Un an plus tard. Le cœur, maintenant, de l’affaire. Je commence, cette fois, par les documents.

Document 1.

Lettre de Jean-Luc Godard à Claude Lanzmann et Bernard-Henri Lévy (18 mars 1999)

Chers amis,

Suite à notre rencontre d’il y a quelques semaines, ces lignes pour vous faire part de la chose suivante.

J’ai été contacté par MM. Gilles Sandoz et Pierre Chevalier, lesquels produisent en ce moment pour Arte une série de films d’une heure intitulée « Gauche-Droite », et réalisée par divers metteurs en scène. Je leur ai proposé, pour ma part, une sorte de reconstitution de notre dîner de l’autre soir. Le titre serait : « Pas un dîner de gala ». Il s’agirait d’une conversation à trois dans un lieu à convenir, où s’opposeraient ce que, pour simplifier, je nomme partisans de l’image et partisans du texte. Le film pourrait être intitulé aussi : « Un fameux débat ». L’idée m’en est venue en relisant le texte de M. Gérard Wajcman (« le match Godard-Lanzmann) dans la revue du meilleur ami de Woody Allen. Cinématographiquement, ce film de télévision serait divisé en deux parties : le dîner, le débat proprement dit, d’une durée d’une demie heure, enregistrée « live » comme on dit, par un réalisateur choisi par les producteurs. Puis trois métrages de dix minutes chacun, ou cinq minutes si le débat-dîner dure quarante-cinq minutes, au cours desquels chacun des convives résumerait sa position de la façon qu’il jugerait bon. La production fournira à chacun le budget et les moyens techniques désirés. Je ne sais ce que vous penserez d’une telle proposition et vous prie de le faire savoir aux dits producteurs dont vous trouverez les coordonnées ci-après. Il faudrait en outre que la chose puisse être faite courant juin 1999. Amicalement à vous.

JLG

Donc, nous y sommes.

Ici naît le projet « Pas un dîner de Gala » qui apparaît, mais avec des imprécisions, dans les biographies de Richard Brody et d’Antoine de Baecque.

A noter que l’initiative de ce projet revient à Jean-Luc Godard : comme souvent avec lui, tout procède d’une commande (en la circonstance, la collection « Gauche-Droite » qu’avait lancée Pierre Chevallier sur Arte et que devait produire, pour une société qui s’appelait alors Agat Films, Gilles Sandoz ; qui venait de le solliciter, lui, Godard, pour occuper une de ses cases ; et dont il proposait, donc, de partager avec deux autres, Lanzmann et moi, le temps d’antenne qu’elle lui avait imparti).

A noter l’évocation de l’article de Gérard Wajcman, Saint-Paul Godard contre Moïse Lanzmann ? qui était paru dans Le Monde du 3 décembre 1998 et qui était lui-même la réaction à une interview donnée par lui, Godard, le 21 octobre précédent, à Serge Kaganski des Inrockuptibles et où il déclarait notamment : « je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, mais je pense que si je m’y mettais avec un bon journaliste d’investigation, je trouverais les images des chambres à gaz au bout de vingt ans ; on verrait entrer les déportés et on verrait dans quel état ils ressortent ; il ne s’agit pas de prononcer des interdictions comme le font Lanzmann ou Adorno, qui exagèrent parce qu’on se retrouve alors à discuter à l’infini sur des formules du style « c’est infilmable » ;  il ne faut pas empêcher les gens de filmer ; il ne faut pas brûler les livres, sinon on ne peut plus les critiquer ».

Et à noter, enfin, l’évocation du « dîner de l’autre soir » dont ce projet de film devait être, à ce stade, l’exacte reconstitution et qui avait eu lieu le 4 février, à la demande de Godard, à mon domicile, en présence de Nathalie Bloch-Lainé, Alain Sarde et Arielle Dombasle, et parce qu’il souhaitait rencontrer Claude Lanzmann auquel il savait que me liait une vive amitié : l’idée était, pour Godard, de faire connaissance ; de comprendre le point de vue de l’auteur de Shoah ; et, aussi, de commencer de vider avec lui, mais face à face, la sourde  querelle que, par personnes interposées, ils poursuivaient depuis la parution de l’interview avec les Inrocks.

Quid, alors, de ce dîner ?

Puisque le film devait en être le remake, que s’y est-il, au juste, passé ?

Je reprends mes notes de l’époque et y lis, en gros, ceci.

Lanzmann dit à Godard que l’interview aux Inrocks l’a choqué ; qu’il n’a jamais, au grand jamais, songé à interdire quoi que ce soit ; et qu’il ne se sent, d’aucune manière, ce « partisan du texte » opposé  à des « partisans l’image » dont Godard serait le porte-étendard – avoir tourné des centaines d’heures de rushes, en avoir monté 9 et demi et se voir traité d’ennemi de l’image, « vous êtes gonflé, Godard ! »

Je dis, appuyé par Nathalie Bloch-Laîné, que l’argument godardien recèle, sous ses dehors d’évidence et de gentil défi, une perversité supplémentaire : imaginons que, malgré le « bon journaliste d’investigation », vous ne trouviez rien « au bout de vingt ans » ; que faudra-t-il en conclure ? que les chambres à gaz n’ont pas existé ? qu’il y a un doute, au moins, sur cette existence ? quel étrange raisonnement…

Lui, Godard, nous répète son credo de toujours, sa religion du cinéma, c’est-à-dire du texte et de l’image indissolublement articulés ; il nous oppose, l’affinant au fil du repas, sa version du théorème hégélien que nous avions, en effet, bien entendu mais qui est cela même qui jette le trouble (« tout ce qui est réel est filmable, seul ce qui a été filmé est et demeure pleinement réel ») ; et, au soupçon d’apporter, ce faisant, de l’eau au moulin des faussaires, il répond que non, bien sûr, cela n’a rien à voir et qu’attendre du cinéma qu’il s’affronte à l’événement du siècle, le sommer d’en rendre compte avec ses moyens propres, insister qu’il serait au dessous de lui-même et de ses devoirs s’il ne parvenait pas à s’acquitter de cette tâche et à donner forme à la chose dans sa langue et sa syntaxe, c’est juste rendre hommage au cinéma et rappeler combien nous sommes tous, cinéastes compris, les obligés, en la circonstance,  de cette page unique de l’Histoire contemporaine.

La discussion est animée mais franche et amicale.

C’est un vrai débat sur la question de la représentation, ou non, de la Shoah ; sur les pouvoirs de l’art et ses responsabilités ; sur le film même de Lanzmann, Shoah, dont je ne parviens pas à savoir si Godard l’a, ou non, intégralement vu mais dont il parle avec respect.

Il y a aussi des moments drôles comme celui, à la toute fin, où Godard, en guise d’adieu, et s’étant senti, il me semble, intellectuellement dominé par Lanzmann, lance à celui-ci, qui ne sait comment la prendre, cette phrase curieuse : « nous avons mis le même temps, vous pour tourner Shoah, moi pour Histoire(s) du cinéma ».

Mais soyons clairs.

Que tel ou tel propos sur les « images des chambres à gaz » trouvées « au bout de vingt ans » par « un bon journaliste d’investigation », puisse être limite et mal interprété, c’est moi qui l’ai souligné ce soir-là et j’en suis plus conscient que quiconque.

Que cette façon de transformer Lanzmann – et, au passage, Adorno – en abominables censeurs sous le seul prétexte que l’un dit la difficulté de faire de la poésie après Auschwitz et l’autre son refis de la mise en fiction de l’horreur ne soit ni raisonnable ni saine, je l’ai également, au cours du même dîner, abondamment souligné et il ne fait pas de doute que cela doive être mis au compte des « ambiguités » godardiennes.

