L’événement tunisien par Mehdi Belhaj Kacem.
Propos recueillis par la rédaction.
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Il semble y avoir deux arguments en Occident, tous les deux jettent un cynisme hautain sur ces pays : soit la Tunisie et l’Égypte sont «simplement» les derniers instants d’un cycle révolutionnaire inauguré il y a deux décennies à la chute du mur de Berlin pour faire sortir la tyrannie sclérosée du XXe siècle; soit, comme certains à gauche ont fait valoir, ces musulmans rebelles, à la recherche de leurs droits libéraux, essayent surtout d’être «comme nous», les enfants de Coca-Cola – selon Godard – et donc n’acquerront que les fausses libertés de la démocratie consumériste néolibérale. Que dites-vous à ces critiques?
J’aimerais bien savoir quels sont les crétins qui osent dire des choses pareilles, mais je répondrai en mon nom propre. D’abord, il n’y a pas eu de « musulmans rebelles » dans les rues tunisiennes ; l’islam est la religion dominante, mais n’avait rien à faire avec les événements, il n’y avait quasiment pas d’islamistes dans les rues. Il y avait beaucoup de femmes dans les manifestations, mais l’écrasante majorité des femmes voilées – 20% des Tunisiennes – restait, pour des raisons aisées à comprendre, chez elles. Énormément de rassemblements, dans tout le pays, étaient « dirigés » par des pasionarias tunisiennes, toujours non-voilées. Les tags, les slogans, contenaient très souvent le mot « laïcité ». Il y a beaucoup de « barbus » dans les rues de Tunis et de sa banlieue, mais ce sont des « barbus »… guévaristes ! Si vous venez à Tunis, vous verrez des milliers de Tunisiens qui se « lookent » à la Che Guevara. Il y a deux mois, j’aurais trouvé ça un peu dérisoire. Aujourd’hui, je trouve ça terriblement émouvant. « Cheikh Guevara » !
Ensuite, cet à-peu-près insultant, relayé par le fast hegelianisme médiatique des penseurs du « radical chic », semble ignorer l’essentiel : l’événement est venu d’une base populaire très dure, extrêmement courageuse et héroïque. C’est plus tard, mais non moins héroïquement, que la « petite-bourgeoisie » de Tunis et ses banlieues a pris le relais, dans la rue et sur Internet, en risquant elle aussi sa peau, par un sens de la solidarité qui en remontrera encore longtemps au confort bourgeois du « radical chic », qui n’a aucune leçon à leur donner. Le vrai précédent à la Révolution tunisienne ont été les troubles de la Compagnie minière (phosphate) de Gafsa en 2008. Ce furent des jours décisifs, où l’ensemble d’une petite ville, Redayef, s’est soulevé, à la faveur d’une énième affaire de corruption dans le tri des miniers. Un détail dérisoire, de quotas de postes qui devaient être donnés à des cas sociaux, et qui n’étaient donnés qu’à des fils de syndicalistes corrompus. C’est une histoire magnifique et terrible, dans les détails desquels il faudrait longuement entrer, qui passionneraient un véritable « radical chic » s’il était conséquent avec lui-même. Il ne s’agissait pas d’émeute, tout du côté de la population se fit pacifiquement, mais véritablement d’un soulèvement, réprimé dans le sang, la Terreur et aussi le black-out médiatique national et international le plus total. Les femmes elles-mêmes y jouèrent un relais essentiel, la toute-petite bourgeoisie (instituteurs syndicalisés et mis au ban du régime), etc. C’était une répétition générale de l’événement : une solidarité populaire contre un régime corrompu de la tête aux pieds. Ensuite, ce fut trois ans plus tard par la ville voisine Ghafsa, ensuite Sidi Bou Zid et Kasrine, que commença le soulèvement général. C’est-à-dire réellement par la base la plus populaire et prolétaire la plus « basse » et la plus touchée. Ensuite c’est tout le pays qui s’est embrasé. Dire que ces gens-là aspiraient à Coca-Cola, c’est être véritablement insultant et stupide, méconnaître totalement la situation. Le slogan était : « du pain, de l’eau, de la dignité ».
