Lors d’une rencontre entre une délégation de Français d’origine arménienne et Nicolas Sarkozy le samedi 30 avril 2011 à l’Elysée, l’ancien chef de l’État, qui se voyait reproché de n’avoir pas tenu sa promesse de légiférer contre le négationnisme du génocide de 1915, avait répondu ceci : « Avec les socialistes je ne sais pas si vous aurez une loi contre le négationnisme, mais une chose est sûre : vous aurez la Turquie dans l’Europe ». Et de fait, un an après, la « gauche » arrivée au pouvoir relançait le processus d’adhésion, en ouvrant notamment deux nouveaux chapitres de négociation avec Ankara. Une attitude qui a affaibli la résistance européenne vis-à-vis de la Turquie, laissant Madame Merkel assumer seule l’opposition revendiquée à son entrée dans l’Europe. Jusqu’à ce que, isolée sur cette question, la chancelière révise à la baisse sa position.

Cette inversion de tendance, après des années de blocage sarkoziste, a débouché sur la situation que l’on connaît aujourd’hui : l’Europe cède aux pressions d’Erdogan sur la levée du régime des visas à ses ressortissants (en dépit de toute considération liée à la sécurité dans cette période sensible), elle lui délègue ses pouvoirs pour régler la crise des réfugiés, elle lui octroie 6 milliards d’Euros pour ses frais de gestion (soit presque le PIB de l’Arménie, pays de 3 millions d’habitants)… Et, pour faire bonne mesure, se cantonnant à une prudente réserve, elle n’oppose que des pétitions de principes à l’inacceptable dérive autoritaire, raciste et nationaliste de cet État. Mieux : une dépêche AFP indiquait le 2 mai que la Commission européenne estimait que la Turquie a « fait beaucoup d’efforts » pour respecter les critères d’une exemption de visas pour ses ressortissants dans l’espace Schengen. « Beaucoup d’efforts » ? Mais dans quelles directions ? Celle des populations civiles kurdes bombardées ? Des églises arméniennes confisquées telle celle de Diyarbakir, qui venait d’être reconstruite par ses derniers fidèles ? Des grands médias nationaux interdits les uns après les autres ? Des journalistes jetés en prison ? D’un député arménien (Garo Paylan) frappé et conspué par ses collègues du fait de ses origines en pleine séance du Parlement ? Des sommations contre l’Arménie voisine, promise à « l’apocalypse » selon le mot de Davutoglu ?

Mieux : non seulement la Commission européenne se montre complaisante envers ces abominations, mais au lieu de les combattre avec la vigueur qui conviendrait, c’est elle qui se laisse infléchir par Ankara en menaçant, par exemple, de couper les subventions de l’orchestre de Dresde qui avait eu la mauvaise idée d’organiser un concert en hommage aux victimes du génocide arménien. Ou en autorisant, comme madame Merkel, la demande turque de poursuite contre un satiriste allemand auteur d’une oeuvre jugée insultante à l’égard d’Erdogan. Ainsi les dirigeants de l’AKP ne se contentent plus d’embastiller leurs propres journalistes, ils portent également atteinte à la liberté de la presse en Europe.

On ne fera pas ici la liste des aberrations qui ont amené la dynamique turco-européenne à mettre Bruxelles au diapason d’Ankara, plutôt que le contraire. Il ressort cependant de cette situation que la Turquie n’est plus seulement considérée en Europe comme un grand marché qu’il convient de courtiser, mais aussi comme une force de nuisances avec laquelle il faut composer. Erdogan ne s’y est pas trompé, en déclarant le 20 avril dans un discours à Ankara que « l’Union européenne a plus besoin de la Turquie que la Turquie de l’Union européenne », alors qu’au même moment, son Premier ministre feignait de déplorer devant l’APCE la progression de l’intolérance en Europe… Et ce, quelques jours après avoir appelé l’Organisation de la Coopération islamique qui tenait réunion à Istanbul à avoir une position commune pour « libérer l’ensemble des territoires islamiques occupés tels que la Palestine, le Haut-Karabagh et la Crimée ».

S’il faut regretter l’impuissance des puissances européennes face à Erdogan, que dire du rôle des gouvernants français dans une situation qu’ils ont créée en relançant le processus d’adhésion de la Turquie, en cédant systématiquement à ses injonctions puis en gardant un silence complice envers ses turpitudes ? Pour ce qui a trait au négationnisme du génocide arménien en tout cas, force est de constater que non seulement la gauche au pouvoir n’a pas fait mieux que ses prédécesseurs, mais qu’elle porte de surcroît une lourde responsabilité quant à l’emprise de plus en plus marquée de l’État turc sur les instances décisionnaires du vieux continent. Une réalité dont le socialisme français ne semble pas vouloir prendre conscience, paralysé dans ce dossier comme dans bien d’autres par son manque de vision et de courage politique. Des lacunes qui pourraient bien en la circonstance entraîner l’Europe et la France sur une pente de plus en plus périlleuse du point de vue des valeurs, si on en juge par l’inclinaison islamiste et dictatoriale de cet État de 80 millions d’habitants qui, faut-il le rappeler, s’est construit sur le cadavre et la spoliation de ses minorités et qui ne prend pas le chemin de la repentance… C’est le moins qu’on puisse dire.

2 Commentaires

  1. après cela on déplore la montée des extrémismes en Europe
    c’est réellement une politique suicidaire
    les turcs qui n’ont jamais pu vaincre l’Europe, vont la conquérir tranquillement, et nous imposer leur modèle de société
    ils ne nous restera plus qu’à faire nos valises

  2. merci, recep tayyip erdogan, c est donnant donnant. c est la loi du plus fort autrement il y a rien l europe sera plus forte. fort comme un europeen, tete europeen