Mais qu’il nous ait été donné, au fil de la discussion, d’être les témoins de je ne sais quel passage à l’acte, ou même lapsus, antisémite, que l’on en ait senti l’ombre ou l’arrière-pensée dans l’ensemble du propos, que Godard, en d’autres termes, se soit découvert à cette occasion et ait révélé son vrai visage, cela, non, je ne peux pas le dire – et je ne crois pas qu’aucun autre convive de ce fameux dîner ait pu ou puisse, encore aujourd’hui, le dire.

Document 2.

Nouvelle lettre de Jean-Luc Godard à Messieurs Gilles Sandoz, Claude Lanzmann, Bernard-Henri Lévy, Julien Hirsch (18 juin 1999)

Chers amis, suite à mon précédent courrier, trouvez ci-après quelques précisions et ajustements.

(I) La séquence de la salle à manger aurait pu être enregistrée telle quelle lors de notre dîner à l’hôtel de Rossellini, le duc Thuo ( ?) [sic] et Kissinger. Je ne crois plus que l’idée d’un travelling circulaire puisse encore s’imposer. Il suffit d’une seule caméra, filmant à l’ancienne, simplement et fixement les trois personnes en cause. Julien Hirsch propose avec raison d’utiliser une caméra <dv pro permettant d’avoir une autonomie d’une heure. Si l’exploration d’une cause commune, de sentiments partagés, ou au contraire d’idées opposées l’exige, l’enregistrement peut se poursuivre une heure de plus, avec peut-être un angle de prise de vue soit plus éloigné que le premier soit plus rapproché. Si l’on tient à garder l’idée d’un travelling circulaire, ce n’est que dans le décor de salle à manger vaguement luxueuse qu’il doit se produire. Alors un très lent mouvement d’aller et retour d’une demi-heure chacun. Quelques figurants me semblent être les bienvenus, attenant que les allées et venues de serveurs accomplissant leur travail. Il s’agira ensuite d’extraire de ces une ou deux heures les neuf minutes environ octroyées à cette séquence. A priori, je suis pour un seul extrait d’environ neuf minutes, et non pas pour plusieurs extraits, même s’ils s’enchaînent par des surimpressions simples. Ce n’est pas en effet un débat qui est filmé, mais seulement l’image d’un débat ; et il importe de garder l’idée et le sentiment des blocs (sept en l’occurrence).

 

(II) Les trois séquences (blocs) dites des exposés sont introduites par les titres seuls des exposés. Les scientifiques diraient : communications. En fait, c’est comme si dans la séquence réaliste de la salle à manger, à un moment donné, on passait de la personne en train de parler extérieurement dans son intérieur, comme si on franchissait une sorte de porte, et que l’on entendait alors le vrai « credo » de cette personne. Le ou les plans constituant l’exposé (celui qui s’expose) doivent donc correspondre à une situation, certes reconstituée, mais plausible pour cette personne. Dans l’exercice de ses fonctions, comme on dit. Dans une réalité qui est sienne et ne peut donc être inventée. Pas une tranche de vie comme le disait avec tact les « progressistes », ou alors celui qui s’expose à trancher ce moment choisi de vie. Je dirais, si je ne craignais d’être un peu seul à entendre une différence, que les paroles dans la salle à manger sont télévisées, et que celles des exposés sont cinématographiées. En bref, il ne s’agit pas d’une œuvre mais de la délivrance d’une croyance, d’une certitude ou d’une incertitude, d’un espoir ou d’un désespoir, etc. Ce n’est pas obligatoirement ce que dit la personne exposée qui doit être ressenti comme vrai, mais elle-même à la recherche. En bref encore, il ne s’agit plus d’une conversation comme à l’hôtel, aussi sérieuse et sincère soit-elle, mais déjà une musique. On dit autrement, avant on disait ce que l’on pense, maintenant on pense ce que l’on dit. La caméra et le ou les plans éventuels doivent respecter cela, principalement si d’autres gens sont filmés avec la personne dans la situation choisie.

 

(III) Les trois dernières séquences, dites film1, film2, film3, sont introduites par les titres des films mais accompagnés cette fois par le nom de l’auteur et réalisateur du film en question. Il s’agit donc d’œuvres, de compositions dont les trois visages et les trois corps visibles lors des trois exposés sont absents. Il s’agit donc d’abord d’une illustration, d’un plaidoyer, d’une prière, d’une démonstration, d’une note en bas de page, etc. Mais il peut s’agir aussi de quelque chose de plus vaste (même en sept minutes environ) ou de plus ordinaire ayant un rapport moins philosophique et plus sentimental avec l’idée de gauche/droite.

 

(IV) Voilà chers amis, les quelques pensées qui me sont venues en réfléchissant à notre projet. Dans le fond, elles ne font étrangement que définir la forme exacte du vase dans lequel nous allons bientôt mettre plus ou moins de fleurs. Puisse cela faire un plus joli « bouquet » que ceux de Tf1, Canal et compagnie. Amicalement à vous.

Jean-Luc Godard

Dans cette nouvelle lettre (adressée donc à Claude Lanzmann et moi – mais aussi à Gilles Sandoz ainsi qu’à Julien Hirsch, le collaborateur de Godard dont le nom reviendra plusieurs fois au fil de ces échanges) Godard a modifié son projet. Ou peut-être l’a-t-il enrichi. Et nous sommes passés de la reconstitution pure du dîner du boulevard Saint-Germain à un dispositif élaboré dont le dîner ne forme plus que le hors d’œuvre (juste « l’image d’un débat ») et dont l’essentiel sera constitué de : primo trois déclarations d’intention (Godard en est presque à dire des « communications » où, au lieu, comme dans le prologue de « dire ce que l’on pense » on devra,  selon lui, « penser ce que l’on dit ») ; et, secundo,  trois « films » écrits et tournés par les trois auteurs mais d’où ceux-ci seraient physiquement absents (« une illustration, un plaidoyer, une prière »…).

Alors, comment le projet a-t-il évolué ? Pourquoi ? Sous l’effet de quelles influences ou circonstances ?

Je reviens, à nouveau, à mes notes – prises, comme toujours, au jour le jour.

Il faut d’abord savoir qu’a eu lieu, un peu moins d’un mois plus tôt, le lundi 24 mai, une réunion à trois, au domicile de Lanzmann, dans le beau bureau, encombré de livres et de photos, où, je crois, se tiennent, depuis la mort de Sartre, les comités de rédaction des Temps modernes. Étrange réunion où, contrairement à ce qui s’était passé lors du dîner du boulevard Saint-Germain, contrairement à la liberté de ton qui fut alors de mise, il n’a jamais été explicitement question du sujet de notre ou de nos films. « Le » sujet, dit Godard… « La chose », insiste-t-il, en feuilletant, comme chez moi, un livre, une revue, un journal… « L’objet », répète-t-il, mais sans jamais en dire plus, sans jamais dire « la Shoah » par exemple, ni « les juifs », ni « le judaïsme » et sans que – soyons honnêtes et ce n’est pas, avec le recul, le moins extraordinaire de toute l’affaire – nous en disions, Lanzmann et moi, plus que lui… Au point qu’à un moment donné, n’y tenant plus, je me risque à un modeste éclat qui veut sans doute aider à détendre l’atmosphère mais qui, lui aussi, reste absurdement crypté et ne fait qu’alourdir encore le climat : « notre projet, ce n’est plus ˶Pas un dîner de gala˶, mais ˶Comment tourner autour du pot˶, qu’il va bientôt falloir l’appeler »…

Et puis il faut savoir aussi qu’a encore eu lieu, huit jours avant sa lettre, le 9 juin, ce nouveau dîner qu’évoque Godard, à l’hôtel Raphael cette fois (celui-là même que, dans sa lettre, et parce que Rossellini et Ingrid Bergman y ont vécu vingt ans plus tôt, il appelle « l’hôtel Rossellini »). Dîner encore plus étrange. Et même, lorsque je relis mes notes, complètement ahurissant. Restaurant vide. Lanzmann plus bougon qu’à l’accoutumée et que chez lui. Godard arrivé pas rasé et restant, jusqu’au dessert, sans enlever son imperméable. Gilles Sandoz attablé, un peu plus loin, avec quelques uns de ses collaborateurs et nous épiant de loin, très inquiet, affolé même, voyant bien que les choses ne tournent pas bien, brûlant sans doute d’intervenir et de nous apporter ses lumières de grand producteur chevronné – l’air, dira l’un de nous trois dans l’un des rares moments un peu libres de ces deux heures terriblement pesantes, de ces courtisans attendant, chaque matin, à la porte de la chambre nuptiale de Louis XVI et Marie-Antoinette, que soit confirmée la « consommation » du mariage. Et, de fait, une sorte de conversation, s’il est possible d’appeler cela une conversation, qui se déroule en trois temps.

