Insinuations, propos déplacés, méprisants, plaisanteries sexistes, familiarités, allusions lourdes, graveleuses, regards insistants, visqueux, intrusion dans la vie privée, gestes collants, dégradants, humiliants… Harcèlement sexuel : des mots, des gestes, des comportements qui blessent, agressent et infériorisent les femmes. Que signifie, en effet, en réalité, le harceleur à sa victime : qu’elle n’existe pas, que son désir ne compte pas, que son corps ne lui appartient pas, que ne vaut, que ne compte que la seule volonté de l’homme. Terrible, violente négation du désir de l’autre, le harcèlement sexuel ré-institue, réactualise ainsi le droit aboli du maître d’user et abuser du corps de ses subordonnées ; il relève de ce fait du domaine de la brutalisation psychique, physique, de la torture feutrée ; une torture qui perdure dans nos sociétés car couverte le plus souvent par la loi du silence.
Silence d’abord des victimes, elles-mêmes, interloquées, interdites, sidérées, enfermées dans un cauchemar insoutenable sans issue ; des victimes proies désorientées, déstabilisées par l’agression, paralysées par la peur de ne pas être crues, la peur d’être mal vues, traînées dans la boue, marginalisées ; des victimes tétanisées par la crainte des représailles. Silence, silence par trouille d’être traitée de menteuse, d’allumeuse, d’aguicheuse ; silence, la boule au ventre, silence, motus et bouche cousue, car il s’agit, souvent, de ne pas perdre son job, après avoir perdu une part de son insouciance et ramassé sa dignité en lambeaux. Peur totale, trouille, devant ces avances dégradantes qui, refusées, rejetées, annoncent déjà, au tournant, la démolition, les humiliations publiques, le mépris, l’abaissement, le rabaissement, la mise au placard, la mise à la porte. Oui, peur d’être jetées sans sommation, sans ménagement, jetées du jour au lendemain dehors pour avoir osé dire non, pour avoir osé dénoncer l’agression verbale ou physique subie ! Le comble ! Alors, devant une telle perspective, le silence et les sourires forcées… Il s’agit de faire bonne figure : même vidée, même tremblante, la trouille de tout, la trouille de rien, la trouille de tous désormais collée à la peau, la victime ravale sa douleur, ravale sa colère, se tait et essaie d’oublier. Dur, dur d’être une femme parfois ; dur, dur mais il faut vivre, continuer de vivre. Alors le harcèlement ? La voix et les larmes silencieuses, on essaie de faire avec ; il faut faire bonne figure ; il faut être robuste, survivre, parer, dévier les coups, avancer, continuer. Faut paraître.
Silence des victimes, silence des témoins aussi ; silence de tous ceux qui savent, qui voient et qui regardent ailleurs, qui s’emploient à dédramatiser, à minimiser. Silence de tous ceux-là qui, parfois, vont jusqu’à rallier le camp du harceleur, évoquant devant les machines à café « la collègue avenante qui couche », et glosant entre deux rires gras, sur les collègues femmes sexy ou pas assez sexy et sur la « drague au bureau », cette sempiternelle tradition paillarde ! « Que voulez-vous : le harcèlement ? Une banale tradition de chez-nous, une banale gauloiserie ! » Tout serait ainsi permis aux hommes, au nom des mœurs du terroir, au nom d’une coutume qui serait par essence polissonne, grivoise, presque drôle : l’homme veut, l’homme désire, l’homme dispose et la femme doit se plier. L’agression, l’abus de pouvoir accepté, proclamé comme relation naturelle ; et la femme, les femmes renvoyées à leurs « qualités naturelles », renvoyées à leurs corps, réduites à leur sexualité, sexualité évidement à la disposition des hommes.
Le harcèlement sexuel est une affreuse, cruelle, abjecte, terrifiante féodalité qui souille, salit, marque au fer rouge le corps et l’âme des victimes. Et les commotions, les blessures, les mortifications ainsi infligées sont parfois incommensurables : anxiété, isolement, solitude, auto-dépréciation et, souvent, naissance d’un sentiment de honte, naissance de ce sentiment, la honte, que Sartre qualifiait, autrefois, d’hémorragie de l’âme. Le corps ne respire plus, l’esprit est étranglé et la voix, la voix ne parle plus. Douleur muette.
