Partir. Vestiges du passé dans un bagage de fortune, tout laisser derrière soi et partir. Partir pour fuir le règne des hommes léopards ; partir pour ne pas dépérir dans une prison sans nom ou mourir le cuir tanné par un tortionnaire sans visage. Ou partir tout simplement pour fuir la faim, la misère. Partir pour sauver sa peau. Partir pour vivre. Partir voir ailleurs, l’espérance du retour solidement accrochée à la mémoire : un jour, un jour refaire corps avec la terre perdue ; un jour, un jour le temps de la renaissance ; délices du retour.

Mais entretemps ? Fuir, partir, changer de terre. Exil. Exil, expérience de la disparition ; exil, épreuve de l’absence ; exil, le temps de la solitude. Mais… Il fallait partir. Fuir. Fuir hier les Ceausescu, les Mobutu, les Pinochet… Fuir aujourd’hui les Bachar, les Afeworki, les Daech, les Boko Haram, les Schebabs…

Partir, la sueur salée, piétiner, vaincre le désert, on ne naît pas pour mourir emportés par les mirages du sable ; survivre et marcher vers la mer. Et grâce à la vie, espérer ; espérer : accoster sur l’autre rive de la vie et être accueilli les bras ouverts ! Etre accueilli ! Nous sommes tous reliés les uns aux autres comme les fils d’une même toile d’araignée, n’est-ce pas ?

Embarquement. Embarcation indéterminée. Zodiaque. Canot pneumatique. Pêche aux coques. Pirogues. Entassement. Aller simple. Aller sans retour. Vagues. Tempête. La barque et l’eau. La barque ouverte et la mer. La mer qui engloutit la vie. Naufrage. Naufrage aux larges des côtes somaliennes ; naufrage aux larges des côtes italiennes ; naufrage. Mer Egée. Archipel des Iles Canaries. Ile de Sezan. Naufrage. Hécatombe. La mer comme tombeau. Passagers sans trace.

Et puis Aylan Kurdi. Comme les choses de la mer. Rejeté comme les choses de la mer ! Et puis cette image d’Aylan Kurdi… Mais comment vivre avec cette image de l’enfance du monde échoué sur les rives de notre humanité comme un vil déchet ?

Et Onfray. Onfray invité sur un plateau télé… Et on attend. On attend qu’il nous rappelle à notre devoir de solidarité; on attend qu’il nous dise ce qui doit être dit : nul n’a le droit de tourner la tête lorsque la mort se saisit ainsi des enfants de l’autre rive. On attend qu’il élève la voix et dénonce les courants qui séparent, les courants qui creusent les distances et les méfiances. On attend qu’il reprenne en écho nos murmures : que tous les enfants du monde viennent dessiner des marelles sur nos plages et jamais mourir ainsi comme des épaves sur nos rivages. On attend et on espère qu’habité par le malheur d’Aylan et de tous les autres naufragés, Onfray, la pensée portée vers le haut, va enfin rappeler à l’Europe l’urgence de repenser sa conduite et de renouer avec elle-même, c’est-à-dire avec cette idée fondatrice de responsabilité du monde ; conscience sans laquelle la démocratie européenne est bancale.

On attend. Et que fait Onfray ? Oui, que fait-il ? On demande à Onfray de parler d’Aylan et que fait-il ? Il parle… de BHL pour faire parler de… lui. Lui, Onfray. Le buzz, d’abord, n’est-ce pas ? Le buzz comme valeur première. Indécence, régression morale et intellectuelle ! La culture de l’esprit empoisonnée par l’air de l’égoïsme, embourbée dans l’ivresse de l’égoïsme. L’égoïsme, cette mauvaise passion de la raison, rétrécit l’esprit, mutile les cœurs et, infirmes devant l’infortune du monde, nous oublions alors l’essentiel : l’humanité est comptable de l’humanité. Et ainsi, Aylan Kurdi.

3 Commentaires

  1. Va t’on sortir de l’émotion un jour et entrer dans l’âge de la raison ? Onfray réagit à une question posée sur BHL. Point barre. Onfray a été clair : il faut accueillir et définir les moyens d’accueil et les stratégies d’assimilation.

  2. et c’est quoi cette «responsabilité du monde» ? le white man burden ? Onfray a rappelé avec raison que l’europe forteresse et belliqueuse est responsable des mahleurs de ces réfugiés. et bhl était dans l’émission, voilà pourquoi Onfray a parlé de celui qui a avec enthousiasme proné la destruction de l’état lybien

  3. Oui Michel Onfray a dit clairement qu’il était pour l’accueil des réfugiés, bien avant la fameuse photo.