1. Comme chez Lanzmann, le même « tour autour du pot » : Rossellini, qui a vécu là et que Godard se souvient être venu voir dans la chambre numéro 7, au rez-de chaussée, qu’il occupait à l’année; un article de Robert Redeker paru le samedi précédent dans Le Monde et qui enchante Lanzmann; un échange public que nous venons d’avoir, Lanzmann et moi, autour de la question du Kosovo et dont Godard pense qu’il doit, d’une façon ou d’une autre, rester une trace dans nos films (lui, Lanzmann, condamnant par principe, et comme d’instinct, les bombardements aériens américains sur Belgrade et moi qui, dans mon dernier Bloc-notes, m’appuyais sur le concept de guerre juste pour défendre l’intervention des forces de l’OTAN) ; des jugements cocasses et savants sur les mérites comparés des eaux minérales qui nous sont offertes par le maître d’hôtel, etc.

2. Godard qui, pour la première fois, entre « dans le pot » – mais par la périphérie toujours, et même à reculons : une confidence sur son père qui était médecin à la Croix-Rouge et qui était peut-être « au courant pour les camps » ; un propos mâchonné sur « cette question » (toujours pas nommée – mais l’allusion, cette fois, est claire) qui n’a jamais, nous dit-il, cessé de l’occuper  (« elle m’obsède, je ne pense qu’à elle, j’arrête d’y penser, et puis je recommence d’y penser de manière insistante ») ; un air d’effroi quand Lanzmann, évoquant son amitié légendaire avec Alain Sarde, lui lance « vous êtes complètement enjuivé » et qu’il répond, lui, Godard, d’une voix soudain très faible et presque pitoyable : « oh non, vous ne pouvez pas dire ça comme ça ».

3. Une troisième partie, carrément comique, où Godard explose mais sous le plus absurde des prétextes : « j’en ai assez ; c’est toujours les mêmes qui se déplacent ; c’est moi qui, pour l’instant, suis venu cinq fois à Paris ; j’ai fait cinq fois 1200 kilomètres, c’est-à-dire 6000 kilomètres ! et vous ? c’est toujours les mêmes qui se déplacent ; les Parisiens nous méprisent ». Moi qui lui réponds, à moitié par politesse mais à moitié, aussi, parce que je me dis que cela me permettra de revoir François Musy, ce maître du Son avec qui j’ai fait Le Jour et la Nuit et qui travaille avec lui, Godard, à Rolle : « eh bien qu’à cela ne tienne, c’est donc nous qui, la prochaine fois, ferons le voyage et viendrons vous voir à Rolle ». Et Godard, alors, air du type complètement affolé qui a mis en marche  une machine infernale et ne sait plus comment arrêter : « non, non, pas Rolle, surtout pas Rolle » – mais sans autre explication.

Voilà où nous en sommes quand nous parvient cette lettre du 18 juin.

Voilà quel est le climat dans lequel Godard l’a écrite – et qui rend d’autant plus bizarre mais, aussi, sympathique la précision extrême, maniaque, passionnée, de ces notes.

J’ai peine, quand je rassemble, comme ici, mes souvenirs à imaginer que c’est bien le même homme qui boudait, ronchonnait, jouait l’absent,  au Raphael et chez Lanzmann – et qui, ici, rêve son « joli bouquet ».

Le film, en tout cas, est là.

Il l’a au bout de la plume et du viseur.

Je ne vois pas à quoi il fait allusion quand il parle de « cinq voyages » à Paris puisque je n’en dénombre que trois, peut-être quatre si je compte notre dernier tête à tête, Boulevard Saint-Germain, où il m’avait, pour la première, confié son désir de rencontrer Lanzmann. Mais peu importe. Le film, je le répète, est là. Il ne reste qu’à le tourner.  Et à retrouver, ne fût ce qu’une fois, le ton d’amitié et de liberté qui prévalait lors du premier dîner.

Document 3.

Nouvelle lettre de Jean-Luc Godard à Gilles Sandoz, Claude Lanzmann, Bernard-Henri Lévy et Julien Hirsch (29 juin 1999)

Chers amis,

Il m’a semblé bien inutile que le Monde soit informé de notre projet commun, et je partage l’avis de Nora à la fin de l’Introuvable de Dashiell Hammett :

« Not unless you’re in a hurry. Let’s stick around awhile. This excitement has put us behind our drinking.”

“It’s all right by me. What do you think will happen to Mimi and Dorothy and Gilbert now?”

“Nothing new. They’ll go on being Mimi and Dorothy and Gilbert just as you and I will go on being us the Quinns will go on being the Quinns. Murder doesn’t round out anybody’s lyfe except the murdered’s and sometimes the murderer’s.”

“That may be, “ Nora said, ‘but it’s all pretty unsatisfactory.”

Amicalement sans doute.

Jean-Luc Godard

Cette troisième lettre, manifestement agacée (« amicalement sans doute »….) fait suite à un court article de Jean-Michel Frodon, paru dans Le Monde du 27 juin 1999, et intitulé « Le fameux débat ». Cet article dévoilait, en effet, l’esprit de notre projet.  Et cette annonce était, en effet, pour le moins prématurée. D’où venait-elle ? Comment s’était passée la fuite ? Aujourd’hui encore, mystère. Je note, néanmoins, qu’elle ne remet apparemment rien en cause.

Document 4.

Lettre de Jean-Luc Godard à Gilles Sandoz avec copie à Claude Lanzmann et Bernard-Henri Lévy (12 juillet 1999)

Le temps passe, pourtant.

Le projet n’est pas en cause, mais il piétine.

La date de « courant juin » dont Godard disait, dans sa première lettre, le 18 mars, qu’elle lui semblait idéale est largement passée

Et le dîner de la veille, dimanche 11 juillet, au Crillon cette fois, a été aussi tendu, et même plus, que le précédent.

Gilles Sandoz a préféré, cette fois, ne pas être là du tout car il pensait que sa présence, à la table voisine, comme le soir du Raphael, ne servirait qu’à ajouter une pression, donc une tension, dont n’avait franchement pas besoin un projet dont on commence de sentir qu’il est plus fragile, incertain, qu’il n’y paraît.

Mais le fait est que sa décision, loin d’arranger les choses, les a sans doute aggravées en contrariant davantage encore un Godard qui décida, comme il le lui écrit dans cette lettre, de voir dans cette absence une marque de désintérêt pour le projet ; ou un manque de professionnalisme ; ou le signe d’un départ de Paris avant ce qu’il appelle les « vacances d’usage » et dont les dates semblaient, dans son esprit, étonnamment précises ; ou même, allez savoir, une soudaine réticence à fournir ces « contrats » qui, dans l’univers godardien, ont toujours eu une importance extrême (et qui, du reste, allaient très vite suivre) – le fait est que, de nouveau et, d’une certaine manière, plus que jamais, nous avons passé tout le dîner à ne pas nous dire un mot de ce qui était censé nous opposer, nous rapprocher ou, au moins, nous occuper.

