Avant sa sortie en salles le 13 novembre, La Règle du jeu organisait le 14 octobre à la Pagode, une avant-première du film Doutes réalisé par Yamini Lila Kumar. L’occasion de découvrir enfin ce long-métrage au casting inédit (Benjamin Biolay et Christophe Barbier campant deux des personnages principaux) dont nous suivons la création depuis plusieurs mois maintenant.
De Serge Moati à Nicolas Domenach en passant par Aquilino Morelle, Thierry Mandon, Jérôme Guedj, Anna Cabana ou encore Arnauld Champremier-Trigano, de nombreux journalistes et autres faiseurs d’opinion étaient réunis pour tenter d’affiner les contours d’une gauche en mutation, toujours en friche malgré la victoire du candidat socialiste à la dernière élection présidentielle. Les lumières s’éteignent, le film commence. On le comprend bien assez vite, Doutes est un film d’auteur, très politique et s’adresse à un certain public, de gauche, passionné par la vie des idées.
Les premières minutes fixent immédiatement le cadre. Le film possède un parti-pris fort, celui de ne laisser aucune place au superflu. Du fond donc et une mise en scène radicale. Yamini Lila Kumar s’intéresse à l’essence même de ses personnages et à leurs attitudes. Trajectoires personnelles, histoires d’amour, rapports amicaux : tout sert à la réflexion sur ce qu’est devenue la Gauche française. Les quatre protagonistes débattent, s’interrogent, s’invectivent. On s’approche d’une forme mutante de théâtre filmé avec, notamment, plusieurs gros plans sur les visages (le même reflexe que Kechiche dans La vie d’Adèle). Dans Doutes, les personnages masculins sont volontairement détestables et se détestent d’ailleurs eux-mêmes parfois. Les femmes (Lara Guirao, Suliane Brahim), elles, sont plus saines, plus angéliques : c’est logique, dans le contexte actuel de la rue de Solférino, elles n’ont pas véritablement le pouvoir. Partagerez-vous la froide distance critique de Chris, interprété par Christophe Barbier ou bien l’ardeur sociale-démocrate teintée de gauchisme de Paul (Benjamin Biolay) ? Serez-vous au contraire du coté des rôles féminins plus sensibles, plus souples, parfois moins dogmatiques ?
Doutes interroge. Omniprésent, DSK traverse le film d’abord comme un héros, ensuite comme un fantôme. Le long-métrage paraît moins sombre que ne l’était son scénario à l’origine. Entre théâtre et cinéma, l’écriture des textes en autant de tirades soignées, ciselées, déstabilise. Il faut l’avouer : nous n’avons plus l’habitude de voir cela sur grand écran. Ici, les personnages s’expriment, ils se parlent à eux-mêmes. Le quatuor présent à l’écran assume l’affiliation à cette Gauche de la réflexion, germanopratine, cosmopolite. Tout au long du film, on entend ainsi des noms qui forment le panthéon de la réalisatrice : Althusser, Blum, Jaurès mais aussi Aubry, Strauss-Kahn, Royal, les livres de Bernard-Henri Lévy, l’évocation du Levallois rouge de naguère. Entrechoc des références et des époques. Doutes, encore.
Il faut dire un mot de la performance d’acteur de Benjamin Biolay, touchante, pleine de profondeur, qui confirme une nouvelle fois combien le chanteur devenu comédien excelle devant la caméra lorsque son rôle devient introspectif. A ses cotés, Christophe Barbier joue avec son image : l’écharpe rouge autour du cou et la posture de l’homme aux inclinaisons insondables. « Tu ne trouves pas que je ressemble à un canton suisse ? » dira son personnage. La salle sourit. On reviendra sûrement au film lorsqu’il s’agira, dans quelques années, de brosser le portrait de Barbier et de son époque.
Sans tuer le suspense, disons simplement que la leçon du film est très juive dans l’esprit. Les doutes sont omniprésents mais ils n’empêchent pas d’avancer. La lumière se rallume. Finalement, la mission que se donnait Yamini Lila Kumar est accomplie : on sort de la salle en se posant des questions, en se demandant à quelle gauche on appartient nous-mêmes. Nos doutes ne sont pas dissipés, ils continuent à nous tourmenter.