Monsieur Yoweri Kaguta Museveni,

Je viens d’écouter et de réécouter attentivement votre discours prononcé à Arusha, lors du récent Sommet de l’EAC. Le passage sur le Burundi m’a fait sursauter : «Burundi is our member and no action should be taken against it without our input. Our house is our house. Avec l’Union européenne nous avons un souci : l’Union européenne a pris unilatéralement des sanctions contre le Burundi alors que c’est un de nos membres». Etrange : impression d’entendre discourir un revenant, impression d’entendre la voix d’Idi Amin Dada. Même propos, même démagogie nationaliste : «L’Europe ! L’Europe !» L’Europe accusée ! Le Freedom fighter en vous aurait-il finalement était terrassé a posteriori par l’esprit de l’ubuesque maréchal ?

Que Julius Nyerere, auquel vous vous referez souvent, eut été habité par cette curieuse manière de voir le monde qui est la vôtre aujourd’hui, et Idi Amin serait peut-être encore là, trônant à la tête de l’Ouganda. Mais voyez-vous, Nyerere, lui, était un humaniste ; Nyerere n’a pas dit : laissez Idi Amin tranquille ; laissez cette affaire, c’est une histoire entre gens de l’Afrique de l’Est ; Nyerere a dit : non, on ne peut pas accepter que la barbarie s’installe et prospère à nos frontières ; non, nous ne pouvons pas accepter qu’un tyran continue de martyriser, de tuer son propre peuple au grand jour, devant nos yeux, dans l’indifférence générale. Nyerere, lui, s’est levé, il a pris ses responsabilités, rameuté, mobilisé le monde entier, et Idi Amin a été renversé et, dans la foulée, vous êtes monté au pouvoir. Grâce, faut-il le rappeler, à l’aide, ô combien précieuse et déterminante des jeunes exilés Rwandais résidant en Ouganda et au coup de main logistique d’un certain Bagaza, alors aux affaires à Bujumbura.

Depuis cette époque, vous convoquez régulièrement le Mwalimu dans vos longs et interminables discours pour dire en vérité tout à fait l’inverse, de ce qu’aurait dit ou fait Nyerere. Pour rappel, au cas où votre mémoire serait désormais défaillante, Mwalimu fut le chantre des sanctions contre le régime d’apartheid ; Mwalimu fut l’apôtre des sanctions contre le gouvernement de Lagos lors du massacre des Biafrais ; Mwalimu fut le champion de l’adoption des sanctions infligées au Burundi courant années 90…

Mais vous, oui, vous, que racontez-vous aujourd’hui ? Tout le contraire. «Que l’Europe en sanctionnant le Burundi s’est permise de venir punir votre enfant dans votre cours sans que vous en ayez été – au préalable (oh crime de lèse majesté suprême) – informé, consulté. » A vous écouter, il aurait donc fallu, qu’avant que l’Union européenne, conformément à ses propres principes et valeurs, décide de ne plus octroyer l’argent de ses contribuables au régime des tueurs de Bujumbura, aux mains dégoulinantes de sang jusqu’au bout des ongles, il aurait fallu donc, que l’Europe s’empresse de venir vous voir et vous supplie de bien vouloir lui accorder l’autorisation de demeurer fidèle et cohérente avec ses propres valeurs ! Que dire de tels propos ? Qu’ils relèvent, pour reprendre l’expression favorite de Mwalimu, du non-sens ; et, qu’ils ne sont, tout simplement, pas dignes du combattant de la liberté que vous avez été dans votre jeunesse.

Car Monsieur Museveni, on parle au Burundi, et vous le savez très bien, de vies humaines détruites, de jeunes torturés, de femmes violées, de haines et divisions semées. D’horreurs. De crimes contre l’humanité. D’actes de génocide. Tout cela ne représente peut-être pas grand-chose à vos yeux et tout cela ne vous empêchera sans doute pas de roupiller. Là est justement logé le drame de l’Afrique. Là, dans cette insensibilité ; là, dans cette inhumanité ; là, dans ce mépris total de la vie ; là, dans cette banalisation de la violence, de l’écrasement, de la destruction de la vie.