L’événement tunisien n’a rien à voir avec la chute du mur de Berlin : d’abord parce que celle-ci était préparée en amont par la politique de Gorbatchev en U.R.S.S. ; ensuite parce qu’un événement est le commencement de quelque chose, et que la chute du mur n’était que la fin, prévisible, d’une séquence historique exténuée. La Révolution tunisienne n’a été préparée par rien, et est le commencement absolu d’une séquence historique inouïe ; les troubles ont été très importants dès le 14 décembre 2010. J’ai compris, je le redis, qu’il se passait quelque chose de fondamental quand les gens, tous, ont commencé à dire : « nous n’avons plus peur ». Ca venait pour ainsi dire du néant. Le courage et l’héroïsme dont a fait preuve le peuple tunisien est une incroyable leçon d’humilité pour le « radical chic » occidental. C’est pour ça que c’était un vrai événement : rien n’a appuyé le peuple pendant des semaines et des semaines, où tout le monde a risqué sa vie consciemment, « hégéliennement ». Ensuite je suis contre les figures de style stupide du type « Coca-Cola ». Quand j’étais gosse, moi et mes amis adorions le Coca-Cola, on en buvait un litre par jour, c’est bon quand il fait très chaud. Ça ne veut rien dire, « enfants de Coca-Cola » ; quelqu’un qui boit du Coca-Cola ne pense pas tout le temps au Coca-Cola. Une blague qui court chez les Tunisiens, c’est que jusqu’en décembre 2010, il y avait en Tunisie les dix millions de meilleurs commentateurs de football du monde ; et depuis, il y a les dix millions de meilleurs commentateurs politiques du monde. Qu’il y ait du Coca-Cola ou du lait tunisien fermenté, qu’il y ait du sport même dans un État communiste, qu’il y ait de la Mode parce que seul l’être humain connaît un phénomène comme celui du vêtement, en sorte qu’il pourra y avoir de la mode même dans un pays socialiste, etc., c’est un des enseignements auquel je songe depuis longtemps. Il y a une espèce de contre-fétichisme du « radical chic », qui transforme le capitalisme en nouvelle théologie : en sorte que si vous dites du mal du Coca-Cola, de la Mode ou du Sport, vous avez l’impression d’être un valeureux révolutionnaire. Mais non. Adorno a magnifiquement analysé l’affinité qui existait entre le grand art et la mode : depuis Baudelaire, nombre de grands artistes sont, dit-il, « complices de la mode » : « Tandis que l’art résiste à la mode lorsque celle-ci veut le niveler de façon hétéronome, il s’associe à elle dans l’instinct du millésime, dans l’aversion contre le provincialisme, contre cet élément subalterne qui s’efforce de maintenir à l’écart la seule notion du niveau artistique qui soit digne de l’humanité. » Pour Hegel, la « religion de l’art », qui n’est autre que le moment grec, s’accomplit purement et simplement dans les jeux olympiques, le sport, et non dans la Tragédie, la sculpture ou la musique. Ce n’est pas en tapant pêle-mêle sur tout ça, du fait que ce soit frappé du sceau mystique du « capitalisme », que nous aurons la moindre chance de redevenir de gauche efficacement. Tout ça est plutôt le ressassement d’une vieille ultra-gauche rancie, qui risque parfois fort de contracter les tics de la vieille extrême-droite : j’y reviens très vite.