Je souris en retrouvant, dans cette lettre, écrite le lendemain, les formules «  l’on sait bien de quoi l’on veut parler » ou « trois déclarations résumant pour chacun le fond du débat » qui continuent dans le même jeu de cache-cache avec un thème, un sujet, un film, toujours aussi innomés.

Rien n’est plus drôle, non plus, que sa façon d’y écrire des « deux repas » de cauchemar (Raphael, Crillon) où, je le répète, rien ne s’est dit ni produit puisque nous nous y sommes regardés, deux heures durant, en chiens de faïence que, s’ils avaient été « filmés », ils « conviendraient aujourd’hui ».

J’y retrouve également la trace d’une vive discussion issue d’une question soulevée par Lanzmann et touchant tant à la responsabilité de chacun sur ses propres montages qu’à la propriété finale des images, rushes compris, issues du filmage du dîner : connaissant les thèses de Godard sur le régime de propriété (quasiment collective ou, en tout cas, inassignable) du flux d’images produites et déferlant, tous les jours, sur le monde, nous avions, en effet, quelques raisons de nous inquiéter et de tenter, nous aussi, de mettre « les points sur les i ».

A cette date, pourtant, 12 juillet, le film est en retard mais toujours d’actualité.

Et je trouve même que Godard n’a jamais semblé si pressé et, plus encore, si précis quant à la forme de cet objet filmique dont il a eu l’idée et dont il poursuit manifestement le rêve.

Cher ami,

Nous avons donc dîné encore une fois hier soir à l’hôtel de Crillon. Je me suis étonné de votre absence, mais pour les autres, elle semblait aller de soi.

Je serai de nouveau à Paris avant les vacances d’usage, soit le lundi 19 juillet au soir, le mardi 20 et le mercredi 21 juillet jusqu’à 16 heures, à votre disposition. Je souhaiterais vivement bénéficier d’un contrat à ces dates. Je pense qu’il en va de même pour les autres, y compris J.H.

Ci-joint un dernier point sur les i de la situation telle que je la comprends et la ressens. Amicalement à vous.

Jean-Luc Godard

Copie aux trois autres

 

2

Exposés des trois auteurs, ordre des exposés choisis à la majorité simple (dont producteur) ou par tirage au sort, durée max. 10’, mini. 08’

En principe un seul plan, mais l’exposé de l’auteur étant fait dans une situation propre à l’auteur, celui-ci peut demander un autre plan définissant la situation d’où parle l’auteur,

 

3

Un court-métrage réalisé par l’auteur dans le cadre du devis défini par le producteur, durée max. 07’-09’ selon que la conversation de début aura moins de 09’,

L’image de l’auteur est absente, seule sa voix peut être présente off screen,

Pour JL. G, si l’on sait bien de quoi l’on veut parler, la conversation peut consister simplement en trois déclarations résumant pour chacune le fond du débat.

Pour C.L., il me semble qu’il souhaite un enregistrement de longue durée dont sera extrait les environs 3×3 minutes de chacun. Cette durée aurait l’avantage selon C.L., de permettre de préciser des enjeux et des termes plus approfondis lors des exposés et des courts-métrages.

Pour JLG, cette durée a déjà été utilisée quatre fois (les deux repas auraient été filmés qu’ils conviendraient aujourd’hui), mais il n’a rien contre le fait de continuer à converser encore une fois.

(on oublie toujours que la juridiction d’Arte a fixé à une heure la durée finale de l’instruction. L’avantage pour les prévenus c’est qu’ils reçoivent un salaire.)

L’enregistrement des exposés, tout comme l’utilisation des auteurs, et leur final cut appartient à ceux-ci dans les limites du devis fixé apr le producteur. (Il est clair que le dispositif de tournage relatif aux exposés est celui d’un simple interrogatoire de télévision. Si par exemple un auteur choisi d’exposer le fonds de son âme sur la place Tianmen ( ?) [sic], les frais de voyage seront déduits du devis de son court-métrage),

Chaque auteur  peut voir ou montrer aux autres ce qu’il a fait, ou indiquer ce qu’il compte faire. Il peut aussi n’en rien faire et préférer attendre l’établissement final de la copie finale antenne.

Lors du dîner d’hier soir, j’ai tenté de préciser l’importance des trois blocs d’images et de sons différents présentés à la vision et l’audition (l’entendement disait le pauvre W. Benjamin) des éventuels spectateurs. Il me semble essentiel en particulier de l’exposé ne soit en rien un premier court-métrage. Pour résumer grossièrement, il m’apparaît que 1) présente la société, que 2) représente la personne, que 3) représente l’art (et/ou sa résistance) et comme le disait le vieux Brunschvicg, un est dans deux, deux est dans un, et ce sont les trois personnes.

Amicalement à vous de nouveau,

Jean-Luc Godard

 

 

(titres : lettres blanches ordinaires sur fond noir)

Arte Agat Films présentent

Le  énième film de la série gauche, droite

En compagnie de

(générique débat)

Claude Lanzmann

Bernard-Henri Lévy

Jean-Luc Godard

La révolution n’est pas

(musique : aux armes etc. » de S. Gainsbourg)

 

Hôtel, salle à manger, conversation, débat (environ 9’)

 

Pas un dîner de gala

 

(titres : lettres blanches sur fond noir)

Exposé 1, 2 et 3, environ 10’ chaque.

 

(titres : lettres blanches sur fond noir)

Film 1, 2 et 3, 7’ chaque environ

 

Générique de fin (« Aux armes, etc. » de S. Gainsbourg.

Document 5.

Lettre de Gilles Sandoz à Bernard-Henri Lévy (6 septembre 1999)

Cette lettre, annonçant l’arrivée des fameux « contrats » réclamés par Godard début juillet, m’est adressée. Mais les deux autres co-auteurs en reçurent, naturellement, une semblable. L’été a passé. Le projet a pris du retard. Mais il est, plus que jamais, envisagé.

Paris, le lundi 6 septembre 1999

Cher Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joints une proposition de contrat d’auteur, ainsi qu’une proposition de contrat d’Auteur/Réalisateur. Si le contenu des contrats vous convient, il vous sont adressés en 3 exemplaires pour signature.

Nous vous prions de recevoir, Cher Monsieur, nos meilleures salutations.

 

Emmanuelle PINET pour

Gilles SANDOZ

Document 6.

Lettre de moi, Bernard-Henri Lévy, à Gilles Sandoz, le 13 septembre, suite à l’envoi des contrats

13 septembre 1999

Cher Gilles Sandoz, je suis parti pour Cuba. Mais j’ai laissé les contrats signés, qui sont à votre disposition à mon secrétariat.

Toutefois, je voudrais, avant de vous les remettre, faire une remarque.

Plus j’y pense, plus je trouve qu’il serait regrettable que nous nous éloignions de l’esprit de l’entreprise tel que l’avait défini Jean-Luc Godard lors de nos toutes premières réunions.

J’entends par « esprit de l’entreprise » l’idée d’un film en trois types de modules : le débat, ou l’idée de débat, bien sûr – mais aussi « les déclarations » et les « courts-métrages ».

En d’autres termes, je voudrais qu’il soit clair que nous ne renoncions pas à ce qui fera l’originalité de « Pas un dîner de gala ».

En d’autres termes encore, j’aimerais qu’il soit convenu que la partie débat, même si elle devait être longue, n’excède pas, par exemple, une trentaine de minutes ; seule solution pour que restent possibles les autres éléments.

