la nation serait menacée par la mondialisation, le travail serait menacé par les travailleurs venus d’ailleurs. L’immigration pensée comme le négatif de l’identité nationale… Invasion en réalité des sociétés enfiévrées non pas par les migrants – coupables désignés de tous les maux et dont le sacrifice réclamé guérirait la société du mauvais sort – mais par des peurs infusées, injectées dans les cerveaux.

L’objectif visé ? Bouleverser tous les marqueurs de l’identité politique des sociétés démocratiques, susciter une demande sociale d’ordre, amener de plus en plus de citoyens à déposer leur destin dans les mains de ceux qui se présentent en champions de la nation et en ultimes remparts suprêmes qui auraient le courage d’affronter la «bien-pensence du système» et son «prêt-à-penser politiquement correct»!

La haine libérée, posée tranquillement en sanctuaire, en bon sens populaire opposé à l’aveuglement des élites qui vivraient hors-sol. La haine, l’emprise intruse jusque dans l’intimité individuelle. La haine comme nouveau conformisme social. Comme facteur d’intégration nationale. La société ainsi défigurée ne sera plus tout-à-fait la même.

Désinhibition de la haine euphorisante pour tous les esprits faibles, la haine ingurgitée telle une potion magique aux effets de remembrement revigorant. Illusion. La haine ne rend pas fort. Elle immobilise, fige. Elle assigne à la dégradation. La haine est un produit toxique aux effets dévastateurs. L’ingestion, l’inhalation ou l’exposition régulière à ce produit à la nocivité prouvée à l’épreuve des drames de l’histoire peut entraîner à la longue la mort de la raison démocratique par empoisonnement.

9 Commentaires

  1. Nous revoici à l’extrême droite que décrivait le jeune Fabius, à ses fausses réponses et à ses bonnes questions, de là on en viendrait presque à se surprendre à comparer le pire avec soi-même. C’est alors que tout recommence à se limer le front avec le dos de la main. Car à quoi nous condamneraient les œillères de notre opposition grillée sinon à opposer de fausses questions aux fausses réponses de la petite chouannerie. Les bonnes questions nous laissaient au moins espérer en la grossesse d’une brebis galeuse, maudite pour les uns, bénie pour les autres à la lisière des pâturages marbrés. Mais si l’incarnation faussement christique du clown de Clovis achève sa course tel un ongle incarné, le corps infectieux du roi sans tête que serait un peuple se prenant pour le roi nous donne un petit aperçu de la montée de fièvre incontrôlable à laquelle nous expose le Grand Fakir élainophobe, dès lors que nous avons permis à ses agents narcoleptiques de nous reloger dans les arrondissements négatifs du Capital, ceux des retranchés de Paris, ceux des angles de Biiiiiiip des hyperBiiiiiiip du Biiiiiiip de la gloBiiiiiiip. La liberté d’entreprise et de conscience. L’égalité des sexes et des chances. Rien de ce qui fonde en raison notre communion à venir n’est négociable. Nous, l’humanité en l’homme, ne prendrons jamais le risque de nous payer une paix civile en monnaie de singe. Le rayonnement alpha des sensations réparatrices ne dépend pas d’un système de forage qui aurait pour fonction de déclencher les jaillissements de son esprit fossile. L’acte de création des nations pluralistes requiert un mode de conversion laïque, un cours-jus de cerveau étant de nature à célébrer le sacre de ses profanations. Planchons, planchons! Allons vite récolter cette moisson de sangs mêlés dont nous n’avons jamais cessé d’abreuver notre Sion.

  2. Le visage de Philippe III prend forme à l’aune de l’effacement que font planer, sur son estrade, les ébauches de restauration d’une République des partis. Dans l’éventualité d’1) 11-Septembre cybernétique bénéficiant de l’algorithme idoine, quel serait l’homme de la situation; de 2) Intifadas affables qui pourraient se vanter d’avoir, soudure contre soudure, scellé le pacte existentiel des juntes rurales et des jungles urbaines, quel serait l’homme de la situation; de 3) contre-prouesses pyrotechniques non seulement régressistes mais confinant à la pyromanie, quel serait l’homme de la situation? La paix n’est pas en outre un état naturel de l’homme. Elle se bâtit en creux. À raison d’une résistance à toute épreuve si possible repoussée — l’épreuve et non la résistance — par un discernement redoublé sous l’effet du clouage au pilori. Ouvrant un centre de vaccination gratuit contre le populisme. Car ne convoitant plus la popularité.

  3. Tout persécuteur s’embranche sur la déviance d’un violeur compulsif. Aux prises avec une séduisante crapule, certaines proies baissent les bras. D’autres parviennent à tenir leur rang tels les communicants de l’Arche du témoignage; il ne faut pas en conclure qu’elles s’entêtent de manière obsessive. La droiture n’engendre pas nécessairement un engrenage névrotique et toutes les cibles ne sont pas des proies. Ouvrons les yeux. Notre riposte au millénarisme durera jusqu’à la fin des temps que ses fashion victims se sont assignée. Ceci, est-il besoin de le préciser, n’est pas un passage à tabac.