Mon père, le chef Barnabé Ntunguka, descendant de Mbibe, fondateur de l’Unaru (Union nationale africaine du Ruanda-Urundi), fut le premier à dire, la langue énonçant l’égalité de tous devant la loi, le mot Indépendance au Burundi. Et Ntunguka en paya le prix fort : harcèlements, confiscation de ses biens, dépossession de ses terres et troupeaux, emprisonnements multiples… Mais voyez-vous, les colons ne lui ont jamais ôté la vie. Sous Nkurunziza, son sort aurait été tout autre : il aurait été assassiné de suite et jeté quelque part dans une fosse commune. Kenyatta au Kenya, Kenneth Kaunda en Zambie, Mandela en Afrique du Sud, Neto en Angola, Toivo Ya Toivo en Namibie, tous furent aussi emprisonnés par les pouvoirs coloniaux, et tous furent relâchés vivants.

Et que voit-on aujourd’hui sous nos fameux soleils des Indépendances calcinant parfois d’insondables inhumanités? Un triste spectacle : les nouveaux Kenyatta et Kaunda quotidiennement pourchassés, rossés, torturés, assassinés. Que nous-et-il arrivé ? Aurions-nous perdu à ce point le sens du caractère sacré de la vie humaine ? La tragique vérité en face de nous ? Mandela prisonnier dans un certain nombre de pays africains n’aurait pas fait vingt-sept ans de geôle. Il aurait été assassiné dès le premier jour de son arrestation.

Monsieur Museveni, le vieil homme que vous êtes devenu parle aujourd’hui comme parlent tous les tyrans du continent dès lors qu’on leur demande des comptes sur le respect de la vie de leurs concitoyens : «Les droits de l’homme ? La démocratie ? Une affaire des Wazungus ; une affaire de Blancs ! Laissez-nous régler nos propres problèmes.» Désolé, nous ne sommes pas vos «propres problèmes» ; désolé nos vies ne sont pas vos propriétés. Et fatigués vraiment de cet argument servi en sauce gombo : souveraineté nationale, souveraineté nationale, respect de la souveraineté nationale !… Et surtout pas de votre bouche : car dès lors qu’il s’agit d’aller piller les ressources minières de vos voisins, là, la souveraineté nationale devient soudainement une notion rococo, évanouie, évaporée ! Frontières allégrement franchies, pillage sans vergogne. Mais dès lors qu’il s’agit de porter secours aux victimes persécutées, à tous ceux-là menacés dans leur quiétude, dans leur droit à l’existence, dans leurs libertés, là, alors, l’argument clash : la souveraineté nationale levée comme on salue un drapeau !

Monsieur Yoweri Museveni, vous n’avez commis, certes, personnellement, aucune monstruosité au Burundi ; vous n’êtes l’auteur ni de l’assassinant de Nepo et de tous les autres, ni des actes de torture, ni des appels publics au viol des femmes, ni des disparitions, ni des milliers de jeunes jetés dans les geôles, ni des 500 000 réfugiés burundais condamnés à l’exil, mais votre responsabilité est engagée. Largement engagée. Car vous saviez. Vous savez, depuis ce jour du mois de janvier 2015, où Madame Zuma, alors Présidente de la Commission de l’Union africaine, est venue vous voir en urgence à Kampala, pour vous alerter, pour vous supplier d’user de votre influence auprès de votre copain et poulain Nkurunziza afin de prévenir le drame qui se profilait à l’horizon à Bujumbura. Vous n’avez alors ni rien dit de valable, ni rien fait d’utile. Qu’espérez-vous donc ainsi par votre silence, par votre passivité, par votre soutien en définitive au pouvoir de Bujumbura ?

