Au début, le reporter ne comprit rien. Désireux de voir de plus près celui que tout le monde – à commencer par ses soutiens – appelait le Kennedy français, et s’attendant donc au vaste barnum, de chamade et d’importance, entourant un candidat qu’on disait, au choix, brillant, charismatique, hors-du-commun, prêt même à se laisser écraser, avec goguenardise, par le spectacle de puissance et de gloire qui, dans les colonnes des journaux, semblait envelopper l’ancien jeune ministre, le reporter se retrouvait dans un sordide centre des congrès, au Mans, trois termes lexicaux assez synonymes pour signifier la consternation et la déréliction. C’était à l’heure du déjeuner, et face à lui, offerts à la circonspection générale, deux hommes cravatés, l’un, sévère mais juste, l’attaché de presse, s’occupait de régenter les journalistes qui maugréaient, de sarcasmes en sarcasmes. L’autre, plus effacé, souriait avec un appui presque suspect, se réchauffant doucement les poignets, plaisantant sur le froid, terriblement virulent, qui s’étendait de l’atmosphère à l’esprit des gens de la presse. Les deux hommes étaient assis sur des chaises en plastique, dans ce hall tout à fait nu, derrière une petite table de drap vêtue, comme on en met pour les kermesses, et leurs deux visages s’incrustaient dans un plan plus large, où l’oeil passait indifféremment d’Emmanuel Macron au clignotement fascinant et rouge des extincteurs, des gobelets en plastique au sourcil, froncé, de l’attaché de presse. Les journalistes étaient peu nombreux – une vingtaine – et comme ils avaient l’horrible pressentiment que la star du jour ne dirait rien qui pourrait les intéresser, le genre de petites phrases ou d’ironie grandiloquente qui font l’ouverture ou les en-cas des vingt heures, comme ils avaient été cruellement déçus par le meeting de Strasbourg où Macron n’avait rien dit de politique, ils figuraient un peuple menaçant et sardonique prêt à dévorer le jeune leader, qui continuait de sourire. Pire, les journalistes devinrent à présent furieux quand l’attaché de presse révéla, presque à regret mais avec l’auguste assurance d’un homme qui fait son devoir, la terrible nouvelle : il n’y aurait pas de photos, ou d’images, durant cette rencontre informelle – et tous les journalistes, révoltés, s’excitèrent tout à fait, passant de la négociation subtile à l’indignation pure, exactement comme parlementent puis explosent des enfants privés de télévision un samedi soir. Face à eux, les deux hommes, souriants, en cravate, démunis dans l’immensité du hall, ressemblaient de plus en plus à un jury, décimé, d’un concours provincial de patinage artistique.

 

