« La brutalité idiote des fascismes de gauche. » (Adorno). La brutalité idiote du fasciste de gauche.

Le platonisme : « l’école de la grande calomnie » (Nietzsche). Le néo-platonisme : l’école de la très grande calomnie.

La Patriarche et ses mœurs féodales, de quelque bord et quelque culture qu’il soit : « vous m’avez trahi ». Eux se sont révoltés. À chaque partie son vocabulaire.

Luther, reprenant le Christ : « Tu vois la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le tien ». C’est une des questions soigneusement explorées par le livre à paraître : comment une philosophie – pardon : « la » philosophie, siouplaît –, qui nous promet partout l’accès au Bon, au Vrai, au Bon et au Bien, en vient-elle comme par miracle à tout enlaidir autour de soi, à tout calomnier, à tout humilier ? L’intégrisme laïc, comme l’intégrisme archaïque, de s’auto-introniser Autorité transcendante de Reconnaissance Immaculée du Bien, comme par hasard voit le Mal absolument partout. Et l’Inquisition le traquera dans les moindres détails, en faisant épokè de tout le reste, qui se trouve être l’essentiel du débat. Tout doit être ramené à son petit lorgnon merdeux, pour faire croire que ce qui est petit et merdeux, c’est ce qui est derrière le lorgnon. Comme le disait déjà Deleuze à peu près à un maldisant : « De toutes les hypothèses possibles, vous choisissez toujours la plus basse. »

Ils ont tous quelque intérêt symbolique à « l’effet A.B. », même quand ils ne partagent pas ses idées et sont infiniment plus proches des miennes. Ils écrivent, publient, éditent (je n’y mets pas mon ami Surya, mis dans l’embarras par l’affaire, et qui a eu le bon goût, lui, de ne pas colporter d’insultes dictées par en Haut. Un membre du comité de rédaction de Lignes m’a demandé de ne pas démissionner de cette revue. Eh bien, je précise que je n’ai pas démissionné. Avis à Michel : si, à chaque fois que quelqu’un dit du mal d’A.B., il l’exclut de sa revue en lui disant : « tu t’es exclu de toi-même », il risque de se retrouver bien seul. Mon livre ne fait que matérialiser le ras-le-bol que le trois-quart de la gauche intellectuelle radicale éprouve quant à « l’effet A.B. » – et d’abord au sein même de Lignes. Mais, de connaître mon sujet mieux qu’aucun autre, j’arrive à mettre le doigt sur tous les pourquoi de ce ras-le-bol. Comme me l’a dite sa toute première lectrice : nous n’en pouvions plus de ce « platonisme », mais nous ne savions comment faire pour commencer à l’entamer. Désormais, on saura.) Le ton est toujours fébrile, hargneux, pour tout dire un peu flic et indic. Ils répètent tous la même chose, avec le même vocabulaire stéréotypé dicté à l’oreillette « Big Brother », pour m’envoyer des mails perclus de calomnies stupides, toujours les mêmes. On dirait les « zorglhommes » de la bande dessinée « Z comme Zorglub » de Franquin. Bizarre qu’aussi « ultra-gauchistes » qu’ils soient, ceux qui ont lu le livre ne songent pas une seule seconde, eux, à activer des arguments de porte-flingues ventriloques, qui sont seulement furieux de ne pas l’avoir lu, pauvres chéris. À les entendre, on croirait qu’ils ont parfois enregistré des conversations téléphoniques d’il y a trois mois : l’esprit « Stasi » n’est pas bien loin. Le livre sort dans un mois, encore un peu de patience. Il est derrière moi, littéralement et en tous sens, ça me barbe d’en parler avant l’heure et, surtout, de discuter avec les psychologues « d’évier en latrines » (Artaud).