  4. Vous auriez pu ramasser à la pelle une Forêt-Noire de décrocheurs qui, attirés dans la fosse de Bayreuth par la locomotive de l’indicible, se seraient sentis renaître à l’annonce d’un revirement de la dernière heure sur ladite question juive. La Führerin Angela Merkel nous ferait grâce aujourd’hui de poursuivre cette beuysienne mutation, quand personne au monde n’oserait plus réduire le nazisme à cet accident de parcours que représenterait, au plus bas de la toute dernière page du CV onusien, notre histoire de Shoah. La promulgation par la République islamique aryenne d’une loi contre le financement du terrorisme ne nous a pas fait fondre. Elle résonne comme un aveu dans l’hypothèse du Noûs transnational. Or il est rare que, s’étant mis à table face à l’Histoire, l’on en sorte disculpé sous une pluie de champagne.

  5. «Nous soutenons l’État juif mais les minorités ont aussi des droits.»
    Nous souscrivons à vos propos, Frau Bundeskanzlerin.
    «Les minorités ont des droits mais nous soutenons aussi l’État juif.»
    Nous souscrivons aux propos du père mille et une fois assassiné de ce qu’aurait pu être l’État palestinien.

  6. le système électoral «démocratique» appèle de lui-même le populisme

  7. David. Vous parlez de démocratie, comme si c’etait la forme idéale de gérer un pays en crise. On voit bien que les pays qui étaient dans de grandes et profondes crises économiques, ces dernières n’ont été résolues par la démocratie qu’à très long terme. USA 1930-1942, alors que dans les pays de régimes autoritaires, les crises ont été jugulées bien plus rapidement. Allemagne 1933.

  8. Les politiques d’austérité ont contribué à la victoire des nazis en Allemagne, en 1933

    Quatre économistes de l’Université Boccioni (Milan), de Californie à Davis et de Londres ont analysé les données de 1 024 électeurs allemands utiles entre 1930 et 1933, afin de déterminer comment la rigueur imposée par le chancelier Heinrich Brüning – (réduction des dépenses publiques et augmentation de taxes) – a affecté le vote.
    « Selon la manière dont nous mesurons l’austérité et analysés en fonction des choix, chaque écart type de 1% en termes d’austérité accrue est associé à une augmentation de 2% à 5% du vote des nazis », écrivent les auteurs.

    Ils considèrent que la corrélation entre l’austérité et le vote nazi est « statistiquement significative ».
    Extrait de slate.fr

    Le contributeur dit qu’en réalité, en Grèce, l’austérité a profité à l’extrême droite. Mais il dit que ce phénomène ne s’est pas produit en Espagne. Il considère que l’Espagne est un pays démocratique, avec des prisonniers politiques et une justice déiste. L’Espagne vit toujours sous la philosophie fasciste.

    Le phénomène d’austérité, qui fait grandir le nationaliste d’extrême droite, est visible dans tous les pays de l’Union européenne.
    F. B. A.

  9. Après l’Aguerre, ce qui tue a priori les Noirs, c’est d’abord d’autres Noirs que traversent moult guerres cryptotribales protosuprémacistes et, juste après, nombre d’Arabes ou non-Arabes prêts à abattre tout homme ou femme faisant obstacle à l’avènement du califascisme.
    Après la Daechéance, ce qui tue a priori les Arabes, ce sont d’autres Arabes ou non-Arabes qui, agitant tel un phallus d’ogre le bras gauche arraché d’un Dieu qui est le Leurre, vont trancher le destin de tout homme ou femme faisant obstacle au dévalement califataliste.
    Après la Dette, ce qui tue a priori les Juifs, c’est des Arabes ou non-Arabes chargés d’une sale besogne bien antérieure à la création d’un État désimpérialiste au Proche-Orient, laquelle procède au blanchiment de la finance mondiale par l’éviction de son concurrent parasite, à savoir qu’elle n’hésitera pas à s’en prendre à tout homme ou femme faisant obstacle au ravalement califarceur.
    D’un côté, flatter les bas-instincts des peuples hantés par le flash à répétition des invasions barbares. De l’autre, disséminer un ghetto juif virtuel dans les quartiers métanazis des grandes démocraties que se complaît à obscurcir la tolérance des zéros. Entre les deux : les goudronneurs plumés de Manuel Valls.
    Madame Badinter dresse un constat d’échec et de terreur. Nous aurions perdu le combat du voile dans l’espace public. Je la suis sur ce point, mais peut-être pas jusqu’au bout de la ligne de fuite en avant caractérielle et caractéristique d’Europe. Là où de nouveaux intégrismes se lâchent, leurs précurseurs ne tardent pas à refaire surface, et ce bien avant qu’une boursoufflure autoracialisée n’ait risqué de causer le déclin civilisationnel de son propre indigénat. Nous en sommes déjà au stade du déshonneur et de la guerre. Reste maintenant à savoir à quelle Pax Homicidalis nous allons être mangés.