Macron était arrivé sans qu’on ne l’aperçoive, et son corps menu se déplaçait dans l’air sans faire bouger le moindre atome d’engouement, dans le froid, et le mécontentement des journalistes. A côté de son cerbère à reporters, il persévérait, enjoué, dans un sourire constant, comme sourient les gens mal à l’aise, compensant leur propre angoisse par une assurance et une répétition hors de mesure, son sourire de loup semblant vouloir distribuer des litres de valium et de chaleur à quiconque croisait son regard. Il devenait hilare, plissant ses yeux arqués, à la moindre occasion, pour signifier comme il était formidable d’être réunis, tous ensemble, à 13h27 au Mans un mardi. C’était globalement réussi, il paraissait détendu, mais avec un surcroît de détente, qui, parce qu’inhabituel, paraissait le masque d’un creux, d’un défaut. Vint son tour : il exposa, sans notes, cherchant jusqu’au fin fond des pupilles, dans l’assistance, d’introuvables bouées pour vaincre ce qui – phénomène incroyable et extraordinaire – ressemblait à une immense timidité. Les journalistes, eux, étaient maussades, et de plus en plus furieux, puisque du speech informel, ils ne percevaient que des propositions atroces, à leurs yeux, terriblement conceptuelles, impossibles à caser dans leur géographie mentale selon une abscisse « pour ou contre Hollande », ou une ordonnée « pour ou contre Juppé », flottant dans l’axe normal du commentaire, et qui parlaient d’éducation, de logement, de travail, toutes ces choses dont on se souvenait avoir entendu qu’elles avaient existé, mais à un rang très secondaire, dans les préoccupations ordinaires de la vie politique. Comme si Macron, venant leur parler d’un match de football, avait discuté taille du ballon et hauteur de la pelouse. Pour les journalistes, c’était rajouter l’injure au mépris. Lui est assez bon – éloquent – mais son discours en cinq points (logement, santé, éducation, travail, sécurité) a la sophistication glacée, le verbiage fascinant et la virtuosité ouatée d’un déroulé publicitaire. Il est assez bon – mais comme un promoteur immobilier vend un lotissement neuf, oui, les deux hommes avaient l’air de fondés de pouvoir d’un trust immobilier, dans ce hangar vide et glacé, face à une assemblée de copropriétaires, les noyant de promesses et de philosophie globale, quand eux voudraient à tout prix discuter traites, emplacement des bosquets, frais de gardiennage. Macron, toujours aussi discret, bien élevé, persévérait dans son discours : avec lui, enfin : avec eux, les marcheurs, la France serait différente. Nous basculerions dans une « société du choix » – où l’Etat jacobin deviendrait soudain substance labile, forme mouvante et spécifique, qui reconnaîtrait les individus et non plus la  masse, ferait, bénévolent, des exceptions et des facilités. L’Etat massif, l’Etat mammouth des trente glorieuses est mort, disait-il, car le système a avancé moins vite que la population, dans ses usages, ses pratiques, ses espoirs. Tout cela était effroyablement appétissant en même temps que nuageux, entrecoupé de digressions sur le télétravail, les médecins dans les écoles, Macron se perd parfois – quel autre politique pourrait, devant une salle hostile, avancer benoîtement des subtilités sur l’ANDAM et les déboires mal connus du CM2 ? Toujours aussi appliqué, mais de moins en moins indifférent à la menace bardée de carnets de notes et de trajets en TGV à des heures impossibles, le peuple des journalistes, qui plus est saisi au moment du déjeuner, d’où une nervosité qui le fait jouer avec la bouteille d’eau, réajuster sa montre, et continuer de sourire.

 