Mettons fin en un blog à ce pénible débat par le bas : j’ai pris la décision humaine de rompre avec Zorglub fin juin ; j’ai commencé mon livre en toute liberté, sans aviser encore à l’éditeur, que je n’ai essayé de rencontrer que deux mois plus tard, le livre à moitié écrit et l’autre moitié « programmée », car composée de choses que j’avais rédigées depuis des années. On se doute qu’il m’a fallu du courage, et même une belle insouciante témérité, la mise de côté de tous mes intérêts immédiats, comme la mise bas d’une chrysalide de mortification où je crevais vivant depuis six mois. Comme un certain nombre de mes livres, c’est un livre de survie et de nécessité : un livre littéralement vital. Je n’ai pas été « approché » (sic) par BHL et Nora ; le livre n’a pas été « commandité » (re-sic) par BHL, il aurait été le même publié à La Pensée Universelle ;  je n’ai pas été « payé pour liquider un proche » (re-re-sic – et une baffe, ça coûte combien ? –) ; enfin BHL ne m’a pas payé un centime, puisqu’il est directeur de collection, et donc que celui qui paye en ultime instance, c’est Olivier Nora, qui se trouve payer lui aussi… Zorglub. C’est moi qui suis allé vers lui, car il m’apparut vite le meilleur éditeur possible pour ce livre précis ; son professionnalisme et sa générosité n’ont depuis pas laissé une seule fois de me donner raison. On parle encore de « prostitution douce », par opposition, sans aucun doute, à la « prostitution dure » de qui s’est, grâce à moi, et à quelques autres, étalé depuis sept ans dans tous les médias possibles comme un vieux camembert, pour faire abondamment savoir à quel point il était content de lui-même, avait partout raison sur tout, et nous instruira à plus soif du bilan si merveilleusement positif de la GRCP, considéré depuis le café le Lutétia, ou de Vincennes. C’est à Philippe Nassif et moi, ils le savent bien, qu’on doit la hype A.B. depuis 2004 en France. D’où l’écumant harcèlement.

Je demeure situationniste jusqu’au bout des ongles. J’aime créer des situations. J’ai parmi d’autres créé il y a une dizaine d’années la situation « A.B. » dans le paysage intellectuel français. On me traita de fou à l’époque, on a vu la suite. On me traite de fou, maintenant ; on verra la suite.

J’ai toujours écrit librement, ce que je voulais. Le but de ce livre était, et est toujours pour l’essentiel, de secouer le cocotier de la famille intellectuelle à laquelle j’appartiens : la « gauche de la gauche » intellectuelle  française. Je trouvais que ça y ronronnait ferme depuis des années.

Élégantes façons de noyer une polémique intellectuelle dans une histoire de contrat éditorial tout ce qu’il y a de plus normal, conclu librement dans un État de droit, et une démocratie de libre expression. Quiconque connaît ce qui me tient lieu de « carrière » sait aussi quoi penser de ma compulsion, partout et toujours, de gloriole tous terrains. Quiconque connaît mon train de vie sait bien que, tel Salvador Dali, je suis en fait un « Avidadollar ».

J’en passe et des meilleures, qui disent toutes la même chose. Laissons donc en son lieu le livre même en venir aux choses sérieuses et au cœur du débat, de ma rupture. Heidegger, Badiou. Deux « monstres » de la pensée. A l’extrême-droite, à l’extrême-gauche, Hitler et Mao. Deux « cas » majeurs, deux « blessures pour la pensée », qui nous posent une seule et unique question, celle qu’active le livre : que faire du vingtième siècle politique, et de ses projections philosophiques les plus hautes ? Peut-on seulement en faire quelque chose ? Le risque du blog est la tentation de vendre la mèche. C’est ce qu’à ce jour j’ai réussi à éviter, mais la tentation risque d’être trop forte.

Mais enfin, quoi de mieux, pour réfléchir à tout ça sans brader les bonnes feuilles aux quatre vents de la toile, que de commencer à réfléchir philosophiquement sur le premier événement positif crucial du vingt-et-unième siècle ? Il se pourrait que l’événement tunisien nous apporte quelques éléments de réponse au Que faire qui se pose à qui est adulte au début du 21ème siècle, et recherche des paramètres de réflexion qui ne soient pas, toujours et encore, ceux du début du vingtième. Remettons donc « Après A.B. » à sa parution, et concentrons-nous pour le feuilleton à venir de l’« Après B.A. » Je n’aime décidément pas la forme-blog. J’ai trop à faire en Tunisie, de gens à rencontrer, d’enquêtes empiriques à mener, pour ressasser ce qui, pour moi, et pour tous ceux qui ont lu « Après. B. », appartient d’ores et déjà au passé. L’héroïsme de ce qu’a fait le peuple tunisien est une extraordinaire leçon d’humilité. Mon devoir, impronostique, est de me concentrer là-dessus dans les semaines qui viennent : comme en toute Révolution, il n’est pas un seul destin individuel ici, pas une seule parole, qui ne compte. Des « personnalités » aux « vies minuscules ».

