Hier, on a vu un match que les novices qualifieront d’étrange et d’ennuyeux. Je parle évidemment d’Italie-Paraguay.
Les inventeurs (1) du catenaccio, les Italiens, rencontrent une équipe, le Paraguay, qui a pris un peu trop au sérieux cette stratégie défensive cadenassée. Même l’Italie ne le pratique plus avec une telle pureté et ce depuis son élimination prématurée de la coupe du Monde 1986. Rien d’étonnant, tout le monde se souvient du match France-Paraguay de 1998, où la France décrocha sa victoire à la fin des prolongations sur un tête de Laurent Blanc. Le Paraguay déjà, avait joué en 8-1-1 !
Le catenaccio, c’est très simple : placement, rigueur et anti-jeu. Le terrain est quadrillé de défenseurs implacables et rusés. Le jeu de l’adversaire est systématiquement démantelé par un pressing exercé par ligne : tous les joueurs, même les attaquants, sont avant tout des défenseurs. Au niveau offensif, l’idée est celle-ci : tu attends l’erreur de l’adversaire, tu ne montres rien, tu l’attires vers l’avant, et dès qu’il se découvre, tu le terrasses avec un but, comme le dit la belle expression footballistique : « contre le cours du jeu (2). »
Du coup, contrairement à ce qu’on peut croire, la partie d’hier, pour un vrai passionné de football, était une collision historico-surréaliste, un peu comme si l’équipe d’Italie championne du Monde de 1982 rencontrait l’équipe d’Italie version Lippi (3).
On a pu voir les petites différences de style apportées par Lippi. D’abord, Lippi est un adepte du turn-over : l’idée étant d’utiliser un maximum de remplaçants tout au long d’une compétition afin de statistiquement bien répartir les compétences de chacun et d’éviter les fatigues excessives en fin de compétition, ou au contraire, d’avoir, dans l’urgence, à utiliser un joueur qui n’aurait quasiment pas joué. Et Lippi a adapté le catenaccio au football moderne qui privilégie l’attaque et les buts. Il a donc rendu le catenaccio plus offensif, ou du moins autant qu’un Italien puisse le faire avec d’autres Italiens. Ce qui reste vrai, c’est le jeu de dupes auquel joue l’Italie.
C’est un art de la guerre particulier. Cela tient plus de Sun Tsu que de Clausewitz. L’Italie recherche ce que Sun Tsu appelle la « victoire éclair.» C’est tout le contraire du jeu brésilien, ou du jeu anglais qui en est un dérivé, la toqué (4) en moins. Tout est duperie, pour le système de jeu italien.
L’Italie attend, manie le ballon avec élégance, et fait croire à l’adverse qu’elle n’a aucune intention, ni de marquer, ni de gagner ce match. N’importe quelle équipe, contre l’Italie, peut avoir l’impression de pouvoir gagner. Mais souvent, cela finit en match nul ou en victoire italienne, comme en 2006 où l’Italie, si controversée pendant toute la Coupe du monde, n’a pas perdu un seul match.
Bien entendu, dans les salons et les cafés, dans les tribunes des journaux, on veut du spectacle et des buts. Tout le contraire de ce qui fait l’intérêt du football.
On l’a vu hier, le football est cruel. L’Italie, qui maitrisait son match parfaitement, prend un but sur une faute inexistante de Chielini et une tête d’Alcaraz qui s’est très clairement propulsé en utilisant le dos de Cannavaro. Cela aurait pu être l’inverse. Je n’incrimine ni l’arbitre ni le Paraguay. Car le football bascule sur ce genre d’injustice qui sera au final assez bien partagée. C’est ça, la dramaturgie si excitante du football, et qui en fait le sport le plus populaire : cela ressemble tellement à la vie que c’en est troublant.
J’arrive à la fin de ce papier et je n’ai pas répondu à la question que pose mon titre. Et en ceci, j’ai épousé la stratégie italienne, qui consiste à faire diversion et à feindre l’éloignement dans la proximité, ou le contraire. J’ai créé un effet de suspens, mais bon, je dirais tout de même, oui et non; oui, ce sont 11 joueurs sur un rectangle vert. Non, car il s’agissait plutôt d’une équipe fantôme, qui, dans les mutations du football moderne, n’a aucune place. Parions même que la Slovaquie, techniquement plus forte, réussisse à créer la surprise en obtenant la seconde place de cette poule que l’Italie devrait dominer en finissant première à 7 points.
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(1) Pour être tout-à-fait juste, il faudrait plutôt dire que c’est l’équipe de L’Inter, sous la baguette du Franco-Argentin Herrera qui mit en place ce système de jeu dans sa version la plus réussie. Cependant, les Italiens ont toujours joué sur la base d’une défense cadenassée.(2) L’usage de la langue footballeuse me touche beaucoup, nous y consacrerons un article ici un peu plus tard.
(3) Actuel entraîneur de la Squadra Azzurra, champion du monde en 2006.
(4) Terme colombien : le touché, jeu à une touche de balle, construit toujours vers l’avant, prenant toujours le plus de risque possible.