Mais la tension, sourde et sarcastique, de la presse ne peut plus se contenir. Les journalistes sont hagards, grommèlent, narquois et amers, puis, se ressaisissant, furibonds. Alors, dans ce monde qu’ils ne comprennent pas, face à cet homme charmant et poli qui semble outrageusement content de faire scandale, dans leur chute vertigineuse dans un gouffre noir et insondable qu’est le monde de Macron, ils s’accrochent à la première corniche, à la première prise. Comme ils ont entendu « travail », un micro-processeur de leur système intellectuel, surnageant dans le brouillard voluptueux rempli de « réformes occupationnelles » et de « dyspraxies », héros solitaire d’une architecture mentale perdue et comme noyée, ce petit synapse du cerveau journalistique lance, dans un réflexe de survie : « et la loi El-Khomri, alors ? ». A ce point de la rencontre informelle, le temps des questions-réponses, Macron change un peu. Son discours émollient est attaqué : il va devoir jouer au tennis, et renvoyer les balles. C’est un très bon joueur, il explique, démine. Mais, comme la presse redouble, angoissée de trouver une lueur dans cette forêt aux chemins bouchés qu’est le macronisme, et commence à faire des coups plus vicieux (« mais le CDI alors ? Et les accords d’entreprise ? » lance un indigné du corps journalistique, soutenu bruyamment par ses confrères, comme réveillés par cette nouvelle occurrence d’une parole humaine et audible), Macron doit muscler son service, travailler son revers. Il est indiscutablement meilleur qu’eux tous réunis, en dialectique et en rhétorique, mais il sent parfaitement la tension, qui le gagne, il s’anime presque à regret, serre les mâchoires, réajuste plus violemment son alliance. Au début, son indignation est parfaitement désuète, il gagne les points mais avec des beaux gestes, comme s’il tenait la raquette avec des gants blancs. « On se moque du monde, avec cette prétendue solidarité, comment, diable, pouvez vous… ». Comment diable, c’est le summum de la perversité macronienne. Acculé en fond de cours, pourtant, il a plus de rage, soudain, il est lui-même parfaitement indigné, parvient à revenir vers le filet, et lâche des coups sarcastiques, des petites balles à la volée qui tombent pile là où on ne peut pas les atteindre. Il arrive même à être drôle : « – Mais toutes ces réformes, je veux dire, Monsieur Macron, tout de même, la CGT, je veux dire, c’est impossible, non ? –  Ecoutez, je crois en l’intelligence collective, et si on vous suit, dans ce cas-là, on va tous se coucher. Ou alors on fait des référendums chaque semaine, je connais le truc ». Et enfin, une sorte d’osmose s’installe. La communication, grésillante, comme dans un combiné défectueux, s’est rétablie, la cordialité antagoniste et l’humour font leur œuvre. Les journalistes sont rassasiés, ils ont su décrypter la phrase : se coucher égale à Hollande, référendum égale à Sarkozy. Macron, lui, est sorti de lui-même. Il les a eus à la technique, parce que personne ne peut plus renvoyer les balles quand il dégaine, un peu sadique, l’historique complet des rapports parlementaires, des commissions gouvernementales et autres instances de réflexion sur le droit du travail. Mais là où tout autre aurait plié le match, avec plus de méchanceté, de mépris, de morgue distillée, des coups massifs sur la terre battue, lui est très vite redevenu impeccablement poli, serviable, timide. C’est ce qui frappe le reporter dans ce hangar improbable : comme Macron paraît frêle, fragile. Et comme émane de lui un sentiment, inattendu, mélange réversible de douceur et d’indignation, religieuses et incantatoires, bienveillantes et prophétiques, typiquement chrétiennes. C’est un sentiment, une intuition pratique, qui ne quittera pas le reporter de la journée.

 

Car Emmanuel Macron n’est pas un homme politique. Au milieu d’une tablée de jeunes mères conciliant travail et famille, il ne s’impose pas – continue son grand rire de timide, se ratatine un peu, lance, se rendant compte lui-même de son malaise, des clins d’oeil et des rires un peu trop tonitruants, arborant la mine d’un pilote venant de gagner un grand prix, quand ce n’était qu’un banal échange, pas même drôle, avec une cheffe d’entreprise. Sans réel charisme, sa présence n’est en rien objectivement sidérante : il est attentif, il enregistre les douleurs et embrase en quelques phrases d’un ton gauche sa vision du futur. Avec ces femmes assemblées, il ne figure pas un quelconque leader, il est d’une retenue chaleureuse. C’est un voisin compatissant et exemplaire, venu écouter les pleurs de ses amies. James Stewart – désuet, élégant, empathique – partageant une tarte aux pommes dans une cuisine pavillonnaire. Emmanuel Macron balance entre la face et l’envers de cette note chrétienne, de cette religiosité douce et prophétique, qui émane de tout son corps. Parmi le peuple, il est amour, charité, grande pitié – il l’est sincèrement, il l’est presque malgré lui, objet d’une vénération sensationnelle. Tout à l’heure, il sera Savonarole-imprécateur, oracle de la justice, pourfendeur des faux prophètes. Pour l’instant, le voilà Saint-Jean-Bouche-d’Or. Il compatit – non, il n’a pas besoin de compatir, on sait qu’il compatit. Ses facultés intellectuelles, mythifiées par les médias, c’est-à-dire devenues une mythologie, assurent d’une herméneutique totale du réel : il comprend tout, il peut tout expliquer. Et en même temps, il n’est pas comme les autres, il n’a aucune autorité naturelle, aucun attribut de puissance politique, il est, comme le premier des évêques, primus inter pares. Le peuple macronien le reconnaît comme le premier d’entre eux, mais au-dessus, pas à côté, en avant, en marche (comme Saint-Paul). C’est ce qu’il inspire aux gens qui le rencontrent, rarement impressionnés – un Macron anonyme ne ferait se retourner personne dans la rue – mais toujours séduits. Il n’intimide pas, il se recroqueville dans un personnage discret et attachant, comme un hérisson. Ils ne l’admirent pas – ils y croient. Les macronistes y croient, en dépit de charisme, en dépit de cette présence presque verlainienne, fugace, comme lors du meeting, où la scène paraît trop grande pour lui. Ils y croient peut-être même grâce à sa fragilité, l’homme qui parle, se disent-ils, est la preuve charnelle d’une certaine incarnation : sur ce costume ajusté et ces mines timides, parfois lasses, presqu’apeurées de tant d’attente, s’est déposée une espérance énorme. De sa bouche tombent pourtant des mots lourds, qui sont la vérité. Et de cet homme qui va tel un chiasme vivant, de ces discours qui paraissent si neufs, ils attendent un miracle. C’est ce qu’ils se demandent, les plus fervents : « Va-t-il aller au bout ? Ce serait un miracle ». Un miracle dans les deux sens du mot : improbable et rédempteur.