La Gauche, depuis Rousseau, se fonde sur un seul constat : la propriété privée n’est pas naturelle. Elle n’existe que dans la seule clôture anthropologique. La Gauche est une tentative de mise en cause des rapports de production existants ; elle délire, par impuissance, quand elle se transforme en contre-fétichisme de la dénonciation de phénomènes qui n’ont rien de spécifiquement « capitalistes » en eux-mêmes, mais qui sont, bien entendu, tant que les rapports de production demeurent capturés par la forme-marchandise, sous le joug du capitalisme, comme le vêtement, la boisson, le sport ou tout ce que vous voudrez. Que, par exemple, la pornographie de masse soit la forme sous laquelle la marchandise s’empare de la sexualité, le glissement « radical chic » va consister à promouvoir un nouveau, et très dangereux, puritanisme du contre-fétichisme, où ce qui est attaqué n’est pas la pornographie comme forme-marchandise, mais bien la liberté sexuelle comme telle. Je veux bien d’une Révolution aussi radicale que tout ce que vous voudrez, à condition qu’elle ne touche pas à la liberté sexuelle, ni à aucune des libertés individuelles. Le seul enjeu de la gauche, c’est œuvrer pour la disparition historique de la propriété privée, de façon si possible raisonnable et graduelle. Il est certain, par exemple, que les catastrophes écologiques qui nous attendent précipiteront tôt ou tard un communisme, un être-en-commun spontané de l’humanité, tout simplement parce qu’elle sera bien obligée, cette fois-ci, d’avoir un contrôle collectif sur les forces productives. Ce sera une pure et simple question de survie que d’abolir au moins partiellement, sinon totalement, la propriété privée.
C’est un des bilans qui n’a toujours pas été tiré des échecs révolutionnaires du 20ème siècle : l’espèce de puritanisme « laïc » qui a caractérisé très souvent les communismes d’État et de nombreuses organisations révolutionnaires. C’est une des choses toujours et encore mal comprises de ce qu’aura signifié Mai 68. Il y aurait beaucoup à dire, et il y aura beaucoup à observer, sur la situation de l’émancipation de la femme en Tunisie, sur le rôle que de très nombreuses femmes laïques, donc, ont joué dans les événements, sur la liberté sexuelle, etc.
Cette façon de prendre de haut un événement dont n’importe qui d’un peu renseigné peut toucher toute l’ampleur, c’est du gauchisme bourgeois sénile, antidaté vingtième siècle, qui parle du capitalisme comme on parle d’une nouvelle théologie. C’est de ça qu’a procédé ma récente rupture avec une certaine ultra-gauche intellectuelle « radical chic » : justement par fidélité à mes idéaux d’ultra-gauche. J’en avais déjà ras-le-bol, en tant que Tunisien, du mépris grand seigneur, toujours venu de grands bourgeois universitaires, n’ayant jamais mis les pieds dans des dictatures mais trouvant, de loin, que les camps de concentration chinois ou le goulag, c’est fantastique, et que c’est la même chose que le divan de Lacan. J’en avais assez de cette posture typique du gauchisme seventies qui est le mépris du Droit, cette façon de dire qu’en somme, la dictature capitaliste, elle est la même partout. C’est au mieux ridicule, au pire obscène. Cette « haine de la démocratie », comme dit Rancière, qui gangrène depuis quelques années l’ultra-gauche intellectuelle française et au-delà. Ce mépris hautain, comme vous dites, pour les « libertés » formelles. C’est toujours depuis une démocratie qu’on peut jouer au provocateur chic qui crache sur la démocratie. C’est toujours quand on est protégé par le Droit qu’on peut dire que, du point de vue de « la » vérité politique rêvée dans son bureau ou sa chaire prestigieuse, le Droit n’a aucune importance. C’est toujours quand on jouit des libertés formelles qu’on les moque chez les autres, exactement comme les colons estimaient que leur libertés à eux étaient en quelque sorte infuses, mais que le colonisé était en somme un sous-homme ayant bien mérité ce qui lui était arrivé, et s’il se révolte en risquant l’atroce torture ou la mort, le résultat n’est jamais assez « radical » pour la superstar stalinienne des campus démocratiques et bourgeois. Ceux qui tiennent ce type de propos ne valent tout simplement pas mieux que ceux qui, dans la Révolution tunisienne et désormais au-delà, voient de l’islamisme partout.
C’est ce que disait Adorno aux étudiants de Francfort quand ils lui citaient Mao « comme vos grands-pères citaient le Prince des poètes ». Il leur répondait que, lui, il savait « ce que c’est, quand on sonne chez vous à six heures du matin, de ne pas savoir si c’est la boulangère ou la Gestapo ». Les Tunisiens sortent de vingt années où ils ont su chaque jour ce qu’Adorno voulait dire. Les milices benalistes sont encore là pour leur rappeler de quel enfer ils sortent à peine. Et Adorno d’ajouter que le Droit bourgeois contenait un élément positif en direction du communisme même, là où son absence ne menait qu’à « la brutalité idiote des fascismes de gauche », nommément l’U.R.S.S. et la Chine maoïste.