Silence des victimes, silence des témoins. Des témoins, des proches qui savent. On sait toujours. On savait manifestement dans le cas de l’élu écologiste. Beaucoup de monde savait. On en parlait : on savait les paroles, les gestes, les lieux, les circonstances, les messages gras, la bassesse, la violence. On savait. On savait également dans le cas de ce baron de la vie locale, un temps membre d’un gouvernement. Qui parmi ses proches collaborateurs ; qui parmi ses collègues n’était pas au courant de ses désormais tristement célèbres séances de réflexologie plantaire. Pression soutenue ? avec le bout des doigts, sur des zones ou des points réflexes situés sur les pieds ? Pression pour soulager les maux de tête, atténuer le mal de dos, soigner le stress, guérir les troubles respiratoires ? Pression sur les pieds pour procurer le bien-être ? Que nenni. Le baron, l’élu local, se saisissait des pieds de ses employées : séance massage. Massages des pieds, puis des jambes, et la main qui glisse, qui remonte le long des jambes des victimes. On savait. Notre élu était depuis bien longtemps d’ailleurs affublé par ses collègues du surnom – prononcé entre fous rires étouffés – de « masseur chinois ». Alors pourquoi ce silence qui aura perduré de nombreuses années ? Parce que le monde politique serait encore ce dernier bastion du sexisme décomplexé ? Parce que le monde politique serait ce corps sectaire, masculin, machiste, misogyne peuplé d’hommes habités par le rêve de toute-puissance, détraqués par cette folle volonté tyrannique de domination absolue sur tous ? Parce que l’univers politique serait ce champ phallocrate fermé, clos où tout est permis aux hommes ? Tout y compris l’assujettissement, l’appropriation, la possession à volonté des femmes, des corps des femmes ?
Que l’on ne s’y trompe pas : le harcèlement sexuel est loin d’être une pathologie confinée à la sombre spatialité underground, libidineuse du monde politique. Que cet univers politique soit lourdement atteint de sexisme, dominé par les codes masculins ne fait aucun doute. Le mal est néanmoins, hélas, plus général ; le mal est massif ; le machisme, le sexisme, le harcèlement sexuel est sociétal ; trop de harceleurs à la carrière sans limite continuent d’agresser, de casser, d’abîmer, de terroriser, de sévir dans d’autres espaces, dans d’autres milieux, et cela en toute impunité.
Tenez par exemple ce chef de tribu qui règne sur une maison d’édition parisienne connue et ayant pignon sur rue dans le 5ème arrondissement ; une maison qui se dit anti-coloniale. Plusieurs rumeurs depuis des années, plusieurs histoires sordides entendues sur cet éditeur aux mains plus que baladeuses. Qu’une femme se retrouve par malheur, seule à seule avec ce lamentable chasseur, au détour d’un couloir, d’un escalier ou dans un lieu fermé et c’est parti pour des propos dégradants, intrusifs, des propositions indécentes et des mains très entreprenantes. Combien d’abus, combien d’employées, combien de stagiaires du collège, de femmes de ménages usées, exténuées, harcelées dans le silence ? Combien de victimes malmenées, intimidées et forcées de se taire ? Combien d’affaires classées sans suite jusqu’à ce jour où l’inspection du travail, suite à une énième plainte, décide enfin d’ouvrir une enquête. Panique à bord alors au siège de la Maison d’Edition. Négociation entre le harceleur et sa victime, d’origine allemande. Transaction, accommodement financier contre abandon des accusations. Et le chèque de dédommagement aussitôt signé, que fait notre prédateur ? Il s’empresse de suite, une bouteille de vin rouge à la main, de se poser en pauvre victime : « Harcèlement sexuel ! Tout de suite des grands mots ! Cette pouffiasse vient de me dépouiller de mon argent juste pour une main sur les fesses, juste pour une petite marque d’intérêt. » Avant d’ajouter : « Et quoi donc ? Mes mains sur ses fesses ? Et sa mère ? Sa mère ne lui passait pas régulièrement les mains sur les fesses ? Et la séduction à la française ! Où va-t-on si on ne peut même plus oser draguer dans ce pays ? Et de toutes les façons, je suis libre de faire ce que je veux, tout ce que je veux. » Aucun remords, aucune remise en cause personnelle, aucune prise de conscience du mal infligé ; tout le contraire : le harcèlement sexuel affirmé, revendiqué comme tradition paillarde française, lamentable justification nationaliste d’une honteuse violence.