Quant au montage, je m’inquiète, comme Claude Lanzmann, de la forme qu’il prendra. Imaginons qu’il n’y ait pas d’assentiment entre les trois protagonistes de la discussion quant aux éléments forts du débat en question. Je propose qu’il soit dit, également, qu’il reviendrait alors à chacun d’entre eux d’indiquer, pour un tiers, le ou les fragments qui lui sembleraient les plus représentatifs de ce qui s’est dit pendant l’heure ou les heures du dimanche soir au Raphaël.

Pardon d’avoir l’air excessivement « formaliste ». Mais je préfère que ce genre de choses soient dites avant qu’après…

Toutes mes amitiés.

Dicté par Bernard-Henri Lévy,

Absent de Paris.

 

PS : je suis joignable à Cienfuegos sur des numéros que vous donnera mon secrétariat [rajouté en bleu : 0144392231]

Il faut savoir, pour comprendre le ton de cette lettre, que nous nous sommes encore revus, tous les trois, Lanzmann, Godard et moi, le 5 septembre, pour un nouveau dîner au Raphael. De cette rencontre, contrairement aux autres, je n’ai gardé que peu de traces. Juste la naissance d’un problème – dont cette lettre fait foi –  quant à la différence d’appréciation que nous pouvions avoir des images du dîner lui-même. Puis une série de questions posées par Lanzmann sur la personne qui serait aux commandes de la « régie finale » et qui déciderait donc des images retenues dans le premier film (le dîner proprement dit). Puis la réitération, par moi, de nos inquiétudes quant au sort, à la destination, à l’éventuel ré-usage, et par qui, et selon quelles règles et procédures, des images non retenues. Et je me souviens surtout  des réponses – qui nous avions trouvées bien évasives et qui nous avaient, du coup, confirmés dans nos suspicions – d’un Godard grommelant que la question de la propriété des images était une question absurde, obsolète, et que le monde d’aujourd’hui avait peu à peu vidée de son sens.

Il faut savoir encore que nous avons eu un autre rendez-vous, le surlendemain, 7 septembre, chez Lanzmann, dans une atmosphère de plus en plus délétère et, à bien des égards, hilarante. Jean-Luc Godard n’a-t-il pas passé l’heure de l’entretien à nous parler, dans un monologue d’abord entrecoupé de grognements de Lanzmann et de protestations de moi, puis, très vite, quand nous comprîmes, l’un comme l’autre, que rien ne saurait l’arrêter et que c’est sur cette longueur d’ondes qu’il avait décidé, cet après-midi là, d’émettre, entrecoupé de plus rien du tout – Jean-Luc Godard, donc, n’a-t-il pas passé l’heure de la « conversation » à nous parler du chauffeur de Proust, Agostinelli, de la valeur de l’avion que Proust lui avait offert et dans lequel il allait se tuer, de la valeur qu’il aurait aujourd’hui, de cette différence entre les deux prix qui semblait le plonger dans d’insondables méditations et du livre de Pietro Citati, La Colombe poignardée, où il avait pris, je suppose, ses informations du jour ?

Et il faut savoir, enfin, que nous avions, le 10 septembre, veille de mon départ pour Cuba, déjeuné, Lanzmann et moi cette fois, au bar du Ritz – et que j’ai compris là que lui, Lanzmann, commençait à en avoir assez de ce dialogue de sourds et de la comédie qui allait avec : quel intérêt, quand on a fait Shoah et qu’on est l’auteur de l’un des très grands films du XX° siècle qui est à la fois un film et plus qu’un film, quel intérêt, quand on a mis des mots et des images sur le supposé irreprésentable et qu’on a, plus encore, su nommer l’innommable, de s’embêter, non pas, comme cela s’est écrit, à servir de « psychanalystes sauvages » à un artiste dont nous aurions découvert « l’antisémitisme » ou, à tout le moins, le trouble, l’embarras ou le défaut d’information sur cette affaire, mais à arbitrer des coquetteries, des questions de préséance et d’étiquette, des querelles techniques ?

J’ignore si Godard l’a senti – mais c’est la réalité : le film, à cette date, et en principe, se fait toujours ; mais le lien de confiance s’est rompu ; et cela, je le répète, pour des raisons techniques, ou de désaccord sur la forme de la chose, ou de difficulté à se parler – mais qui n’ont rien à voir avec un « antisémitisme » dont nous nous serions brusquement avisés.

Bien sûr la technique n’est jamais seulement la technique. Et l’on peut toujours dire, après coup, que derrière ces querelles sur la forme de la régie finale, ou sur la longueur respective, pour chacun, des différents fragments et séquences, ou sur le retard à livrer des contrats, se dissimulaient d’autres désaccords, plus  essentiels. Mais ce n’est pas vrai non plus. Ce serait réécrire l’histoire. Et ce n’est pas ainsi, en tout cas, que nous la vécûmes Lanzmann et moi.

Document 7.

Lettre de Jean-Luc Godard à Bernard-Henri Lévy (15 septembre 1999)

Cher BHL,

Merci pour l’envoi de votre livre. J’ai particulièrement prêté attention à la séquence que vous indiquez ainsi qu’à la suivante. Maintenant que le dimanche est organisé par C. Lanzmann comme un début de semaine, et non comme une fin ainsi que je l’avais espéré, je ne puis que vous être reconnaissant du geste et non épiloguer amicalement et sincèrement du contenu de votre écrit.

A dimanche donc, amicalement à vous.

JLG

Jean-Luc Godard fait ici allusion au dîner du 5 septembre qui était tombé, en effet, un dimanche ; dont la date ne l’avait pas arrangé du tout ; mais dont il s’était néanmoins, et sportivement, accommodé.

Il fait allusion, aussi, à l’envoi de Comédie où j’avais attiré son attention sur la « séquence », comme il dit, où se trouvait publié le « poème » qu’il m’avait adressé en 1996, au lendemain de l’échec du Jour et la Nuit.

Et quant à l’autre dimanche (celui qu’il évoque dans son « envoi », dans son « à dimanche » final) c’est le dimanche suivant, 19 septembre, jour de mon retour de Cuba, où aura lieu un dernier dîner au Crillon – et un dîner qui, selon mes notes, s’est, lui, cette fois, très mal passé.

Exaspération réciproque.

De nouveau Godard dînant sans retirer son manteau.

De nouveau Lanzmann qui, du hors d’œuvre au dessert, ne desserre littéralement pas les lèvres.

Et longue conversation, ensuite, au vestiaire de l’hôtel, entre lui, Lanzmann, et moi, où il me dit sa méfiance et, au fond, son antipathie grandissantes pour Godard.

A cette date, pourtant, rien n’est toujours dit.

Rien n’est, encore, tout à fait décidé.

Aucun de nous trois,  à ce stade, ne semble prêt à prendre la responsabilité d’une rupture.

Et le film se fait toujours.

Une chose, peut-être. Une petite chose que je me dois de confesser, pour être  complètement honnête. C’est à propos de cette dernière lettre que, pour la première fois, j’ai peut-être senti nous frôler le vent de l’aile de l’imbécillité antisémite. Je dis « peut-être ». J’ai bien conscience, disant cela, de solliciter à l’extrême la situation et les mots. D’autant que j’ai toujours eu pour règle de me méfier, par principe, de la surinterprétation sauvage, er tirée par les cheveux, des lapsus. Mais en même temps… « Maintenant que le dimanche est organisé par C. Lanzmann comme un début de semaine, et non comme une fin ainsi que je l’avais espéré »… Quelle drôle de phrase, quand on y songe   ! Et quelle étrange colère, tout à coup ! Faut-il faire un dessin ? Je ne l’ai pas fait à Lanzmann. Et j’ai, pour la première fois, préféré garder la lettre pour moi.

Document 8.

