Qu’est ce qu’une tête honnête ? Voilà une question que l’anthropométrie n’avait jamais tranchée mais à laquelle le débat sur l’affaire Woerth/Bettencourt pourrait apporter une contribution décisive. Car il y a une chose sur laquelle tout le monde semble s’entendre : Eric Woerth aurait une tête honnête. Et devant le constat manifeste de cette bobine irréprochable, les interrogations les plus légitimes comme les soupçons les plus étayés devraient céder.
L’intéressé, visiblement convaincu par le reflet de sa propre apparence n’a d’ailleurs pas hésité à faire usage de l’argument au journal télévisé de Claire Chazal: « Est-ce que j’ai une tête à consentir des faveurs fiscales ? »
A la faveur d’une prochaine réforme de la procédure qui se fait attendre, les procès verbaux de gardes à vue pourraient ainsi mentionner que le « suspect a une apparence patibulaire » ou au contraire que « la personne entendue dans notre service présente l’aspect d’un citoyen irréprochable ». Notre droit qui écarte le « délit de sale gueule » sous peine de poursuites du chef de discrimination, peut-il accueillir une prime à la bonne tête ? A l’évidence non et l’admettre reviendrait à accepter les propos et la logique de Georges Frêche lançant à Laurent Fabius « qu’il a une tronche pas très catholique ».

Jugeons donc Eric Woerth sur son action et non sur son aspect. Et les faits, hélas, semblent lui être moins cléments que sa bonne mine. Ils peuvent se résumer à une double question : la fonction de ministre du budget était-elle compatible, d’une part avec l’emploi de son épouse comme gestionnaire de la fortune privée de Liliane Bettencourt et, d’autre part, avec le mandat de trésorier national de l’UMP et responsable à ce titre du « premier cercle » des donateurs présidentiels ?

Cette double interrogation a d’abord trait à la déontologie. De ce point de vue, la carence du ministre est certaine. En sollicitant des fonds des personnes qu’il avait la charge de contrôler et en acceptant que sa femme s’occupe des intérêts de l’un des premiers contribuables français, M. Woerth s’est objectivement placé dans la situation peu confortable dans laquelle il se trouve.

Les talmudistes ont coutume de dire que le simple fait de se poser la question de savoir si une chose est licite induit déjà la réponse. Je ne reproche pas à M. Woerth de ne pas être talmudiste mais s’il avait eu la présence d’esprit de s’interroger sur la confusion que pouvait engendrer un tel mélange des genres, il aurait procédé autrement. Cette légèreté est d’autant plus criante que depuis le début de la polémique, le ministre du travail a déclaré qu’il était très à l’aise sur le plan déontologique tandis que sa femme a admis avoir minimisé un « possible conflit d’intérêt ». Le mari comme la femme se rejoignent néanmoins pour récuser avec force toute collusion ou d’acte illégal. Si nous devons réaffirmer ici la prééminence que l’on doit au respect de la présomption d’innocence, certains éléments permettent néanmoins d’affirmer qu’en l’espèce ladite innocence n’est ni évidente ni certaine.

Nous savons que Florence Woerth a été embauchée par Patrice de Maistre dans la structure de gestion Clymène de madame Bettencourt suite à l’accession de son mari aux fonctions de ministre du budget et apparemment sur sollicitation d’Eric Woerth lui-même. En effet, dans les fameuses écoutes, Patrice de Maistre, a reconnu: « J’avoue que quand je l’ai fait, son mari était ministre. Il m’a demandé de le faire. Je l’ai fait pour lui faire plaisir ».
Il est également certain que le même Patrice de Maistre a reçu peu après, en 2008, des mains d’Eric Woerth, la légion d’honneur.
Toujours aussi disert, de Maistre, a pris le soins de sensibiliser son employeur aux bienfaits censés naître de sa relation avec la personne en charge d’un poste sensible : « (…) c’est lui qui s’occupe de vos impôts. C’est le ministre du Budget. Il est très sympathique, c’est un ami ».

Surtout et c’est bien le plus ennuyeux, il est maintenant établi que Liliane Bettencourt avait dissimulé une partie de sa fortune en Suisse ce qui lui aurait permis de faire discrètement l’acquisition d’une île au profit de M. Banier. Très curieusement, l’administration alertée par le parquet de Nanterre de soupçon de fraude fiscale commise par M. Banier se serait dispensée d’enquêter sur la situation de Madame Bettencourt, ce qui semble difficilement explicable. Pour toute défense, M. Woerth clame n’avoir délivré aucune instruction feignant d’ignorer que l’abstention pourrait lui être reprochée au même titre qu’une intervention.

