Vraiment rigolo de relire ce mail de novembre. Oui, je m’honore de publier chez BHL, social-démocrate, « américano-sioniste », tout ce que vous voudrez. « Après A.B. » à la lumière de « Après B.A. », de la Révolution tunisienne, qui est la 1789 du monde arabe. Bravo à la politique diplomatique d’Obama : grâce à elle, ce sont sans doute des milliers de morts qui ont été épargnées au peuple tunisien. Et je regrette si peu d’avoir choisi, de mon plein gré, de publier chez « Figures », qu’il n’est pas du tout à exclure qu’à l’éditeur social-démocrate et « américo-sioniste », nous devions quelques dizaines de vies aussi. Il me comprendra. On s’expliquera là-dessus publiquement en temps voulu.

« Maintenant, je ne vais (donc) pas faire mon oie blanche, comme A.B. : j’avance toujours cartes sur tables ; lui ne fait jamais ce qu’il dit, et ne dit jamais ce qu’il fait. Moi je fais ce que je dis et inversement : dans le livre, tout est transparent. Il n’y a pas la moindre volte-face sur mes positions idéologiques, qui sont toujours les mêmes, seulement clarifiées à l’occasion de ce joyeux parricide (et il est facile de montrer que toute l’histoire de la philosophie n’est composée que de parricides. Le mien est un des plus spectaculaires parce que mon « Père » est particulièrement monstrueux, littéralement et dans tous les sens). Pour m’en tenir à la politique, je reste un enfant de la Commune, des anarcho-syndicalistes espagnols, des conseillistes et des situationnistes. Je suis anti-stalinien et anti-le-Mao d’après 1950 ; je crois bien être, décidément, anti-léniniste, pour des raisons très soigneusement exposées dans le livre. Je suis aussi fidèle –horreur ! hurlerait d’aucun- à la libération des mœurs et à la « contre-culture » des années soixante et ensuite. Mais enfin nous sommes d’accord sur quelques points essentiels, dont certains de ceux-là. La révolution américaine a voulu la liberté au détriment de l’égalité (de ce point de vue, oui, j’admets être plus proche –scandale !- de BHL que de Badiou. Nous avons tous aimé quelque chose des États-Unis et nous continuons). La communiste d’Etat a voulu l’égalité au détriment de la liberté. Les deux ont produit des horreurs (le plus grand génocide des trois derniers siècles aux States, la traite des noirs, la guerre militaire et tortionnaire anticommuniste en Amérique du sud ; Goulag, GRCP, Pol Pot, etc., de l’autre côté). Notre mélancolie de Français, c’est que nous ne pouvons renoncer ni à l’un ni à l’autre. De 1789 (et pas 93…) à mai 68, nous nous en sommes bien tirés : nous ne sacrifierons ni la liberté à l’égalité, ni l’égalité à la liberté. Il n’y a pas de concept de la liberté chez Badiou, pour des causes que je laisse à votre dilection. Je ne suis ni un « libéral-libertaire » ni un toquevillien comme Bernard ; c’est très clair entre nous. Mais nous sommes –horreur !- démocrates… Et aujourd’hui je préfère travailler, dans une synthèse disjonctive deleuzienne (il faudrait parler de la schizophrénie dans la pensée contemporaine : la non-assomption de cette question par Alain, son « rationalisme » antidaté dix-neuvième, l’a entraîné toute sa vie dans tous ses délires à crâne ouvert ; inversement l’assomption de la folie par une pensée contemporaine, Deleuze, Foucault, Derrida, Lacoue-Labarthe… aboutit à une sagesse authentiquement moderne, et non dévoyée), avec BHL, avec Négri, avec n’importe qui, pour la reconstruction patiente, polémique, etc., de la gauche, qu’avec Alain, qui n’a rien à nous apporter que sa métaphysique, qui lui échappera forcément, et ses vieilles récitations de Lénine et Mao. Pas de consensus avec BH (ou alors, comme il aime à dire : « consensus dur »), pas plus, à vrai dire, qu’avec qui que ce soit : ma pensée est singulière et irréductible à aucune autre. « Ça n’empêche pas l’amitié, laquelle n’a que faire de l’Un », comme dit A.B d’un de ses amis de « droite ». Ach ! L’amitié selon Alain B… »

Éclairant, non ? A Bernard-Henri, j’ai dit au téléphone, quand il me parlait de la « providence » de l’événement tunisien, en paraphrasant Pierre Michon (« Je ne crois pas à l’inspiration, mais je m’y fie. Et je m’y fie parce que ça marche ») : « Nous ne croyons pas à la providence, mais nous nous y fions. Et nous nous y fions parce que ça marche. » Heureusement que pour des raisons x, sur lesquelles je m’expliquerai aussi en leur lieu, la parution de « Après B. » a été retardée de deux mois. Vous m’imaginez devoir faire de la « promotion » en janvier ? J’ai été interviouvé sur « l’affaire Tarnac » début janvier, et n’arrivais à parler que de la Tunisie. Ca aussi, ces deux mois de retard, c’est de la Providence.

4 Commentaires

  1. Trop drôle ! Appeler « synthèse disjonctive deleuzienne » le fait de travailler « avec BHL, avec Négri, avec n’importe qui, pour la reconstruction patiente, polémique, etc., de la gauche »
    Il paraît que Mehdi Belhaj Kacem a écrit quelques livres de philosophie, un texte comme celui-là me dissuade de les lire…

  2. Moi…je n’ai jamais entendu BHL attaquer le benalisme dans le passé. L’iran?oui. Le Hamas? Oui…

    Mais Ben Ali? pas vu…Les internautes de Zarzis c’était au moins aussi grave que Sakineh!

    Pour être honnête, il faut admettre que Badiou n’a pas abandonné la démocratie, il en dit même le plus grand bien.

    Mais c’est vrai…et moi aussi je n’approuve pas Badiou en tout…et cette pente vers l’impuissance politique me frappe beaucoup chez lui, pourtant l’admiration qu’il mérite reste intacte et sauf un différent amical banal, rien n’explique un tel acharnement contre lui. Une telle folie!

    Tout ça a un caractère franchement anormal et je dois le dire apparement pathologique, de la « joie du parricide » à la dépression de l’abandonné, il n’y a qu’un fil.

    Ou pire, finir aigri comme Mavrakis…