Fac-similé d’une page de l’hebdomadaire « Le Point » annotée par Jean-Luc Godard (24 septembre 1999)

Document 8
Document 8

Ce huitième document, cette page scannée, c’est mon bloc-notes du Point. Mais peu importe. Ce qui compte c’est l’annotation, de la main de Jean-Luc Godard, en marge de son dernier paragraphe : « qui ne soit pas un dîner de gala ».

Car, le mercredi 22, soit l’avant-veille, une réunion a eu lieu dans le bureau de Jérôme Clément à ARTE. Et cette réunion a bel et bien été, cette fois, l’ultime rendez-vous des trois protagonistes de ce projet qui aurait donc dû s’intituler Pas un dîner de gala – et qui trouve ici son épitaphe.

Assis, comme Lanzmann et moi, face à un Jérôme Clément en mission de conciliation, Godard avait commencé par grommeler, l’air buté, presque méchant, un énigmatique « un Shoah égale 150 salles ».

Lanzmann, piqué, puis furieux, et d’autant plus furieux qu’il ne comprenait pas plus que moi ce que notre partenaire essayait de dire ou de sous-entendre, avait rétorqué : « soyez clair, Godard, soyez clair ».

Godard, la fureur de Lanzmann nourrissant la sienne, s’est levé, est allé actionner l’interrupteur de lumière, le rééteindre, puis, tremblant de rage, est venu se rasseoir en disant simplement : « voilà ».

Lanzmann, montant d’un cran, hors de lui, la tête dans les épaules et l’air que ses amis lui connaissent quand ils le savent prêt à frapper, a répondu, mais de manière encore plus déconcertante et absurde : « j’en étais sûr ».

Je me suis écrié, à mon tour, que cela commençait à bien faire et qu’il n’y avait pas de raison, si tout le monde décidait d’être fou, que je ne le devienne pas, un peu, moi aussi – et j’ai ajouté un « avez-vous déjà creusé une tombe ? » qui n’avait, franchement, pas plus de sens.

Et tandis que Jérôme Clément tentait vaille que vaille de calmer le jeu, ils sont sortis l’un et l’autre, l’un puis l’autre, Godard d’abord, puis Lanzmann, non sans que Godard  ait lancé à la cantonade : « y a qu’à prendre Semprun ».

Ce 22 septembre tout est fini. Et il est émouvant, donc, de voir cette dernière annotation qui aura été la dernière fois où s’est vue imprimée, de la main de Jean-Luc Godard, ce qui aurait été le titre de notre film.

Fin de partie. Fin de l’histoire. Et une fin dont on voit bien – pardon de le redire – qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la découverte que nous aurions faite, Lanzmann ou moi, Lanzmann et moi, de l’infréquentabilité de notre partenaire.

On peut trouver cette histoire absurde. Comique. On peut trouver puérils tels ou tels incidents que j’ai rapportés. Certains s’étonneront même que nous ayons pu, Lanzmann et moi, perdre finalement tant de temps à courir derrière une idée dont l’infaisablité de principe leur semblera, après coup, évidente. Mais malhonnête serait, pour moi, dix ans après les faits, de venir faire le malin et de m’écrier  : « ah ! le roué ! ah le méchant homme ! nous l’avions bien senti, nous, l’antisémite déguisé ! nous l’avons vu, et bien vu, le masque qui tombait ! et c’est pourquoi nous avons, avant qu’il ne soit trop tard, rétropédalé et renoncé ». Ce serait malhonnête car contraire au véridique enchaînement des faits.

Document 1, partie 1
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Document 2, partie 6
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Document 4, partie 13
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Document 4, partie 14
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Document 4, partie 15
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Document 4, partie 16
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Document 4, partie 17
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Document 5
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Document 6, partie 1
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Document 6, partie 2
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Document 7
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Document 8
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Godard
Jean-Luc Godard

3 Commentaires

  1. Plouquette dit : « Les Israéliens ne sont pas seuls responsables de cette situation, les palestiniens non plus manipulés qu’ils sont par des puissances étrangères dont les intentions ne sont pas forcement louables ».

    Après soixante ans de guerre, on est plus responsable de la cause première que chacun reprochait à l’autre, bien entendu, et avec force d’arguments opportunément choisis, mais on est responsable de la surenchère et du pourrissement de la situation. Les israéliens sont d’autant plus responsables que le rapport de force est en leur faveur, mais je ne disculperai pas les palestiniens non plus, car les fauteurs de guerre y sont aussi nombreux qu’en face.

    Ce conflit s’éternise et s’internationalise, et il est certain que les israéliens n’ont rien à y gagner car un rapport de force possède en lui-même la potentialité d’être inversé. On entend souvent les israéliens hurler à l’antisémitisme à la moindre critique, mais à force de faire passer sa « judaïcité » au dessus de son humanité, on affirme aussi son sémitisme en opposition à ce qui n’est pas sémite.

    Alors sur la Shoah, on peut avoir deux regards : celui du crime contre les juifs, mais aussi celui du crime contre l’humanité. Je ne suis pas juif, mais j’ai été élevé dans la mémoire de la Shoah. Je me sens tout aussi « traumatisé » de la Shoah que ne pourrais l’être un juif. On me dira que ce n’est pas ma famille qui a été massacrée. Je répondrai que si. À travers la Shoah, c’est ma famille humaine que l’on a massacrée. Et je n’ai arrêté d’hurler aussi « plus jamais cela ».

    Parfois, j’ai le sentiment d’avoir été trahi par Israël, parce qu’au nom du « plus jamais cela », Israël recommence ce qui aurait dû rester une leçon pour tous les êtres humains. Le régime du gouvernement israélien est un régime d’extrême-droite, ne l’oublions pas. Ce n’est tout de même pas un gouvernement qui porte l’humanisme comme valeur fondamentale, pas plus que les radicaux d’en face, j’en conviens aisément.

    Quoiqu’il en soit, on peut se demander ce qu’un conflit vieux de soixante ans (trois générations) peut apporter de positif aux belligérants et à leurs descendants. Sans doute faut-il encore attendre soixante ans de plus et la misère qui va avec pour que la leçon porte enfin.

    Ce que Godard ou BHL en pense, c’est une chose, ce que les peuples impliqués vivent au quotidien en est une autre, et ne sera de toute façon pas un exemple pour l’humanité.