L’affaire aussi gênante fut-elle, offrait des issues possibles pour Eric Woerth.
Mais c’était sans compter l’interpellation de François Baroin par le député socialiste Alain Vidalies et la révélation d’une possible seconde affaire Woerth par le quotidien Le Monde dans son édition datée du 10 juillet au sujet cette foi-ci de la famille Wildentstein.

Les ingrédients sont connus mais leur répétition pourraient les rendre indigestes pour l’opinion publique : d’un côté une famille richissime amie de l’UMP et du Président de la République et de l’autre, une gigantesque fraude fiscale potentielle sur laquelle l’administration pour des raisons qui défient l’entendement se serait refusée d’enquêter.

De quoi s’agit-il ?
Sylvia Wildenstein, veuve du galeriste Daniel Wildenstein accuse ses beaux-fils d’avoir eu recours à des trusts familiaux à Guernesey et aux Bahamas pour diminuer l’actif successoral et éluder l’impôt. L’existence de ces trusts a été reconnue par un arrêt de la Cour d’appel de Paris. Le conseil de Madame Wildenstein aurait alerté l’administration fiscale les 7 avril 2009, 4 mai 2009 et 9 juin 2009. Celle-ci serait curieusement restée muette et n’aurait diligenté aucune enquête alors que la chasse à la fraude fiscale était à l’époque des signalements, l’obsession déclarée du ministre du budget Eric Woerth et que les sommes en jeu s’élèvent à des centaines de millions d’euros.

Cette inaction, si elle était avérée serait d’autant plus gênante que la famille Wildenstein est une des figures du hippisme, milieu familier s’il en est des époux Woerth en raison du mandat de maire de Chantilly exercé par Monsieur. Ce n’est pas tout. Guy Wildenstein est élu UMP représentant les français installés aux Etats-Unis au sein de l’Assemblée des français de l’étranger, ami personnel de Nicolas Sarkozy qui l’a élevé au grade de commandeur de la légion d’honneur et membre du fameux « premier cercle » de grands donateurs dont Eric Woerth a encore à ce jour la charge en tant que trésorier de l’UMP.

Hasard ? Calomnie ? Il revient à Eric Woerth de s’expliquer.
Comme toujours, il réagit mais jamais à propos et toujours avec retard. Il avait réclamé une enquête administrative quand une commission parlementaire s’imposait. Il s’est résolu à cette dernière alors que la nature possiblement pénale des faits dénoncés nécessitait qu’il saisisse de lui même la justice.

Les derniers rebondissements, loin de faire la lumière attendue jettent un trouble supplémentaire. L’Inspection Générale des Finances saisie par le successeur d’Eric Woerth vient de conclure – ô surprise – au comportement scrupuleux de son ancien patron, ce qui revient à rien d’autre qu’à se constituer soi-même la preuve de son innocence. Dans le même temps, M. Woerth demande à être entendu au procureur de Nanterre, Philippe Courroye qui est lui même compromis dans cette affaire en raison de ses liens supposés avec le chef de l’Etat. Tout cela n’est pas sérieux et en tout cas pas à la hauteur des enjeux.

Qu’on le veuille ou non, l’affaire Woerth existe. Elle n’est ni un succédané ni un sous produit de l’affaire Bettencourt. Elle est grave dans la mesure où elle vise un ministre de la République en exercice. La voie est étroite pour que le principal mis en cause en sorte blanchi, que la démocratie en sorte grandie mais elle a un nom : l’indépendance. Cette condition étant en l’espèce une nécessité de salut public. Il y a trop d’ombres qui planent au dessus du Tribunal de Nanterre, trop de parasitage en raison de l’affrontement maintenant bien connu qui s’y déroule entre le parquet et le siège.

La sagesse commande de dépayser l’affaire dans un autre tribunal et d’ouvrir enfin une information judiciaire pour qu’un juge d’instruction soit désigné et remplisse son office : qu’il instruise de manière indépendante, à charge et à décharge, qu’il entende les uns et les autres dans des conditions irréprochables afin que ses conclusions s’imposent à tous ; qu’il s’agisse de la mise hors de cause des époux Woerth ou de leur renvoi devant une juridiction de jugement.

En l’état, la légèreté et la maladresse d’Eric Woerth en dépit de ses démentis sincères ont fait qu’il est en train d’offrir sa tête à ceux qui ne la réclament pas ; l’opposition dans cette affaire et dans son ensemble, ayant plutôt joué la retenue. Mais le pouvoir a décidé de jouer le tout pour le tout et donne l’impression en maintenant Eric Woerth dans une survie politique artificielle de se préserver d’avantage qu’il ne protège l’intéressé. Nicolas Sarkozy semble à la manœuvre mais au poker quand un joueur fait « tapis » chacun sait qu’il peut gagner la partie ou tout perdre. De l’affaire Woerth à la crise de régime, il n’y a qu’un pas que personne ne souhaite voir franchi.