Oui, je sais : il est plus important à vos yeux de sauver la mise aux Béchir et Nkurunziza au nom de l’africanité que de protéger la vie de ces jeunes Africains trop libres et trop incontrôlables à vos yeux. Votre doctrine en la matière n’est-elle d’ailleurs pas largement connue par tous ? Que disiez-vous, en effet, à l’époque où Charles Taylor découpait les Libériens ? Que l’erreur commise par la communauté internationale au Libéria était – non pas d’avoir tardé à secourir les victimes – mais de ne pas avoir bien voulu laisser Charles Taylor gagner clairement et franchement ! Et qu’elle fut dernièrement votre position lorsque le fantasque Yaya Jameh a tenté récemment d’avaler les Gambiens en confisquant la démocratie ? Tel Kadhafi soutenant jusqu’à la dernière minute Idi Amin, vous vous êtes fait l’ultime avocat du tyran de Banjul, au nom du respect de la souveraineté nationale de la Gambie !

Non, Monsieur Museveni, your house is not our house. L’Afrique dont rêvaient les Mwalimu et Mandela n’était pas cette maison tourmentée, torturée, sous la férule des Béchir, des Taylor, des Jameh et des Nkurunziza. L’Afrique pour laquelle ils ont sacrifié leur jeunesse n’était pas cette terre brulée par la terreur, la faim et la soif, rejetant par saisons intermittentes des cadavres dans la poussière rougie de sang par le désir de pouvoir illimité d’hommes faibles se voulant hommes forts. Le soulagement des affligés, la guérison des malades, le retour de ceux qui sont loin, la santé à ceux qui sont proches, l’éducation comme droit universel, la prospérité partagée, la même loi pour tous, la joie et la liberté, la démocratie florissante, l’égalité des hommes et des femmes, tels étaient les contours de leur rêve.

Alors Not yet Uhuru ? Vraie question posée par Odinga qui est toujours d’actualité. Car comment pouvons-nous être libres lorsque dirigés par des hommes aussi désastreux, des hommes aux cœurs ainsi sans pitié, sans compassion, guidés par le seul désir de posséder, des petits gars aux cœurs froids, inanimés qui redoutent la liberté et qui ne sont porteurs que d’un seul et unique projet politique : mourir au pouvoir ?

Ce n’est point à vous que je l’apprendrai : aucune tyrannie n’est éternelle ; on peut enfermer, écraser un cerveau libre, l’écrabouiller mais nul ne peut anéantir totalement la pensée lorsqu’elle est habitée par le désir de liberté. Oui, si longue que soit la nuit, le jour finit toujours par se pointer à l’horizon. Une certitude : nous n’accepterons pas, nous n’accepterons jamais que la démocratie soit ainsi démolie au Burundi et nos vies malmenées, piétinées, écrasées. Et aucun doute: nous trouverons en nous-mêmes la force de demeurer debout, et nous nous sauverons un jour par nous-mêmes. Et instruits de votre parcours, nous tâcherons de ne pas devenir les prochains Freedoms fighters accrochés au pouvoir, enfermés dans la tour d’ivoire de leurs exploits passés et finissant leur règne en foulant allègrement aux pieds, toute conscience abdiquée, les valeurs fondatrices des combats de leurs années de jeunesse.

 

 

3 Commentaires

  1. Je suis ému par les paroles sage du Grand Gakunzi. Je sais que ça ne sonne pas bon de le dire mais pour des gens qui ne veulent pas se réveiller et qui continuent à vivre le siècle passé. Nous leur disons de se réveiller parce que l’ère de l’esclavage et de l’exploitation est révolue. Nous vivons l’époque des libertés où on ne peut plus empêcher les victimes de crier au secours. Si les plus forts veulent continuer à piétiner leur peuple, qu’ils inventent d’autres façons de le faire moins atroces. Mais là aussi qu’ils ne se fassent des « dieux » parce le peuple aura toujours la force et l’intelligence de « Dieu ».