Fernando Arrabal, symbole espagnol de l’avant-garde, montre toujours sa veine provocatrice, transgressive et très libre à ses 82 ans, comme on l’a vu ce soir lors de la première mondiale de « Pingüinas » (sa revendication d’un Cervantès libre, par la voix de la femme) qui a été très applaudie au Matadero de Madrid.
Motos tunings, pourpoints de cuir, débris de vaisseau spatial, un Quichotte nommé Miho, qui vole, et les pingouines, les dix protagonistes femmes, dansant au son de la chanson obsédante de Pharrel Williams « Happy » ont lancé la pièce avec laquelle Arrabal s’est joint à la célébration du 400ème anniversaire de la seconde partie du Quichotte, à la demande du directeur du Teatro Espagnol, Juan Carlos Pérez de la Fuente.
Une première mondiale en grande pompe et avec tapis rouge à laquelle a assisté l’auteur lui-même, venu de France, et nombre de visages connus, depuis la maire de Madrid, Ana Botella, jusqu’à des écrivains et journalistes comme Luis Maria Anson, Javier Esteban, Luis Alberto de Cuenca, César Alonso Molina ou Manuel Hidalgo.
Et aussi des actrices comme Esperanza Roy, Magüy Mira, Nati Mistral, Paca Gabaldón ou Manuel Gallardo. Une première lors de laquelle ces femmes, ces pingouines lesbiennes, rebelles et contestataires n’ont laissé personne indifférent, non seulement à cause du texte, fou et surréaliste, mais aussi du montage de Pérez de la Fuente qui a souligné le côté spectaculaire de la pièce, avec lumières, encens, arbres qui se changent en vaisseaux ou derviches dansant.
Une pièce qui revendique aussi le désir de « mourir d’amour » et d »atteindre la transcendance », et pour laquelle il vaut beaucoup mieux que le spectateur vienne l’esprit ouvert, avec le désir de prendre un vif plaisir. Et pour seul guide la liberté du Quichotte, par-delà folie et sagesse.
« J’ai beaucoup aimé la scénographie , le jeu des actrices, tout le côté spectaculaire du montage », disait Nati Mistral, à la fin de la pièce, assise au premier rang.
Ces dix pingouines, ces femmes qui n’ont pas froid aux yeux rendent hommage à Cervantès parce que toutes ont fait partie de sa vie. Toutes, sauf sa mère, sa grand-mère et sa femme sont célibataires, aventurières, pécheresses ou saintes.
Et l’auteur a fait avec elles un voyage dans le temps et du XVIIème, il les a transportées au XXIème siècle, avec Internet, youtube, la télévision et le voyage vers la lune. De sa bouche on peut entendre des phrases comme : »tu es plus méchante que la marâtre de Blanche-neige », « tu es plus ridicule qu’un pied sans ongles » ou « je fais descendre ta culotte comme Mary Poppins, à force de pets ».
Un texte plein de confusion et de quête de la vérité, ce qu’a recherché Cervantès (auteur de « La confusa ») toute sa vie, et la valeur suprême dans son oeuvre, comme l’a dit Arrabal quelques jours auparavant dans une interview avec l’Agence Efe.
Fernando Arrabal, à la fin de la pièce, est venu saluer, invité par Pérez de la Fuente et avec toute l’équipe et, très ému il a dit, micro à la main, qu’il avait beaucoup de chance et qu’il était en train de vivre un moment exceptionnel.
« J’ai une chance folle, car toute ma vie j’ai assisté aux six, sept, peut-être huit spectacles les plus importants du XXème siècle. J’ai vu Brecht et sa femme en « Mère Courage », Madeleine Renaud avec « Oh happy days! », le kabuki japonais… Et enfin maintenant j’ai eu la surprise de cette soirée. Véritablement exceptionnelle, non à cause de mon texte qui… bon… mais à cause des acteurs, du metteur en scène et du montage » a commenté un Arrabal vêtu d’une veste chinoise noir et or.
Ce soir a aussi été inauguré le « Premier Théâtre » du « Matadero » qui porte le nom du dramaturge, auteur de titres aussi essentiels que « Le cimetière des voitures », « Lettre à ma mère » ou le roman « La tour prends garde »; demeurant à Paris, né à Melilla et élevé à Ciudad Rodrigo (Salamanque).
Maestro del absurdo más lógico, encarnación de la divinidad panica, genial hacedor de genialidades.