11 Commentaires

  1. Les « démentis sincères » d’EW?? Vous voulez rire…

    Il ment effrontément parce qu’il se sait protégé par NS, il ment et il le sait, parce qu’il espère que l’affaire finira aux oubliettes, il sait que tant que Courroye ne dévissera pas de son poste de procureur de la république (et non pas juge!), il bénéficiera de l’impunité, car Ph. C. fait tout pour brouiller les pistes, classer les affaires sans suite. Tous protègent NS, et réciproquement. Alors s’il y a bien un adjectif qui ne qualifie sûrement pas EW et sa parole, c’est bien « sincère »… NS rappelons-le, si les affaires étaient menées par un juge indépendant, serait probablement convaincu tôt ou tard de financement illégal de campagne, donc les conséquences seraient pénale set politiques très lourdes pour lui. Tout ce qui est fait médiatiquement ne vise qu’à faire oublier cela: Sarkozy est mouillé jusqu’au cou et risque sa peau de président.

  2. Dans la même veine…. un jugement objectif et de haute valeur… le père de Florence Woerth déclare « je connais bien ma fille et mon gendre, ils sont honnêtes ».

    Merci de noter que cela vaut largement une enquête d’un Juge d’Instruction indépendant

    Donc « une bonne tête », argument irréfutable et « je les connais, ils sont honnêtes » autre argument irréfutable font Droit

    On dégage le plancher, parole de …. Parquet !

  3. Excusez ma digression, mais dans une vidéo postée par le Parisien, le fondateur du RSD et adhérent du PS, Rachid Nekkaz, annonce avoir constitué un fond de soutien d’un millions d’euros destiné à payer les amendes des contrevenantes à la future loi d’interdiction du port du voile intégral dans les espaces publiques. Ne pensez-vous pas, cher Patrick, _ permettez-moi cette familiarité visant à arrondir les angles de ma question, _ qu’une prise de position d’une extrême énergie, serait de nature à infirmer le constat énoncé dans un ouvrage que vous avez j’en suis sûr, lu sans en sauter une ligne, d’un parti socialiste en état de mort clinique? Il me semble que le co-fondateur d’SOS Racisme serait tout à fait indiqué pour s’emparer de la question éminemment raciste de la burqa, dont vous ne pouvez pas ignorer que celle-ci stigmatise le monde qu’elle renvoit à l’extérieur, et non pas le monde intérieur qu’elle revêt.

  4. Klugman veut-il remplacer la Constitution française par le Talmud ? Si c’est la cas, bon débarra vers Israël !

  5. Pourquoi Patrick Klugman est-il devenu si sectaire, si insupportable, si haineux, si content de lui ?
    A-t-il des preuves pour incriminer ainsi les uns et les autres ? N’est-ce pas là le B.A.ba du droit ?
    Que fait-il de la présomption d’innocence ? Comment peut-il juger de manière si péremptoire sur des rumeurs ?
    Une choses est sûre : je ne le choisirais jamais comme avocat si je devais avoir recours au Barreau.

    Hélène Keller-Lind

  6. Non seulement la sagesse nous contraint, comme vous nous le montrez, à ne pas reprocher au ministre du Travail de ne pas être talmudiste, mais nous devons bien garder à l’esprit que certains des contribuables que vous citez, à commencer par lui-même, dont il reçut pour un temps la mission d’assurer la surveillance de leur possible malveillance, quand même iraient-ils poser leur fondement sur les bancs de la synagogue, n’ont jamais ouvert de leur vie le traité Sanhédrin, et que d’autres malgré la pose des vitraux de Chagall au fond du chœur d’une cathédrale de Reims ô combien symbolique, n’en démordent pas de leur fringale de déterrer Louis IX dont les restes s’enfouissent aux portes de Tunis où la dysentrie avait eu la bonté d’exaucer son vœu d’être enfin délivré de son corps, et procéder à sa façon après reconstruction clonique, au brûlement du Talmud. Or vous comprenez aussi bien qu’on tint à me le faire comprendre, que les premiers comme les derniers gravitent en aussi grand nombre autour de Sarkozy qu’autour de vous et moi sans que ni lui ni vous ni moi, ne puissions rien changer à leur persistance, ici-bas. Nabe fut nourri au berceau du ressentiment de ne pas être l’Élu du caveau de la Huchette, et alors même que nous nous entretenons à son sujet, un tout petit bébé boit au biberon de ce lait qui a tourné, a tourné, a tourné à faire tourner de l’œil les âmes sensibles, qui au lieu de s’y aguerrir, ont choisi de s’en abstenir.