 

Le meeting de Macron est tout empreint de cette religiosité. De façon superficielle, dans son dispositif. On ose à peine faire parler les cadors, les vieux sénateurs-maires socialistes, reniflant là une opportunité, comme une vitre qu’on pourrait briser avec le marteau Macron dans un train devenu fou – quelque chose qui pourrait les déposer à quai, lors d’une prochaine élection. Ni même Christophe Castaner, député PS, directeur de campagne officieux, physique taciturne et las de cow-boy camarguais, Russel Crowe dans un film sur le Watergate. Non, ceux qui parlent sont des fidèles, des jeunes Marcheurs, car la hiérarchie ici est aussi plate que parmi les douze apôtres. Et, quand il prend enfin la parole, ce qu’on entend dans la bouche d’Emmanuel Macron, ce n’est pas de la politique, c’est de la morale. Ce qu’il dit en substance, c’est qu’il est le premier des pécheurs. La droite et la gauche, unies dans un « nous » qu’il assène, oui, nous, c’est-à-dire lui au premier chef, commettent depuis trente ans le même péché : mentir avec cynisme, protéger avec malveillance, empiler les lois et les normes sur un domaine rétréci comme une peau de chagrin, voulant faire entrer la société – libre, changeante, nouvelle – dans un vieux lit de Procuste. La dépense publique et l’empilement des normes, ce sont les deux mauvaises idoles de la vieille classe politique. Il propose à la salle une rédemption : abdiquer ces bienfaits matériels qui corrompent, vers un nouveau salut – et la salle applaudit à tout rompre. Chacun est heureux d’expier son accointance passée avec les cyniques, les mauvais, le péché à visage politique, les plaisirs charnels de la subvention et des allocations. Macron a, avec la vieille classe politique ou le système des Trente Glorieuses, le même rapport que le Nouveau Testament a avec l’Ancien : du respect, après tout l’Exode se trouve dans le canon, mais un regard impitoyable. Un monde nouveau commence – et personne ne le comprend, personne ne l’a compris sur les bancs des ministères ou de l’opposition, personne sauf lui, l’homme d’après l’épiphanie. Les marchands du Temple, les archaïques prophètes de la vieille politique, manipulent un discours qui n’a plus de lien avec le réel. Et, de cette philosophie chrétienne presque assumée, de ce besoin moral plus que politique, de cette « hygiène » qu’il entend imposer à tous, au système, mais d’abord à lui et à vous, sortira le règne des fins, le règne de la justice, de l’égalité, de la morale publique. Il promet trois choses : la fin de l’inutilité, de l’injustice, de l’empêchement. Réaliser sa vie dans l’harmonie, se trouver singulier et moral, avoir une personnalité. Le salut chrétien raconté par un ancien ministre de l’Economie. Que ce soit sur la santé ou l’école, il le martèle : les autres débattent éternellement des mêmes questions, les 35 heures depuis dix-sept ans, alors que le monde a radicalement changé, au rythme de la société. Emmanuel Macron est l’annonciateur du monde nouveau, il a rompu avec sa tribu, et lance des oracles dans le désert. C’est pour cela que les journalistes ne le comprennent pas : sa politique n’obéit pas aux lois normales. Il est dans un autre ordre. Il figure, ou surjoue, la posture du nouveau prophète. De là ce discours : d’une révolutionnaire liberté, et d’une profonde virtualité. A la fois radicalement neuf et si peu opératoire. Emmanuel Macron ne se soucie pas de politique, ou feint de ne pas le faire, car c’est l’art du possible, or il est le prophète de quelque chose de plus grand : l’avènement d’un monde nouveau. Et, son discours oscille toujours logiquement, comme le texte chrétien, entre deux pôles entre lesquels, précisément, se situe d’ordinaire le discours politique : d’un côté le métaphysique (« redonner de l’épaisseur à nos vies ») et de l’autre le trivial (« les médecins dans les écoles… le permis de conduire… les formations en entreprise »). Il y a une disjonction, un trou noir dans cette pensée, qui est l’articulation entre l’individu local et le ciel des nuées. Le grand absent, ce terme médian entre les deux pôles, s’appelle la société, par essence, l’espace des compromis et des compromissions, mais qui l’a noté ? Le discours de Macron est tout entier une morale qui ne se soucie pas des circonstances, à la fois céleste et vernaculaire. Comme le Dieu de la Bible navigue indifféremment entre la Genèse et les injonctions alimentaires.

