Pour certaines générations, c’est un Panthéon passé de l’ombre à la lumière, les clapotements furieux des marées, un palais des Tuileries pris d’assaut, des barricades, une révolution ; tout cela finit, en général, par quelques Éthiopies où se meurt l’illusion lyrique. « Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal », comme disait l’autre ; les tournants de la rigueur brisent souvent la courbe déployée des jeunesses du monde.

Pour la génération passée entre le mur de Berlin par terre et le 11 Septembre dans l’air, pour cette cohorte qui s’engage dans la vie avec cette seule énigme chevillée au cœur, How I met your Mother ?, eh bien les rêves idiots et les utopies inévitables ont pris en 2008 les traits de Barack Obama, et ce n’était plus des odeurs de poudre, d’Homme Nouveau, de pavés sanglants qu’on portait en étendard, mais seulement un rêve bleu nuit, une constellation souriante, un amour arc-en-ciel venu de Chicago. Les années Obama nous ont permis ce gain de temps, de sang, de désespoirs ; c’est comme une éducation sentimentale délocalisée sur la Côte Est, vécue de loin, par procuration. Après cela, vous pouvez, souriant, voter François Hollande ou devenir expert-comptable.

Car inévitablement, cette magie Michigan s’est effilochée. Vous pouvez leur asséner tous les arguments possibles, le Congrès flibustier, l’économie qui va mal, les pesanteurs fédérales, vous pouvez leur démontrer avec beaucoup de patience qu’Obama a fait ce qu’il a pu, bien souvent, face à un jeune homme dont l’âge se compte sur les doigts de quatre mains, vous vous heurterez à une mélancolie renfrognée. Une tristesse boudeuse, très enfantine, mais bien compréhensible : Obama, notre grand frère cool et sérieux, marrant et premier de la classe, potache et brillant, ce grand frère qu’on admirait si profondément, en quatre ans, est devenu un adulte comme les autres.

Au fond, Barack Obama par son élégance d’escogriffe, son air ironique, sa gentillesse tiraillé par le sens du devoir m’a toujours fait irrésistiblement penser à Hobbes, non pas le penseur, mais le tigre en peluche, flegmatique et longiligne qui accompagne le petit Calvin, tout au long de leurs aventures en bande dessinées qui bercèrent la jeunesse de millions d’Américains. Hobbes, le tigre, est cet ami imaginaire, ce presque-adulte qui nous explique plus simplement le monde, ce grand frère des Royaumes-sous-la-couette, tu seras le cow-boy, je serai l’Indien, descendons à la cuisine manger le dernier cookie ; seulement voilà, il reste à la fin cette vérité première et infiniment triste : Hobbes, dans la vraie vie, n’existe pas.

Ainsi, notre Barack Obama fantasmé est sans aucun doute un rêve qu’ont formé des millions de grands enfants à travers le monde, par delà leur chambre encombrée de sacs de billes et de ballons de football ; mais qu’il ait gagné encore une fois nous laisse, finalement, un peu d’espoir pour notre existence future de grande personne bien sérieuse : même un businessman à cravates devra s’incliner devant notre meilleur ami tigre en peluche devenu Président des États-Unis.

Un commentaire