  7. Lorsque ceux qui nous ont précédé rédigèrent le Talmud, ils ne concevaient pas un Talmud sans foi juive ni Torah, une justice sans observation stricte de la Halakha, une société sans Nassi pour la faire respecter d’eux tous. Or vous savez mieux que moi, maître, que le parfait respect de nos lois républicaines eût entraîné chaque jour pour chacun d’eux, d’être condamné pour transgression d’un nombre non négligeable des six cent treize mitzvot dont l’interprétation des modes d’applications extraits des paradigmes toranniques donnait lieu à leur infinie disputation.

  8. Beau papier, merci et effectivement un juge indépendant (c’est un pléonasme) serait le mieux pour sortit de ce climat délétère mais visiblement la ministre de la justice n’est pas du même avis et c’est fort dommageable pour notre démocratie

  9. La moralisation gainosienne du capitalisme est un anesthésiant administré au peuple afin que la crise, dans l’état d’inconscience où on l’a plongé, lui soit aussi indolore que possible. Or, il n’a jamais été prévu que la justice soit injectée dans le corps du délit. Là où le crime trouve un ventre qui s’offre, le crime naîtra inévitablement. Là où le crime trouve un ventre qui se refuse, le crime naîtra inévitablement. Le problème vient de ce que le premier de la classe n’a aucune raison d’éprouver de la pitié pour ceux qui le maltraitèrent durant toute son enfance maintenant que le même potentiel qui lui valait d’être mis à l’écart par les enfants jaloux a eu le temps de creuser davantage ce fossé d’inégalité entre lui et ses anciens tortionnaires désormais adultes. Aucun gouvernement n’aura la faculté de remplacer un cœur là où un coffre-fort s’y est substitué. La gauche elle-même s’y est cassé les dents. La mitterrandienne sut attendre le scandale post mortem pour se donner d’elle-même aux chiens. La jospinienne fut finie à coups de crosse pour n’avoir pas cédé au devoir de corruption. Quant à ce monsieur Woerth, il ne me semble pas né de la dernière pluie. Rien ni personne ne le jospinisera. Ses mains sont-elles pures ou impures depuis qu’il a serré la main aux assassins de Jospin? La bonne question serait plutôt de se demander comment le Jospin aux mains propres nous défendit de ce que les vainqueurs du 21 avril 2002 eurent les moyens de nous faire une fois qu’ils avaient les mains libres… Ce que j’attends de vous, pour tout vous dire, ce n’est pas la nixonisation d’Éric Woerth, c’est la démonstration de votre incontestable supériorité politique sur l’animal politique Sarkozy dont la puissance vous écrase même au plus bas des sondages. Je vous demande, de toute ma force, de vous montrer capable d’ensorceler le serpent venimeux qui planta sa mâchoire dans le mollet d’un Jospin rêvassant à une France de feuilles mortes qui lui ressemblerait. Je vous demande de supplier à genoux Strauss-Kahn de bien vouloir revenir mettre à ses pieds, et peut-être un peu aux nôtres, les amis de monsieur Woerth.

  10. Balle de canard
    Que va dire Sarkosy pour sauver le soldat Woerth lors de son discours le lundi sur France 2 ?
    La morale n’est pas une valeur
    L’amitié en est UNE
    Quand on aime celui qu’on a choisi.
    La politique n’est pas une valeur
    La Fraternité en est UNE
    Quand on aime celui qu’on n’a pas choisi.
    La vérité n’est pas une valeur
    La sincérité en est UNE
    Quand on est celui qu’on paraît.
    Quand je lis le moindre canard aujourd’hui
    Je ne vois qu’une morale qui dégouline
    Sur fond de règlement de comptes
    Nous nous dénonçons les uns les autres : Vice… Police… ou Malice ?
    Parce que nous confondons investigation journalistique et investigation juridique.
    Laissons le droit à l’endroit et prions les médias de percer plutôt le secret de l’envers…
    Et si nous voulons vraiment être sincères, sauvons le soldat Eric Woerth qui a peut-être moins saisi que d’autres ce que c’est qu’un conflit d’intérêt mais qui semble dire à ceux qui refusent de l’entendre ; que ce conflit n’a aucun intérêt pour sa personne en particulier.
    Et que la Presse serait plus inspirée si elle lavait ses machines, plutôt que de se prendre pour une machine à laver.

    http://www.tueursnet.com/index.php?video=Balle%20de%20canard