Pour qui ne vivrait pas au rythme frénétique de l’information et donc de la sensation, l’affaire Cahuzac tient du paradoxe : elle repose entièrement sur le mensonge d’un seul homme et prend la tournure d’une crise de régime.

Pourtant, l’affaire aurait dû raffermir le sentiment républicain, plutôt que d’entretenir la défiance envers nos élus et nos institutions. En effet, tout depuis la révélation par Mediapart de la possible détention d’un compte à l’étranger au mois de décembre 2012 illustre un fonctionnement satisfaisant de la démocratie.

La presse a joué son rôle de vigie et la justice, par le biais du parquet de Paris, a pu confondre Cahuzac dans la plus grande quiétude en faisant expertiser l’enregistrement litigieux détenu par Michel Gonelle. Il n’y a donc eu atteinte ni à la liberté de l’une, ni à l’indépendance de l’autre. Jérôme Cahuzac n’a bénéficié d’aucune forme de protection, d’instruction ou de fuite. Edwy Plenel l’a admis : une telle absence d’entrave aurait été inimaginable auparavant.

On aurait aimé louer la maturité d’une société qui sache mettre en accusation un homme qui a fauté au plus haut niveau de l’Etat sans vaciller sur ses propres fondements. Hélas, c’est exactement l’inverse qui est en train de se produire.

L’emballement médiatique a empêché de prendre la juste mesure des choses ou plutôt, les choses à leur juste mesure. Car Jérôme Cahuzac n’est pas « seulement » si l’on ose encore l’écrire, un responsable politique qui aurait dissimulé des avoirs à l’étranger. Président de la commission des finances entre 2010 et 2012, il s’est placé au nom de l’opposition et, finalement, au nom du pouvoir législatif tout entier dans la position de contrôler et d’évaluer les dispositifs mis en place pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale ; soit les faits qu’il a avoués aux magistrats instructeurs. Il avait alors accès aux données les plus sensibles et tout démontre qu’il a disposé de ses prérogatives de manière très étendue.

La situation est plus grave encore à compter de la formation du gouvernement. Le ministre dirigeait l’administration qui avait la charge de démasquer le fraudeur qu’il était. Pendant que le ministre délégué au budget dénonçait l’évasion, déclenchait des contrôles et redressait des contribuables, Jérôme Cahuzac s’enfonçait dans la spirale de la dissimulation.

Finalement, Jérôme Cahuzac n’aura pas tant été un fraudeur qu’un traître à ses collègues, à ses électeurs et surtout aux commandements les plus élémentaires de sa charge. Il ne pouvait accepter les fonctions successives de président de la commission des finances et de ministre du budget sans trahir. La situation à cet égard est simple : ou bien il se dénonçait et se démettait ; ou bien il tentait de se maintenir, ce qu’il a fait, et l’on ne peut écarter l’hypothèse qu’il poursuivait le but ultime de sa propre protection.

Membre du parlement et ministre en exercice, il a trompé le parlement et le gouvernement. Une seule instance serait à même de le juger car elle a été créée à cet effet : la Cour de justice de la République dont la vocation est justement de traduire les ministres pour les fautes accomplies dans l’exercice de leurs fonctions. Or, Jérôme Cahuzac était bien – à minima – en situation de fraude fiscale lorsqu’il était ministre du budget. Le délit aurait continué pendant son mandat ministériel et pourrait se trouver en quelque sorte absorbé par celui-ci en raison de la connexité étroite qui unit la fraude présumée à la fonction exercée.

Je n’ai pas le goût des tribunaux d’exception, loin s’en faut. Mais c’est le but de notre organisation judiciaire que de connaître des juridictions capables d’appréhender avec le plus de justesse les faits qui leur sont déférés. La Cour de justice existe depuis 1993 ; elle ne serait pas créée ou inventée pour les besoins de la circonstance. Elle juge selon des lois ordinaires et préserve tant la présomption d’innocence que les droits de la défense. Quelle autre juridiction, composée de magistrats et de parlementaires, serait, avec la solennité requise, la mieux à même de juger des faits qui concernent tant la violation de la loi que le mensonge proféré devant la représentation nationale?

Évidemment, je connais la position du Président de la République qui souhaite la suppression de cette juridiction au motif fort louable que les ministres devraient devenir des justiciables comme les autres. Mais Jérôme Cahuzac a vraisemblablement emporté dans sa chute ce noble dessein.

Il est probable, sauf à envisager le pire, que Jérôme Cahuzac soit appelé à comparaître un jour. Le cas échéant, renvoyer cet homme devant un tribunal correctionnel serait tout à la fois manquer au sens de l’histoire et à celui de la justice. Seul une comparution devant la Cour de justice pourrait assurer à la République la position qui doit être la sienne dans cette affaire : celle d’accuser et non d’être accusée.

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