L’événement tunisien par Mehdi Belhaj Kacem.
Propos recueillis par la rédaction.

 

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Ici, tout a effectivement changé. Je ne vous décrirai pas pour l’instant ce qui se passe. Je suis écrasé par l’ampleur de la grâce qui nous a été accordée. Les tunisiens nous administrent à tous une leçon d’humilité. Je me suis aventuré à cette idée du « blog » alors que j’ai toujours détesté ça. Je suis un homme du dix-neuvième attardé, j’aime réfléchir lentement. L’événement est un tourbillon de vérité où tous les masques tombent. On aura tout le temps d’en étaler la collection.

Je me contenterai, pour les blogs qui viennent, de recopier des extraits d’un mail que j’ai écrit en novembre 2010, authentique, à une fervente badiousiste, qui s’offusquait que j’édite chez Bernard-Henri Lévy, et m’a ensuite dit des choses rigoureusement impardonnables, que je commenterai aussi. Vous allez voir, c’est amusant.

« BHL est mon éditeur, point. Il n’y a pas plus de compromis que ça avec le « bhlisme » (ou sinon sur un point essentiel, disons très vite : la démocratie historique est un fait irréductible à ce qu’en dit Badiou, et dans le siècle qui s’ouvre, nous devrons faire avec. Ce sont toujours des bourgeois gauchistes (de Coupat à lui) qui en prennent à leurs aises avec la démocratie : pas ceux qui viennent de la Hongrie stalinienne, comme Ligeti, ou de Tunisie, comme moi. Je ne peux pas en parler publiquement et ça me pèse depuis des années, car ma famille est là-bas et c’est elle qui paierait au cas où j’ouvrirais ma gueule. Parenthèse donc, mais qui en dit long sur mon ras-le-bol depuis quelques années des facilités du Maître là-dessus, qui n’aurait pas pu écrire une ligne dans sa merveilleuse Chine rêvée à partir de documents qui relèvent presque tous de la propagande d’Etat. Pour le dire plus finement : je suis « revenu » à celles qui étaient déjà mes thèses il y a une dizaine d’années : il n’y a pas, hélas pour l’héroïsme néanderthalien de Machin, d’ennemi ou d’ami absolus dans le démocratique, mais des conjonctions chaque fois singulières et différentiellement intensives d’amitié-inimitié. La thèse de la politique fondée sur l’ami/ennemi absolus, c’est une thèse schmidtienne, savoir fasciste : de droite comme de gauche. Quand, par exemple, on veut absolument inventer un ennemi politique absolu « de gauche », on tombe dans la psychose génocidaire de masse : GRCP et Cambodge. Et un des « déclics » de ce qui se passe en ce moment, c’est la lecture éblouie par moi d’Adorno depuis deux ans, en général, qui m’a « réveillé » de mon sommeil dogmatique, mais en particulier l’expression : « fascisme de gauche », qui m’a hanté longtemps avant que je franchisse le salutaire pas actuel). Admettons même qu’il y ait « compromis » (il y en a toujours, fort heureusement, et étant donné l’exemple de fin de carrière que donne A.B., je ne vois pas pourquoi on se défoulerait sur moi) : il n’est pas moins déshonorant que, disons, lorsque le PC ou le NPA appellent à voter socialiste au second tour (c’est quand même plutôt « votre » Finkielkraut qui a appelé à voter Sarkozy et « mon » BHL Ségolène !). Des gens aussi différents que Lardreau, Jambet, Milner, Baudrillard, Onfray, Sichère, d’autres encore, dont on ne peut pas particulièrement dire qu’ils soient de droite ni même de gauche « modérée », ont publié dans cette collection objectivement excellente (Lévinas, Marion…). Par exemple, Bernard va rééditer un grand classique méconnu, qu’Alain B. a abondamment pratiqué sans le dire, « L’ange », sur mon conseil. Dans le genre agonistique mao extrémiste (mais très talentueux conceptuellement, et, je vous l’assure, longtemps « pillé » par Alain B.), vous trouverez difficilement mieux. Mon livre est un livre entièrement libre, qui aurait pu paraître tel quel inchangé n’importe où. Le compromis, cordial et démocratique, avec BH va si loin… que je défends l’idée d’un seul Etat israélo-palestinien dans mon livre. Entre beaucoup d’autres choses. Dans mon livre, je l’appelle « mon éditeur, social-démocrate et néanmoins ami ». Seulement, arrêtons de jouer à l’Oie Blanche comme un certain Alain B., le fan de Guzman et Pol Pot, que lessive sans tache son « platonisme » : pour une telle guerre, j’avais besoin du meilleur éditeur possible. De protection : écrivain indépendant et financièrement démuni, contre « le-plus-grand-philosophe » gnagnagna, grand bourgeois universitaire reconnu partout. Si j’engage une telle partie, croyez bien que c’est pour les meilleures et les plus pesées raisons philosophiques. Et même, en ultime instance : systématique. Je n’engage ces temps-ci la discussion qu’avec les cracks du concept ; aucun n’arrive à donner tort à mes arguments. »

7 Commentaires

  1. Belhaj Kacem mainstream qui se coltine BHL. Pff… Je regrette celui des éditions Tristram, vif, audacieux. En voilà encore un qui va certainement virer réac en vieillissant.

  2. Merci pour cet eclaircissement nécessaire sur la vrai nature de la philosophie badiousienne(de laquelle je me suis également detourné -après un engouement somme toute assez bref- pour toute les mêmes raisons)
    Bon courage Medhi, pour faire face aux attaques qui ne vont cesser de pleuvoir de la part des disciples d’AB!

  3. Le texte de Badiou est 1000 fois plus enthousiasmant que ta renégation !
    Feu sur le Quartier général BHLo-belhajkacemien !

  4. Ah la la, quelle aigreur, grands dieux !
    Tout passe, tu trahis, loin du bel âge qui s’aime.

  5. On s’en fout un peu de tes problèmes avec ton idole Badiou, tu sais. Totalement aigri et dépourvu de classe…

  6. « pour une telle guerre, j’avais besoin du meilleur éditeur possible ». Soit, c’est plus clair en le disant.