Que les choses soient claires: Je suis ce que l’on appelle un ATHEE. Mais je suis un démocrate, un vrai. Et cette pathétique guerre religieuse venue du fin fond des âges Orientaux me navre. Guerre qui se traduit jusque dans votre attitude actuelle vis à vis de l’Occident. Il appartient aux musulmans modérés de partout de combattre l’obscurantisme fanatique de certains de ses membres, aussi peu nombreux que soient ces fous. C’est aux musulmans de tous pays, et à eux seuls, de nous prouver que l’on peut vivre en Paix ensemble, en Tunisie, dans le Mgreb, dans le Macrech et en Europe. Vous réclamez les clefs de votre révolution, de votre renouveau? Vous les avez ! Bonne route ! Nous vous attendons à l’arrivée avec le thé de l’amitié.
Alors, amis Tunisiens, soyez ce que vous voulez. Contrairement à ce que vous pensez, on s’en fou. Ce n’est pas notre révolution. Nous, nous en avons payé le prix il y a 300 ans. Soyez même, si cela vous fait plaisir « le phare de l’occident ». Montrez nous la voie de la démocratie, de la tolérance et de l’intelligence. Montrez nous que nous avons tord d’avoir peur.
Un prêtre polonais a été égorgé vendredi à Tunis. Le père Mark Marios Rebaski a été découvert sans vie à l’école Notre-Dame de la Manouba où il travaillait. Le ministère de l’Intérieur condamne cet acte et regrette cette mort. D’après les résultats de l’enquête préliminaire, notamment la méthode d’assassinat, ce crime odieux est la marque des Islamistes. Le ministère de l’Intérieur accuse les extrémistes de profiter d’une situation exceptionnelle pour perturber la sécurité et plonger le pays dans la violence. Ah bon??!! Vous croyez ??!!
Moi j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi, si le Coca-Cola est un produit si merveilleux, la societe Coca-Cola a le besoin de faire un tel matraquage publicitaire.
Et, accessoirement, pourquoi les spots publicitaires Coca-Cola representent toujours des jeunes gens beaux, actifs et heureux, comme si le fait de boire du Coca avait un rapport quelconque.
Pourquoi pas plutot faire des pubs avec des vieux obeses vautres seuls devant leurs feuilletons de tele-realite?
Avant de signer votre pétition pour soutenir Sakineh, je demande la libération de toutes les femmes qui ont tué leurs maris. DE plus Mme Sakineh a des circonstances aggravantes puisqu’elle l’a fait avec l’aide de son amant. Quand on veut emmerder le régime de Téhéran on trouve autre chose.
De même lors des dernières élections en Iran vous avez soutenue Mr Moussavi, le boucher qui a fait liquider lorsqu’il était ministre de l’intérieur de Khomeni plus de 30 000 personnes une honte ! Que le Canard Enchaîné a eu le courage de publier !
Sans vouloir vous offenser, chére madame Mafalda, ce n’est pas nous qui « veut emmerder le régime de Téhéran » mais c’est peut-être le régime de Téhéran qui nous …fatigue ! Si vous avez un moment tachez de nous expliquer ce que l’Iran de Sakineh vient faire dans cette discussion sur la Tunisie.
Hors sujet, Peanut 88, Coca-Cola est déja présent dans cet article en tant que « fausse liberté de la démocratie consumériste néolibérale » donc comme repoussoir. Inutile d’insister sauf à en faire un autre sujet, un autre jour.
Les plombés
Et un matin on se lève avec l’envie de tout faire cesser.
Ni A, ni B, c’est la levée de tous les boucliers :
On vient de réaliser que rien ne sert de vivre ou de mourir,
si nous ne sommes pas en mesure de ré-enchanter le monde avec un plan C !
Qui n’a rien de commun avec les deux premiers.
Quitte à mourir, autant mourir pour une idée.
C’est la connerie universelle et nécessaire de l’actuel millénaire.
C comme colis piégé.
Boum…
http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/les-plombes/