Si outre-manche l’affaire News of The World défraie la chronique, un nouvel épisode autour du traitement journalistique des affaires en cours prouve, si l’on en doutait encore, que la presse a encore de vraies leçons à recevoir. Car de son éthique et des garde-fous qu’elle se fixe (ou ne se fixe pas !), le commentateur tirera bien vite de cruelles conclusions.
Voilà plusieurs semaines, lorsqu’on arrêta Dominique Strauss-Kahn, toutes les chaînes de télévision se sont précipitées pour diffuser des images de la dite « bête blessée » : DSK menottes aux poignets ! Et l’on a glosé tantôt sur la mine de l’ex-President du FMI, tantôt sur sa potentielle culpabilité mais surtout sur la fin annoncée comme définitive de sa carrière politique. Plusieurs voix, à la Règle du Jeu et ailleurs, se sont alors élevées contre cet état de fait tout à fait hâtif. Pourtant, malgré les diverses protestations, la pratique a continué et l’on nous disait comme s’adressant à d’inutiles et pénibles précautionneux : « L’image de Strauss-Kahn menotté est partout visible, alors à quoi bon ne pas la montrer ? »
A quoi bon, dites-vous ? Eh bien à éviter le terrible cas de conscience qui se pose alors que sur les chaines d’infos en continu on floute le visage de Sandor Kepiro, criminel nazi récemment acquitté, dont l’innocence fait pourtant toujours débat. Pour mémoire, Kepiro est accusé d’avoir ordonné l’exécution d’au moins 36 personnes dans le cadre d’un massacre de plus de 1200 civils juifs et serbes à Novi-Sad…
Cruelle situation que celle voyant un ancien ministre de la République immédiatement trainé dans la boue, droit à l’image bafoué, et dans le même temps l’auteur d’une rafle forcément effroyable traité comme un homme respectable.
Le cadre mouvant du respect de la présomption d’innocence produit ce genre de dérangeants résultats. Et la médiatisation, des conséquences insensées : au presque terme des deux affaires, la presse et son lectorat ne retiendront ainsi certainement aucun des 1200 noms des victimes du massacre de Novi-Sad. Celles-ci, bien que parties intégrantes de l’Histoire resteront anonymes tandis que d’autres développements médiocres squattent sans discontinuer les unes de la presse internationale.
Ainsi ne classe-t-on plus selon l’intérêt de l’information mais en fonction de la dictature du buzz. Ainsi oublie t-on Novi-Sad pour mieux starifier Diallo et Banon…
Laurent-David Samama
M. Samama,
A la lecture de votre article, je constate que vous ne connaissez vraiment pas la signification de présomption d’innocence: c’est un a priori; l’a posteriori, c’est coupable ou innocent.
Mettons de côté l’idée de buzz dont vous tentez vous-même d’user pour mettre en lumière un autre évènement et concentrons-nous sur le fond de celui-ci.
Sendor Kepiro a été innocenté, cela m’insupporte, cela me donne la nausée, mais c’est un fait, contestable ou non, c’est une affaire jugée. Il n’y a plus de présomption d’innocence dans ce cas, il y a innocence tout court, à moins que vous ne remettiez en cause la légitimité des tribunaux hongrois (nb: la Hongrie fait partie de l’Union européenne depuis 1994).
De plus, aller en justice n’est pas l’assurance d’obtenir la validation de ses convictions, aussi belles et légitimes soient-elles, c’est prendre le risque de les voir échouer: sans doute est-ce déplaisant, mais la justice fonctionne ainsi, il faut savoir accepter la règle du jeu.
Il est certain que les jugements d’anciens assassins Nazis supposés ont souvent donné lieu à des résultats extrêmement décevants, notamment en Autriche (adhésion à l’UE en 1995), et Simon Wiesenthal a vécu quelques déceptions à l’époque, qu’il a relatées dans ses mémoires. A titre d’information, elles s’intitulent « Justice n’est pas Vengeance ».
C’est-à-dire que même le Nazi ayant manifestement du sang sur les mains est présumé innocent avant son jugement. Or, vous mettez en avant une forme dévoyée de la présomption, vous faites ce qui pourrait s’appeler une « présomption de culpabilité », même après l’acquittement.
Vous comprendrez que cela est pour le moins tendancieux et ouvre la porte à des parodies de procès ou des exécutions sommaires. Kepiro était suspecté d’avoir fait pire, mais nous ne sommes pas Kepiro et son acquittement et le respect de cette décision, aussi insupportable soit-elle, doivent être le signe que nous ne lui ressembleront jamais.
Jonathan, petit-fils de survivants.
ps: le fait de comparer les situations de DSK et Kepiro procède d’un très léger mauvais goût: « regardez, il y a pire et vous ne faites rien… » est, sur la forme, un sophisme, et dans le fond, un obscénité.
Enfin un vrai article journalistique intelligent; merci et bravo! C ‘est en effet insensé que le visage de nazi soit flouté, donc protégé, et que DSK soit traité plus mal qu’ un criminel de guerre qui aurait massacré des millions de gens! C ‘est insensé! ( surtout lorsqu’ on sait maintenant que Diallo est une prostituée, mariée à un dealer et qui fait du blanchiment d’ argent).
Bien vu ! ça m’a fait penser à l’un de mes récents billets… http://diteselo.wordpress.com/2011/07/01/hurler-avec-la-meute-ou-le-nouveau-journalisme/
Votre article est excellent, un des défauts majeurs de notre société est cette quête effrénée de l’info caniveau. Les rares journaux qui s’essayent encore à faire du vrai journalisme d’investigation sont montrés du doigt comme étant des empêcheurs de tourner en rond, des gens pas fréquentables…
Le BUZZ, ce mot si français qu’il donne envie de vomir tellement il est creux. Il est de bon ton d’utiliser les termes anglais quand leur traduction française dérange, alors le Buzz ou la Rumeur ?
Quand j’étai plus jeune, il y avait une expression qui disait ceci « …dans l’ancien temps », aujourd’hui, c’est plus chicos de dire Vintage.
Bref, retournons à de vrais valeurs dont celles de l’information vraie