Il y a quelques années, peu de temps après la chute du Mur de Berlin, le philosophe américain, Francis Fukuyama, inventa le concept de « fin de l’Histoire ». Il prétendait, en gros, qu’après l’antagonisme majeur qui avait opposé, durant plus de 70 ans, Est et Ouest, capitalisme et communisme, les conflits s’arrêteraient et l’histoire avec.

On ne peut pas dire que l’évolution du monde lui ait donné raison mais l’expression est restée, à défaut du concept.
Une des victimes, collatérales, de ce que théorisait Fukuyama fut James Bond et la série de films tirés, plus ou moins lointainement, des ouvrages de Ian Fleming.
Jusqu’à ce que survienne le dernier : Skyfall. Le 23ème épisode depuis « Dr No ».

En effet, l’idée qui était à la base de la série – Ian Fleming avait été un honorable correspondant des services secrets de la Couronne – reposait sur l’affrontement Est-Ouest. Il y avait les bons : les Occidentaux, et les méchants : les Communistes, et James Bond venait, au tout dernier moment, sauver le monde quand les méchants Communistes semblaient sur le point de s’emparer de la planète.
Cela donna de très bons films (Goldfinger ou Opération Tonnerre), mais aussi de très mauvais (Octopussy ou Tomorrow never dies). Un excellent acteur pour l’interpréter : Sean Connery, et d’autres plus moyens : tous les autres.
Mais le méchant était vraiment méchant, puisque communiste, et, comme le disait Hitchcock, « plus réussi est le méchant, plus réussi est le film ».

1989 faillit donc sonner le glas de la série. On sentait qu’elle se cherchait. Elle inventa des méchants chinois mais cela n’était guère crédible, des méchants allemands mais l’époque nazie était trop lointaine, des méchants à fort accent, mi-serbe mi-arabe, mais cela ne marchait pas vraiment puisque les concepteurs de James Bond n’osaient pas – politiquement correct oblige – y aller vraiment, de peur d’être taxés de racisme. Et puis, sur ce plan, les séries télé dérivées de James Bond, 24 heures Chrono en tête, allaient beaucoup plus loin, n’hésitant pas à dépeindre des Serbes ou des Arabes vraiment fous et prêts à raser Los Angeles avec des armes chimiques ou atomiques.

On doit reconnaître que l’on était plus proche de la réalité du monde et , en particulier, de celle de l’Amérique du 11 Septembre. Il n’y avait pas vraiment besoin d’en rajouter pour que le public pense que des clones de Ben Laden ou de Radovan Karadic étaient crédibles en méchants.

La « Fin de l’Histoire » allait-elle provoquer la fin d’une histoire : celle de James Bond ?
Malgré la débauche de moyens de Quantum of Solace ou de Casino Royale. Malgré le recrutement d’un excellent acteur, Daniel Craig, que, par une sorte de lapsus de casting, l’on choisit parce qu’il était le sosie de Vladimir Poutine – alors qu’il eût fallu le contraire –, le public était en train de lâcher James Bond.

C’est là que l’instinct de survie et/ou le génie des producteurs, la famille Broccoli, intervint.
Ils décidèrent :
1 ) de choisir un excellent réalisateur, Sam Mendès (American Beauty), faisant ainsi confiance, contre toute attente à un « auteur » alors que le réalisateur n’était, jusque là, que peanuts face à l’incroyable machine industrielle à la base de la réalisation des films.
2) de faire passer James Bond devant un psy. A son âge, 50 ans et des poussières, il était temps !

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James Bond avoue dans Skyfall un brin d’homosexualité – même si non assumée – ce qui était toutefois logique puisque Daniel Craig était, depuis longtemps, une icône gay.
Mais surtout, il nous fait découvrir ses parents – enterrés dans la lande écossaise –, la maison familiale – digne de Harry Potter –, celui qui l’a élevé : le vieux gardien, interprété bien évidemment par Albert Finney, modèle de l’acteur anglais et héros du Free Cinema et de ces « jeunes gens en colère » du cinéma britannique des années 50 et 60, et celle qui est, finalement, sa mère adoptive, la patronne des Services Secrets –dont le rôle fut longtemps tenu par des hommes –, M, qui n’a de maudit que son triste sort à la fin du film.
Tout cela dans une atmosphère so british car, malgré des détours par Istanbul et Shanghai – incroyablement bien filmée par l’immense chef op’ anglais, lui aussi, Roger Deakins – c’est bien en Grande Bretagne que James a ses racines et qu’il ne peut que revenir. C’est là qu’on l’attaque – cf Al Qaida et les attentats de Londres – et cela, il ne pourra jamais l’accepter.

L’autre bénéfice de ce retour au pays – après avoir failli perdre son âme pour conquérir quelques centaines de millions de dollars de plus en devenant un héros apatride –, c’est que James Bond a retrouvé l’humour. Il se moque de lui et de son grand âge, de ces gadgets qui ont fait sa notoriété mais qui l’ennuient, et même de ces femmes qui le lassent – pas toutes ! – à force de défiler et de se laisser séduire.

Enfin, et c’est bien sûr, là que nous voulions en venir, James Bond s’est retrouvé un méchant à sa mesure : ancien des mêmes Services secrets, teint en blond et totalement gay, une sorte de Mister Hyde dont il serait le Docteur Jekyll. James Bond inversé.

Javier Bardem dans le rôle du "méchant" dans Skyfall.
Javier Bardem dans le rôle du « méchant » dans Skyfall.

Dans le rôle, un acteur génial, le bien connu Javier Bardem, déjà bouleversant de méchanceté dans le No Country for Old Men des frères Coen, et capable de tout faire, y compris de séduire un James défait.
Ce n’était donc pas que les méchants avaient disparu – l’actualité nous le prouve tous les jours – mais que l’on ne savait plus les caractériser. Que l’on ne savait plus s’il fallait en rire ou pleurer.

Sasha Baron Cohen, en parodiant Kadhafi dans The Dictator, ou la série Austin Powers, parodie de James Bond qui avait failli rafler la mise avec un méchant, « méchant parce que méchant », un peu à la manière de Hitler ou Ben Laden, surfaient sur cette vague, délaissée par James Bond.

Ce n’est plus le cas, et l’on ne peut que s’en réjouir. Comme des millions de spectateurs à travers la planète, qui font de Skyfall le plus gros succès de la série.

Le monde est sorti de la Guerre Froide, et James Bond avec lui. L’avenir, pour lui comme pour nous, consistera à nous battre contre de vrais ennemis. Et ils sont, chaque jour, plus nombreux.

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