    • Je suis d’accord avec vous sur bien des points mais en ce qui concerne la Shoah il convient de reprendre son histoire pour clarifier la distinction que vous opérez entre « crime contre les juifs et crimes contre l‘humanité ». Dans l’immédiat après guerre est apparue la notion de crime contre l’humanité pour la première fois au Tribunal de Nuremberg et l’on peut difficilement dissocier cette notion de son contexte historique. Après cette première période de procès où peu de responsables furent jugés, vint celle du déni et de la négation du génocide Juif. Bien sûr des films furent montrés dans l’immédiat après guerre cependant ils ne distinguaient pas clairement les catégories de victimes et bien qu’il y eut une abondante littérature de témoignages, la spécificité Juive du génocide n’était pas inscrite dans la mémoire collective comme elle peut l’être aujourd’hui. Les populations n’étaient certainement pas sans ignorer ce qui s’était passé mais personne ne voulait reconnaître ces crimes barbares et assumer sa part de responsabilité en nommant les atrocités clairement. On ne peut pas se contenter de dire qu’il y a des crimes contre l’humanité en oubliant de mentionner qui en sont les victimes. Cette omission-là est criminelle aussi. Or c’est tristement ce qui s’est passé à propos de l’extermination nazie du peuple Juif, un crime réussi et presque parfait dont les victimes n’étaient pas nommées ni perçues par rapport à la réalité de leur propre expérience des camps. Il faut beaucoup de malhonnêteté intellectuelle pour nier la spécificité Juive de l’extermination Nazie.
      Comme vous le savez nous ne parlons de la Shoah que depuis le milieu des années 80, date de sortie du film de Claude Lanzmann, cinéaste d’Auschwitz par excellence. Qu’il ait voulu nommer la catastrophe était non seulement son droit mais une démarche compréhensible eu égard à l’invisibilité (relative) des victimes, non seulement invisibles parce qu’elles étaient mortes mais quasi invisibles aussi dans les discours, dans les manuels d’Histoire, et dans la mémoire collective. Annette Wieviorka a beaucoup écrit à ce sujet, entre autres.
      J’en ai fait personnellement le constat dans les années 90, en me rendant en Pologne. Dans la salle d’un bâtiment qui fait office de musée au camp de Maidanek, on pouvait encore lire des commentaires mais aussi voir un film dans lequel on apprenait qu’il y avait eu dans ce camp d’extermination de nombreuses victimes Polonaises. Fallait il conclure que les juifs qui y furent exterminés étaient redevenus Polonais après coup ? Où étaient-ils passés ? Les juifs d’Europe étaient-ils montés au ciel pour y redevenir des européens parmi d’autres ? A bien regarder, cela fait beaucoup de victimes européennes dans les chambres à gaz d’Europe. On peut même jouer sur les mots et continuer à nier la spécificité Juive des victimes. Victimes Polonaises, victimes Russes, victimes Roumaines, Allemandes, ou encore Françaises, bref, la nationalité des victimes dans un crime contre l’humanité peut aussi se retourner contre elles en fonction des circonstances du moment, celles qui arrangent l’instance productrice du discours. Beaucoup d’européens sont morts dans les chambres à gaz des camps d’extermination allemands et Polonais, on peut le dire comme ça mais pour leurs bourreaux les juifs d’Europe n’étaient plus européens, de la merde en quelque sorte. On mesure aussi à cela combien la catégorisation opérée par les nazis était ignoble, ignoble jusque dans le renversement qui s’est opéré après guerre. 90% des Juifs Polonais furent exterminés, on ne peut pas se contenter de dire qu’ils étaient seulement Polonais alors qu’ils n’ont pas été exterminés pour cette raison là mais seulement parce qu’ils étaient Juifs. Pour ma part je trouve cette distinction non seulement normale mais nécessaire car pour mesurer l’abomination de ce crime contre l’humanité et du génocide – qui rappelle que ces gens n’étaient pas étrangers à l’espèce humaine, ni de la merde – il faut prendre en compte la catégorisation raciale qui s’est abattue sur ces personnes en signant leur arrêt de mort. C’est le passé criminel et sombre de l’Europe dont il est question ici et de sa politique raciste à l’égard des Juifs en particulier mais aussi des Tsiganes dont le sort n’était pas enviable d’avantage. Si l’on passe sous silence la catégorisation raciale opérée par les Nazis, alors on passe à côté de la spécificité de ce crime de masse, il n’y a plus de politique et de crime racistes, plus de victimes identifiables à proprement parler, et l’on en vient à confondre les bourreaux et leurs victimes. Cela est inacceptable.
      Alors oui le gouvernement actuel Israelien est un gouvernement d’extrême droite et l’utilisation de bombes au phosphore est condamnable, entre autres, tout comme l’expansion coloniale Israélienne en territoires Palestiniens, mais cela ne fait pas pour autant des Juifs des Nazis – comme on peut l’entendre ici ou là – ou alors les Marocains qui massacrent actuellement le peuple Sahraoui sont peut être eux aussi des Nazis, puisqu’aujourd’hui tous les amalgames sont permis. Le sens des mots est tellement galvaudé qu’on finit par ne plus savoir de quoi l’on parle. Il y a beaucoup de dictatures dans le monde mais qui oserait prétendre qu’Hitler se cache encore derrière tous ces salauds, à quoi bon agiter l’affreuse marionnette ? On agite encore la figure de Hitler pour nommer les maux d’aujourd’hui mais pour obtenir quoi ? Le comble, on cherche à la plaquer sur le peuple Juif comme s’ils étaient devenus inséparables, les deux faces d’une même médaille. Au nom des victimes Juives d’Europe, gardons nous de ces amalgames faciles et douteux. Appelons les salauds par leurs noms propres pour leurs propres crimes et arrêtons de jouer avec la mémoire et l’imaginaire collectif.
      Où se cachent les personnes solidaires du peuple Sahraoui, où sont les manifestants indignés ? Je ne les vois pas défiler dans les rues de Paris avec le portrait du Roi du Maroc à l’effigie de Hitler, je ne vois pas les croix gammées sur le drapeau marocain passer sous mes fenêtres et je précise que je ne souhaite pas vraiment voir de telles digressions. Toutefois, si ces massacres s’étaient passés en Palestine, les musulmans de France et les personnes solidaires du peuple Palestinien, entre autres, se seraient indignées sur la voie publique et c’est à cela que nous pourrions assister, un défilé de haine antisémite. Ils en reprendraient l’imagerie mais aussi les symboles. N’oublions pas que les revendications des Sahraouis sont légitimes elles aussi. Alors, le Roi du Maroc se prend t-il pour Hitler, les Sahraouis sont-ils des Juifs, stigmatisés pour des motifs raciaux ? On voit bien qu’il y a des limites à vouloir effectuer des parallèles trop faciles mais aussi qu’il est important de nommer les salauds et leurs victimes par leur propre nom en évitant les dérives qui attisent la haine, ne font que jeter de l’huile sur le feu. Dans l’un et l’autre cas, il y a un conflit sanglant pour des territoires et des peuples qui expriment leur droit à l’autodétermination. Il y a bien des victimes que l’on étouffe encore de part le monde et cela pour une terre que personne n’emportera dans la tombe. Il ne s’agit pas du dernier coup de Hitler et de crimes racistes à proprement parler mais de l’humanité à la conquête de territoires et de son mépris pour la vie humaine. Cela n’est pas le propre des Juifs mais de l’humanité dans son entier.
      Qu’attendait-on des Juifs après Auschwitz, qu’ils crèvent tous parqués comme les derniers Indiens d’Amérique après l’ethnocide, dans le pays de leurs bourreaux ? Que les Israéliens se comportent comme des êtres exemplaires ? Ce n’est pas d’eux qu’il faut exiger cela mais de tous et aussi admettre que peu d’humains en sont capables, en tous cas peu nombreux parmi ceux qui ont des pouvoirs.
      Je ne pense pas que l’on puisse avoir deux regards sur la Shoah, par définition il s’agit du crime contre les Juifs, un crime raciste et méthodique sans précédent dans l’Histoire, une aberration de la civilisation occidentale, les uns étaient considérés comme des cobayes de laboratoire, les autres comme de la merde que l’on conduit directement dans les chambres à gaz. Qu’est-ce que l’on produisait d’autre que la sérialisation de la mort à Auschwitz ? Rien de bon à proprement parler. Même les expériences médicales à bien regarder étaient motivées par la volonté de détruire et de façonner l’espèce.
      Alors il est vrai que l’on peut se poser par exemple la question de l’ethnocide des Indiens d’Amérique et de la validité tardive de cette notion de crime contre l’humanité. Ce concept étant apparu pour désigner l‘extermination des Juifs, je pense qu’il doit rester la référence en la matière. On ne peut pas décontextualiser cette notion qui elle aussi a son histoire, indissociable de celle du génocide Juif et Tsigane. Bien sûr ces distinctions sont dégoutantes au regard du nombre des disparus d’un côté comme de l’autre mais les victimes ne furent pas exterminées pour les mêmes raisons ni de la même manière et il est important pour cette raison de le souligner. Il n’y avait pas de conquêtes territoriales et de raisons objectives au génocide Juif, ce qui ne veut pas dire que la conquête territoriale justifie le meurtre de masse, en aucun cas, mais le génocide Juif a cette triste particularité, entre autres, de n’avoir pas visée une population pour des raisons externes en quelque sorte, seulement en fonction de critères raciaux et sans aucune possibilité pour les personnes désignées d’y échapper ou de se convertir ou encore de négocier leur survie. Quant aux indiens on ne peut pas nier qu’ils furent eux aussi exterminés massivement avant l’apparition de cette notion et ainsi qu’elle fut malheureusement tardive après Auschwitz.
      Faire disparaître les traces et la spécificité de ce crime contre l’humanité jusque dans la nomination des victimes Juives et Tziganes est inacceptable dans la mesure où cela ne permet plus la prise en compte du caractère sans précédent de la solution finale, on en déforme ainsi la réalité mais aussi sa perception.
      Je comprends parfaitement ce que vous voulez dire en insistant sur le fait que la notion de crime contre l’humanité concerne tous les humains. Ainsi, pour poursuivre les distinctions possibles afin de mieux s’interroger sur la notion de crime contre l’humanité se pose aussi la question du bombardement d’Hiroshima. Est-ce un crime de masse à l’encontre d’une population civile et à ce titre un crime contre l’humanité ? Sans aucun doute mais cela n’induit pas la notion de génocide de la population Japonaise dans son entier et le type de persécution spécifique dont ont été victimes les populations Juives et Tsiganes d’Europe. Il convient donc de bien distinguer les notions de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité mais aussi de génocide.
      On peut certainement faire appel à la notion de crimes contre l’humanité en Palestine ou encore au Sahara occidental pour définir la nature des crimes dont sont victimes les populations civiles actuellement mais d’ici à évoquer la notion de génocide comme l’entreprend Godard verbalement à propos d’Israel et de la Palestine ou encore dans ses films en confondant à loisir juifs et musulmans (ceux que l’on appelait les musulmans dans les camps nazis en jouant sur les mots) il y a là une exagération évidente et quelque peu injuste.
      Les terroristes eux aussi commettent des crimes contre l’humanité, c’est même leur seul mode opératoire, terroriser et assassiner des innocents parmi la population civile. Pourquoi ? Pour sauver la veuve et l’orphelin, au nom de la religion, qui peut encore le croire ? Des bandits aux intérêts obscurs et toujours plus misérables, soutenus par des puissances et des services secrets étrangers à travers le monde. Se peut-il vraiment que l’on ne puisse pas stopper Ben Laden ? Pourquoi les militaires Français ne l’ont pas neutralisé quand l’occasion s’est présentée à eux ? On ne le saura pas de sitôt mais qu’ils s’en mordent les doigts.
      A qui profitent ces opérations, aux Palestiniens ou encore à la population Afghane comme on voudrait nous le faire croire ?
      Comme vous dites ce que les uns et les autres pensent et font est une chose, « ce que les peuples impliqués vivent au quotidien en est une autre, et ne sera de toute façon pas un exemple pour l’humanité ».