Ah oui, j’oubliais : d’aucuns m’accusent « d’instrumentaliser l’insurrection tunisienne ». Bien sûr, bien sûr : merci l’oreillette à Zorglub, qui, lui, ne manipule ni n’instrumentalise jamais rien ni personne. Il faudrait l’écrire en frontispice : « On peut admirer et s’identifier spirituellement à Mao-Tsé-toung, sans avoir le moindre sens ni de la manipulation ni de l’instrumentalisation ». C’est mignon comme tout. C’est l’évidence, confondante de cohérence, d’à-propos et de vérité. Comme je le dis publiquement d’aucune philosophie (il y a déjà deux ans, avis aux Oies Blanches qui se « stupéfient » de ce qui affleurait depuis des années dans tous mes textes), paraphrasant ce qu’on disait de l’éthique de Kant : « Elle a les mains sales, mais elle n’a pas de mains. » Pour les basses œuvres diffamatrices comme pour le reste.

Petite question, qui révélera son tranchant dans quelques semaines : depuis quand ces gentils zorglhommes s’intéressent-ils à l’insurrection tunisienne ? Je réponds à leur place : pas depuis avant le cinq janvier. Pourquoi diable ? Qui sait… Il n’est pas à exclure que les deux personnes que les porte-flingues veulent rouler dans la boue y soient pour quelque chose.

Ma compagne tunisienne et moi-même y avons passé, pour ainsi dire, vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis le 14 décembre. Presque tous nos ami(e)s ont risqué, quotidiennement, leur peau ici. Quelques-uns connaissent des personnes qui l’y ont laissée. Nous nous sommes chaque jour rongés les ongles pour nos familles, et parfois un peu plus. Les risques que nous avons pris, depuis la France, sont évidemment infiniment moindres, mais bien réels. Nous sommes venus ici pour respirer l’air enivrant de la liberté, de l’Histoire, de la Renaissance. Il y a aussi l’extrême angoisse, la violence partout latente, les relents persistants de la Terreur. Ici, pas une nuit sans entendre de coups de feu. Nous avons même eu « l’honneur » de nous faire courser par des miliciens. Mais non, dira le Ménon du lorgnon merdificateur, empalant tout ce qui bouge dans la poutre des présomptions kafkaïo-staliniennes : « j’instrumentalise » le premier événement positif crucial du 21ème siècle, qui se trouve venir du pays où j’ai grandi. Alors qu’il est facile de se rendre à l’évidence : c’est nous qui sommes les minuscules instruments, à la mesure de notre « capital symbolique », de l’événement en cours. Ce qui est le moindre des engagements éthiques devient à son tour intention louche, mesquine, calculatrice pour l’Inquisition de l’intégrisme laïc du jour. Considéré depuis la douilletterie du gauchisme parisien, on parle de « déshonneur », de « naufrage », de « fiasco ». Pour qui ?

Il est merveilleux qu’Alain B. parvienne à l’exploit, dans ses premiers commentaires de l’événement, à ne pas prononcer une seule fois les mots « liberté », « démocratie », « Révolution ». Il en parle comme de simples « émeutes », presque comme Sarkozy (« la désespérance de la jeunesse tunisienne », confondant avec les émeutes de banlieue françaises de 2005. Alors que la Tunisie d’aujourd’hui n’est rien d’autre que « L’espoir maintenant »). Ceux qui hésitent encore à user du terme « langue de bois stalinienne » font preuve d’une bonne foi qui sent la séance d’hypnose. Qu’est-ce que ces vertueux zorglhommes, donnant leurs leçons ventriloquées d’un point si confortablement imprenable, ont risqué personnellement là-dedans ? Quels risques intellectuels ont-ils jamais pris, en général ?

Je proposerai donc, dorénavant, aux lecteurs de La règle du jeu un entretien accordé à un philosophe américain la semaine dernière, depuis la Tunisie, écrit comme on parle. Trois pages tous les deux jours. Pas besoin de « coller » à l’actualité pour que tout colle. Pas besoin de blogger en direct pour que ça fasse blog.

Bravo aux Égyptiens, bon courage aux Algériens. Un des signes positifs du séisme qui secouera bientôt le monde entier est le réveil de la société civile israélienne : « nous aussi nous avons des gouvernements pourris ! Les arabes sont nos cousins, nos frères ! » Et de l’iranienne. Ahmadinedjad, dégage. Nethanyaou, dégage. Berlusconi, dégage. Poutine, dégage. Français, encore un effort pour être démocrates. Sarkozy…