La question qui nous est posée est limpide : comment lutter ? Comment faire bouger, évoluer notre société ? La loi évidement, d’abord. Appliquer la loi. Et ici se pose une difficulté majeure, parfois insurmontable : les preuves matérielles ; la justice n’accordant foi aux plaignantes que si production de preuves tangibles permettant de confirmer leurs propos. Mais comment démontrer, preuves à l’appui, les mouvements furtifs des mains posées sur les fesses, les caresses non-désirées dans les cheveux, les regards insistants, appuyés, graveleux, déshabillant, les embrassades envahissants et si près de la bouche, les remarques sexistes, les propos dévalorisants, insultants, les propositions indécentes murmurées dans le huis clos d’un bureau aux portes bloquées ? La difficulté judiciaire se situe là : le harcèlement sexuel est un délit, un crime sans balistiques qui laisse rarement des traces ADN et qui se déroule souvent hors témoins. Résultat : rareté des plaintes, rareté des peines, rareté des condamnations. Impunité juridique et sociale des harceleurs.
Appliquer la loi, toute la loi, être impitoyable avec les harceleurs, mais également œuvrer à faire évoluer les mentalités. Car qu’est-ce le harcèlement sexuel sinon un produit du sexisme dominant, ambiant ? D’où l’importance de l’éducation. Eduquer, éduquer, éduquer. Eduquer pour désagréger ces multiples stéréotypes sexistes, insidieux, ordinaires, quotidiens. Il ne s’agit point ici de prôner le retour à un quelconque ordre moral rétrograde, nullement question de promouvoir un moralisme sexuel d’un autre temps ou une contre-révolution sexuelle répressive censurant la sexualité. Il s’agit tout simplement de rappeler que la séduction n’est séduction que lorsqu’elle est mouvement d’échanges et de promesses entre deux personnes qui se parlent, se regardent, se répondent, en toutes libertés et en capacité égale de dire oui ou non. Il s’agit de combattre la négation de l’expression du désir de la femme. Il s’agit tout simplement de réaffirmer l’égalité hommes-femmes.
Impunité chez Baupin, DSK (coupable d’agression sexuelle mais prescrit, jamais jugé pour Dialo car accord privé), Polanski (passé aux aveux) etc. Dire qu’on trouve des ordures au carré pour défendre ces ordures de premier degré?!
Il faut désormais dire les choses,dsk,polanski ont eu ,en plus ,le tort d être juifs!
L’anti judaisme est bien plus présent et plus insidieux en france que certains ne le croient.
Faites un tour chez les lepéniste et dans les reunions de certains élus de la droite française et vous comprendrez combien ce « racisme anti juifs « y est répandu,hélas!
Il y a dans le monde politique une tolérance inacceptable envers les actes de harcèlement sexuel. Ce sont ces gens qui sont censés représenter la population ? C’est immonde…
Entre Sapin et Baupin, quelle triste actualité pour nos politiques…
Il y a un véritable sentiment d’impunité chez les politiques concernant le harcèlement sexuel. La position de pouvoir monte à la tête de certains, visiblement, et ils se sentent invincibles. Je compatis avec les collaboratrices qui doivent supporter ces monstres qui se croient au-dessus de toute morale.
Reflet d’une société où le sexisme et le patriarcat restent de mise. Dans le milieu politique encore plus qu’ailleurs. L’égalité homme-femme, ce n’est pas pour tout de suite malheureusement. En tout cas, pas tant que certains tristes personnages se sentent encouragés à commettre de tels agissements. Ces femmes doivent se mobiliser et continuer à dénoncer tout acte de ce genre.
Merci de relayer leur parole avec de si beaux mots.