  2. Godard dit du mal de tout le monde et même de lui même, alors les juifs, les français, les suisses, les américains, on trouverait de nombreuses citations pour le prendre à défaut. Godard antisémite, Godard anti-français, anti-suisse, Godard anti-américain ou encore pro-palestinien, peu importe. Godard n’est pas indifférent au monde et à ses misères. Il a pour habitude de réagir à l’actualité, il exprime ses sentiments, ses émotions, comme d’autres le font au comptoir du bar, avec le sens de la formule. Godard est d’avantage artiste qu’intellectuel. Godard dit surtout du mal de l’occident et des sionistes, il radote, ressasse, serine en boucle toujours les mêmes critiques, se plaint de l’humanité en général et des grands fabricants de mensonges, politiciens et artistes du spectacle réunis.
    Qu’il dise du mal du gouvernement Israélien, il en a bien le droit et on peut le comprendre. Depuis la mort d’Itsac Rabin, le processus de paix est au point mort et les palestiniens n’ont plus d’espoirs, quant à la terre, de moins en moins. Les Israéliens ne sont pas seuls responsables de cette situation, les palestiniens non plus manipulés qu’ils sont par des puissances étrangères dont les intentions ne sont pas forcement louables. On peut reprocher à Godard à propos de ce conflit de ne pas en rendre compte dans toute sa complexité, mais au fonds seul le résultat compte et au final, aujourd’hui, les palestiniens souffrent et les Israéliens ne respectent ni leurs devoirs, ni les droits élémentaires de ces personnes. Si la vision de Godard est par trop simpliste, on peut néanmoins comprendre sa colère.
    Quant aux images d’archives cinématographiques de l’extermination, Lanzmann les détruirait « si elles existaient », Godard invite un bon chercheur à les trouver. Je réponds qu’ils sont aussi bêtes l’un que l’autre d’entretenir l’ambigüité sur l’existence possible de ces images, ces images ne prouveraient pas grand chose « si elles existaient ». Comment Lanzmann a-t-il pu douter de cela en permettant de penser qu’ « elles existaient » ? Il aurait du être plus radical, ne pas laisser planer le doute. Des témoins oculaires sont revenus des camps et aucun n’a jamais rapporté la présence de caméra dans le périmètre de l’extermination. Il faut croire ces témoins sur parole et voilà tout. Des preuves, il y en a bien assez par ailleurs, et des imbéciles pour contester la réalité de l’extermination il y en aura toujours. Du reste, cela ne serait pas logique. On ne peut pas chercher à maquiller un crime dans les campagnes les plus reculées de l’Europe et en même temps en conserver la trace. On s’en fout des preuves dites scientifiques de l’extermination et de cette approche dégoutante de l’image. On n’en a pas besoin. L’important ce sont les preuves de vie des disparus avant l’extermination, celle d’une population qui a été assassinée quasiment dans son entier en Europe de l’Est en particulier et des preuves de cela il y en a beaucoup. Ces images seraient inutiles.
    L’approche scientifique et prétendument objective de l’image est une erreur grossière en général au cinéma et à fortiori en ce qui concerne la Shoah et il est bien triste de constater que le Mémorial de la Shoah continue d’organiser des expositions confiée à Christian Delage qui ne comprend rien à l’image et à l’esthétique. Il faut mettre fin à cette approche pseudo-scientifique, réductrice et vaine de l’image.
    Aujourd’hui même si l’on venait à trouver un film sur le processus d’extermination proprement dit, ce que je ne crois pas possible, cela n’apporterait rien de plus. Il y aurait toujours des gens pour dire, on ne voit que quelques personnes entrer dans la chambre à gaz, cela n’en fait pas des millions. Cela ne servirait à rien. Cela n’empêcherait pas des imbéciles de prétendre que les images sont fabriquées de toutes pièces et d’autres de les croire sur parole.
    Lanzmann a eu tort de laisser planer le doute sur leur possible existence et Godard de lancer un chercheur à leur recherche. C’est profondément ridicule. Cette problématique est nulle, une fausse et mauvaise problématique.
    Quant à Godard il serait intéressant de l‘interroger sur le fondamentalisme religieux, il prend la défense des musulmans (en faisant des amalgames douteux) mais on ne lui demande pas desquels. Dans le monde entier, les musulmans utilisent la cause palestinienne au nom de l’islam mais de quel Islam parlent-ils et pour obtenir quoi ? Ces questions sont complexes et mériteraient d’être éclaircies. Godard soutient-il les interprétations extrémistes de l’Islam et les terroristes qui agissent prétendument en son nom? Est-ce vraiment cela qu’il soutient ? Que soutient-il au juste, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et/ou le prosélytisme religieux ? Il y a un problème sérieux et des ingérences à plusieurs niveaux là. Qu’a-t-il à dire sur la burqa, une sortie de bain formidable, la tenue des condamnées à mort ?
    C’est à propos de cela que je vous invite à débattre avec lui. Ce serait plus intéressant qu’à propos d’images qui n’existent pas et pour ne rien dire de plus en appauvrissant le discours sur l’extermination.