 

Aussi, ce qui paraît neuf est en même temps incroyablement gênant. Sous la religiosité, se dessine une architecture intellectuelle étrange, d’Aristote (l’équitable plutôt que l’égal, ne pas donner la même chose au pleutre et au courageux) à Schumpeter (la destruction créatrice) en passant par ce que dit la sociologie française depuis quarante ans (« la société bloquée ») voire deux siècles (Tocqueville et la société d’ordres, mal sortie de la monarchie). Et, en discours, Macron n’est pas toujours bon, sans métier ni puissance oratoire, il emporte son public sur le tard, par son messianisme. Pire, il parle trop, écouter son homélie demande une certaine dose de courage (deux heures de temps, ce qui découragerait même un sénateur libéral, ce qui ferait bailler même Gérard Collomb. Arpentant, avec une solitude qui semble lui peser, l’estrade, il ne fait pas d’effet de manches, s’appesantit sur des détails, dans un lyrisme répétitif. Le macronisme est un catéchisme. De manière significative, quand il en vient à la lutte contre le terrorisme, à côté des mesures spéciales et des grands principes, son principal objet, c’est le passage d’un « Etat d’urgence à un société de la vigilance ». Autrement dit, l’intérieur des âmes, plutôt que le ministère de l’intérieur. Une attention commune, une attitude. Ne cherchez pas un catalogue de réformes : la solution, c’est la Réforme, réformer son âme, au plan individuel et collectif, reconfigurer nos attentes et nos pratiques. On dit qu’il ne publiera jamais de programme précis, mais seulement quelques grands principes. Ce seront les Dix Commandements. Le « tu ne tueras point » remplacé par « tu n’attendras pas tout de l’Etat ». S’ajuste à cette parole une forme plus sympathique de religiosité : la compassion pour les plus faibles. Héritier, au fond, d’une démocratie-chrétienne italienne ou d’un libéralisme protestant, son protocole compassionnel est souvent touchant, avec la réserve qu’inspirent les bons sentiments. Si Macron est loin du « chas d’une aiguille » de la Bible, la haine des riches, c’est qu’il acquiesce tout entier aux fins, mais n’est pas d’accord sur les moyens pour parvenir : c’est par l’argent que la fraternité des hommes sera assurée. L’argent et la liberté. On peut y voir une sincérité, entérinée par sa maladresse, sa gaucherie, ou bien y retrouver, comme chez les vieux libéraux, façon Adam Smith, cette forme pratique de résoudre l’équation tragique : comment des sujets égoïstes font-ils une société juste ? La charité, c’est l’éternelle réponse.

