« Excuse-moi », « Excuse-moi », « Excuse-moi ». Ce sont les derniers textos envoyés depuis mon téléphone portable. Excuse-moi. Je suis en surchauffe mais l’expression est froide. Il faudrait dire à tous : « Si tu savais comme je regrette. Si tu savais comme je me trouve con d’avoir tout gâché : ma vie, ma carrière, mon avenir. Excuse-moi… ». Mais je ne dis pas ça. Rien ne sort.
Je me suis demandé s’il ne fallait pas dire : « je te prie de bien vouloir m’excuser » mais cela sonnait faux. Cela sonnait baratin. Eternellement… A l’heure où j’écris ces lignes, tout le monde observe, épie, tente de lire entre les lignes. Les journalistes dans l’ombre de Mediapart veulent tous leur part du gâteau, un petit scoop perso, histoire de dire qu’ils ont bossé, que eux aussi ils enquêtent, qu’ils ont de toute façon toujours été du bon côté, celui d’Edwy et d’Arfi et qu’en me faisant tomber, c’est en fait toute la profession qui a subitement retrouvé ses lettres de noblesse. Alors pour ne pas se planter, pour éviter les interprétations fallacieuses et la surenchère de ceux qui voudraient que j’abrège le dénouement de l’affaire, il faut aller à l’essentiel. « Excuse-moi ». Deux mots reliés par un tiret, sans plus de ponctuation, sans point final, sans point d’exclamation ni points de suspension… Je ne rentre pas dans le détail. A quoi bon ? De toute façon, plus personne ne semble croire à ce que je dis ou écris. Je suis un sale menteur ! Sale, dégueulasse.

Quelques minutes plus tard, téléphone s’est mis à vibrer frénétiquement. Je recevais les premières réponses à mes textos lapidaires. Des poignards ! « C, vous êtes un salaud. Un salaud ! », « Oublie mon numéro enfoiré ! » « Tu n’as eu que ce que tu méritais. Tu es un sale traitre ! » « La presse vous salit. J’espère que la meute vous déchiquètera… »

Sur les conseils de V, J’ai décidé de prendre le large. Au téléphone, V simulait un brin de voix tranquille, en ne mettant l’accent que sur les points positifs d’un exil de quelques jours, comme il le ferait pour persuader un enfants récalcitrant à écouter ses conseils. « Dans ton cas, Paris est une ville nocive. Ce qu’il te faut, c’est un retour aux vraies valeurs : le Sud-Ouest, Villeneuve, le Lot ! Va, les gens t’aiment encore là-bas. Ils sont loin de la capitale. Pour eux tu es toujours l’enfant du pays, le maire de la ville, pas le ministre ! Et puis cesse un peu avec ces textos. Ca sert à rien ! Eteins la télé, coupe ton portable. Tu verras, ça fait un bien fou. On est vraiment esclave de ces machins-là. Profite de ta liberté, écris un livre, fais un peu de boxe, va ! Tape dans un sac, tu verras, ça te fera du bien… » Je l’ai écouté. Très tôt, avant les embouteillages matinaux, sans ne rien dire à personne, j’ai conduit ma grosse Peugeot de fonction direction le Sud-Ouest. Non loin de l’entrée du parking, il n’y avait ce matin aucun paparazzo grossièrement planqué. Dommage, il y avait une belle photo à prendre : le menteur, mal rasé et les yeux noircis de cernes portant sur ses épaules meurtries un maigre balluchon, son seul bagage…

Fin de matinée, arrivée à Villeneuve. Dans la rue on me dévisage, on accélère ou bien on change de trottoir quand on m’aperçoit. Mis à part les vieux séniles à qui ma tête dit encore vaguement quelque chose, il faut bien se rendre à l’évidence : les passants ne me saluent pas. JV s’est bien planté. Personne ne veut de ma rédemption. J’allume mon téléphone. Rien à signaler hormis des demandes d’interview venant de l’étranger ainsi que le long mail d’un député PS, jadis victime de la vindicte populaire, qui m’exprime tout son soutien. Je ne lis que ses premières lignes. Ses élans lyriques ne m’intéressent pas. Puisqu’on ne veut pas de moi à Villeneuve non plus, je reprends la route, baisse la tête et courbe l’échine.

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C’est terminé… J’ai rompu le lien de confiance. Je pourrais bien me taillader les veines ou me couper une phalange pour prouver que j’ai un bon fond, cela ne changerait rien : j’ai menti. Lorsque je me suis présenté au domicile d’un ami de trente ans, ce dernier m’a claqué la porte au nez. Je suis devenu un paria. Ce matin, le pompiste a mis dix longues minutes pour me rendre la monnaie. Ce soir, le pharmacien a refusé de me servir ; j’ai dû rebrousser chemin sous les insultes. Il me faudrait désormais changer de tête et d’identité pour espérer un jour pouvoir regoûter à la vie normale. En attendant, V redoute que je fasse une connerie. Ce soir, je dormirai dans ma voiture…