 

Le macronisme est une foi. C’est une foi, vous l’avez, ou non. Une certaine jeunesse l’a. Parce que la jeunesse est l’âge de la morale, du démon de l’absolu. Changer l’ordre du monde, plutôt que ses désirs. Elle est révoltée, et cherche la justice, la vérité, l’idéalisme. C’est pour cela que Macron paraît si jeune, plus qu’il ne l’est réellement. Sa parole nait d’une nécessité intérieure qui le conduit alternativement de l’audace à la naïveté. Il parle en sacrilège, avec une liberté effarante, et un degré roboratif de généralités morales. Il affiche l’intransigeance de l’adolescence. Le Jaromil de Kundera, candidat à la présidentielle. C’est une foi qu’il inspire : une éternelle attente, qu’il se déclare, qu’il y aille, qu’il gagne – avec le même degré, chez ses supporters, d’incrédulité et d’espérance que chez les chaisières, dans les cathédrales.

 

Le reporter est reparti désemparé du Mans. Il s’attendait à trouver un prodige enivré de sa vanité. Il a eu l’impression d’avoir affaire à un fou. C’est l’hypothèse la plus élégante, si l’on lève l’hypothèque de la sincérité : est-il un très bon comédien ou un réel martyr ? On pourrait aussi rappeler qu’avant sa parousie, Macron était le premier des pharisiens. La haine de soi est aussi un moyen d’arriver à Dieu. Et, si l’ambition est plus noble, réformer les cœurs et le monde, elle n’en est pas moins tout aussi mégalomane (du reste, qui, depuis Jésus Christ, et jusqu’à En Marche, avait osé faire une telle fortune de ses deux seules initiales?). Mais Macron est intéressant sur ce point unique et neuf. Le parallèle avec Kennedy, monté de façon grotesque par son entourage, est sans aucun doute absurde, comme comparer un lézard et un alligator. Mais Macron, avec habileté ou sincérité, impossible à dire, s’appuie sur le même ressort : le rêve de morale en politique. Le messianisme. C’est le pari d’En Marche. Dans un vieux pays sceptique, laïque et grognon, c’est un pari qu’il est forcé, quoique dommage, de trouver aberrant. Mais après tout, ne vit-on pas une époque aberrante ?

2 Commentaires

  1. Avis partagé sur l’interprétation basée sur la foi.

    J’ai l’impression que l’auteur a voulu se faire plaisir et a laissé sa prose le submerger. Mais une communication devrait être faite pour le lecteur et pas seulement pour se faire plaisir 😉

    A ce propos quelques blancs, sauts de lignes et des phrases plus courtes rendraient le texte plus agréable à lire.

    Néanmoins il y a quelques pépites dans ce texte. Bravo

  2. Article très intéressant, bravo, mais qui s’emballe un peu et nous sort deux ou trois trucs un peu délirants.
    Par exemple :
    >> Le macronisme est une foi. C’est une foi, vous l’avez, ou non. La jeunesse l’a. Parce que la jeunesse est l’âge de la morale, du démon de l’absolu.

    Les premiers à voter pour Macron sont … les vieux. Plusieurs sondages le montrent. Effectivement ce sont principalement les jeunes qui s’engagent.
    Une des choses qui plait le plus chez Macron est qu’il n’est pas dogmatique, il veut l’efficacité, il est pragmatique, il a quasiment une démarche de « chef d’entreprise ». C’est pas très religieux tout ça.

    Je suis bien d’accord avec son « aura chrétien », son aura d’enfant de cœur. Mais l’analyser que sous cet angle-là est une erreur à mon avis.